Paul Vecchiali – « Un soupçon d’amour »

© Epicentre films

Alors qu’il a désormais 90 ans passés, Paul Vecchiali poursuit inlassablement une œuvre débutée il y a près de 60 ans (son premier long-métrage, Les Ruses du diable, date de 1965). Une œuvre à la fois éminemment personnelle, singulière et rétive à tout phénomène de mode.

Les films de Vecchiali sont toujours irrigués par un profond amour du mélodrame (le film n’est pas dédié pour rien à Douglas Sirk) et du cinéma populaire français des années 30 (on aperçoit une affiche de Daïnah la métisse de Grémillon dans Un soupçon d’amour). Le cinéaste n’aime rien tant qu’à transcender le réalisme en jouant la carte d’une théâtralité assumée qui lui permet de porter sur la réalité un regard distancié.

De théâtre, il en est immédiatement question dans Un soupçon d’amour puisque Geneviève Garland (Marianne Basler), une comédienne renommée, répète Andromaque de Racine avec son mari André. Pourtant, elle se sent mal à l’aise dans ce rôle tragique et décide de l’abandonner en laissant sa place à Isabelle (Fabienne Babe), une comédienne qui est également la maîtresse de son époux. Cette pause lui permettra de réfléchir à de nouveaux projets (cinéma, télévision…) et de s’occuper de son jeune fils malade en l’emmenant se ressourcer à la campagne…

Que la pièce choisie soit Andromaque n’est sans doute pas un hasard puisqu’il y est aussi question de l’amour irréfragable d’une mère pour son fils, un fils qu’elle protège du monde extérieur et à qui elle est entièrement dévouée alors que son père semble avoir peu de liens avec lui. Vecchiali filme cette relation exclusive en lui conférant immédiatement une étrangeté qui tient aux décors (ce voile blanc au-dessus du lit de l’enfant qui les protège et les enferme, lui et sa mère), à des raccords discordants ou des jeux avec le hors-champ. Il est évidemment hors de question de révéler les secrets du film qui en recèle quelques-uns et qui permettent au cinéaste de renouer avec des thèmes qui lui sont chers : les liens familiaux, les souvenirs, le deuil…

L’un des grands plaisirs du film tient d’abord aux retrouvailles avec deux immenses comédiennes ayant déjà croisé le chemin de Paul Vecchiali. Tout d’abord Marianne Basler, révélée pour son rôle de prostituée sentimentale dans le très beau Rosa la rose, fille publique en 1985 et que le cinéaste fera tourner à de nombreuses reprises au cinéma (dans Retour à Mayerling et Le Cancre, par exemple) ou à la télévision (A titre posthume, L’Impure). Les superlatifs paraîtront dérisoires pour louer la performance de l’actrice, constamment à fleur de peau et qui porte en elle ce vague à l’âme d’une femme qui voit son couple se fissurer (son mari la trompe) et le passé ressurgir lorsqu’elle se rend dans son village natal (où elle retrouve un ancien amant devenu prêtre).

Face à elle, on retrouve une radieuse Fabienne Babe que Vecchiali avec fait tourner dans le malheureusement trop méconnu Wonderboy et que l’on retrouvera dans A vot’ bon cœur. Elle joue ici une comédienne sans doute moins convaincante que Geneviève sur les planches mais bien plus solaire et sensuelle que son amie et rivale. Vecchiali renoue ici avec ses grands films centrés sur d’inoubliables héroïnes (Femmes, femmes) et nous propose des portraits nuancés de ces deux personnages. L’émotion ne nait ni de grands épanchements, ni d’effusions larmoyantes mais de tous ces petits renoncements et ces regrets tus qui marquent les existences. Chez Vecchiali, le mélodrame est toujours distancié : à la fois par le non-dit et par une mise en scène qui privilégie la théâtralité voire par des glissements vers la comédie musicale (une belle séquence chantée et chorégraphiée).

Alors bien sûr, le cinéaste travaille hors du système et le manque de moyens se fait parfois sentir (on devine, par exemple, que c’est pour éviter un changement de décor que le pharmacien que rencontre Geneviève dispose miraculeusement d’un sirop dans son sac lorsque la comédienne lui demande un remède pour son fils). Mais au-delà de quelques invraisemblances et d’une mise en scène parfois un peu raide, c’est la sincérité et la foi indéfectible dans le cinéma qui emportent l’adhésion.

Et quand arrive la scène finale, la gorge du spectateur se serre en se disant que les cinéastes capables de nous offrir des émotions de cet ordre sont rares et que c’est pour cette raison que l’œuvre de Vecchiali nous est aussi précieuse…

© Epicentre films

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Un soupçon d’amour (2019) de Paul Vecchiali avec Marianne Basler, Fabienne Babe, Jean-Philippe Puymartin, Fréderic Pieretti

Éditions Épicentre (2021)

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A propos de Vincent ROUSSEL

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