Étrange festival

28e Etrange Festival – Compétition courts métrages #2

Nous poursuivons un peu plus profondément dans les abysses cinématographiques du court-métrage, celles notamment des monstruosités et de leurs stigmates avec ce programme où l’étrangeté produit du bizarre et met mal à l’aise.

 

28è Étrange festival – compétition courts métrages #6

28è Étrange festival – compétition courts métrages #6

 

Cette sélection donne un coup de projecteur sur notre rapport biaisé à l’altérité qui nous marginalise et ostracise (Hideous), ou bien encore sur nos corporalités, sièges de nos souffrances mentales et physiques conduisant à l’isolement, une altération de notre rapport au monde ou de notre lien avec le réel (Reprise ; Scale). Les interactions avec l’Autre entraînent alors des dynamiques d’attraction et de répulsion, nous rendant ainsi esclaves de nos désirs et de nos corps (Her Violet Kiss ; SOS Extase). Sans doute, la seule propriété que nous pouvons réclamer légitimement est celle de notre carcasse, mais mise en danger elle ne nous appartient plus, se défait de nous, nous sommes alors dépossédés de nous-mêmes (Furia ; Toothless ; Scale). Ce dernier bastion de notre possession charnelle est le plus intéressant à travailler au cinéma car il nous pousse dans nos retranchements, nous heurte dans notre barbaque, notre enveloppe étant notre carte de visite, est en même temps, celle qui confine ce que nous avons de plus intime.

 

Hideous de Yann Gonzalez

Hideous de Yann Gonzalez

L’un de mes coups de cœur est Hideous, enchâssant le clip éponyme d’Oliver Sim, single du premier album solo Hideous Bastard du chanteur-bassiste de The XX, me rappelle le sublime Les Îles de Yann Gonzalez, court-métrage que j’ai vu le plus de fois dans ma vie, tant il fut sélectionné dans de nombreux festivals, et que j’aimais autant à (re)voir qu’à écouter les yeux clos. J’avais d’ailleurs déclaré au protagoniste Simon (*) et au réalisateur (**) mon amour infini pour cette rêverie horrifique, pour laquelle je réclamais à forces cris une édition vidéo afin de le visionner en boucle chez moi !… Hideous prolonge cette expérience onirique nimbée d’un vécu cauchemardesque et poignant : le film prend le parti de raconter la confidence, à laquelle on pourrait s’amuser à prêter un faux-ami en anglais, car il s’agit bien du manque de confiance qu’on a enduré plus jeune et qui nous est dévoilé par l’artifice d’un entretien télévisé. Ce film est une superbe mise en abyme de ce qu’ont traversé Gonzalez, Sim et tant d’autres quidams : une solitude face aux modèles populaires hétéronormés. Ici on célèbre la différence, le goût d’être autre et plus que des stéréotypes genrés, d’être libre sans être jugé. J’y retrouve tout ce que j’aime dans les créations de Gonzalez, Mandico ou Langlois, un décorum queer et camp dans lequel on s’affranchit de la rationalité et des convenances avec moults paillettes, costumes chamarrés et maquillages jaspés. Un chaud-froid compose la mise en scène avec d’un côté la voix envoutante de Sim, le brulant désir homosexuel et les révélations bouleversantes dessinant les contours de la peur et de la honte ressenties qui mutent en un monstre sanguinaire à l’écran. Je n’en dévoilerai pas plus sur les ressorts dramaturgiques et le caméo glittery de fin, mais je ne serais pas étonnée que ce court-métrage soit mis en favori sur de nombreux navigateurs dans le monde entier !

(*) lors du Festival du Film de Fesses à Paris
(**) lors du Festival Lumière de Lyon
Yann Gonzalez & Oliver Sim : comme une envie de mettre beaucoup d'Amour dans votre navigateur

Yann Gonzalez & Oliver Sim : comme une envie de mettre beaucoup d’Amour dans votre navigateur

 

Cinématographiquement, le corps est un canevas idéal à toutes les excentricités formelles, et l’animation en est l’une des écritures permettant toutes les débauches visuelles. On crée de A à Z son univers dont on maîtrise tous les aspects de la mise en scène, et Furia, Toothless et Scale en sont de beaux exemples de comment on peut nous maltraiter à nous en faire frémir avec toutes nos petites craintes de blessures, douleurs ou de représentations physiques déformées qui nous donnent alors la chair de poule lorsque notre corps est malmené. Il suffit qu’on nous rende difformes, qu’on change les échelles ou on perturbe nos repères de beauté parfaite, notre rapport au monde s’en trouve bouleversé, et provoque le rejet, des autres, de soi-même. Les deux réalisatrices Julia Siuda et Andrea Guizar, coproduites par la Pologne, expérimentent leurs textures avec de la 2D ou des collages afin de produire de l’étonnement, un ressenti sensitif en relief qui à l’œil pénètre notre cerveau et carne. De même, dans l’adaptation d’une des nouvelles de Grey Area de Will Self, Scale appréhende ces perturbations en nous mettant à la place de témoins d’un désordre provoqué par un abus de drogue, le réseau veineux du protagoniste se muant ainsi avec celui d’autoroutes le ceignant dans sa morne vie. Avec ce film, le procédé utilisé pour le point de vue de l’homme est la rotoscopie (vue dans A Scanner Darkly, Renaissance, Alois Nebel, Téhéran Tabou, Another Day of Life…) offrant par là une immersion dans la subjectivité de cette solitude confuse, et sa claustration est d’autant plus marquée par la dégradation psychique et corporelle que par la déformation de son environnement au travers de son regard.

 

 

Le dernier trio de courts-métrages explore davantage les dimensions érotique et sexuelle de nos désirs enfouis, et j’y trouve une certaine proximité de l’interdit, bien que les partis pris esthétiques soient totalement divergents. Avec Reprise, le principe de répétitions et boucle infinie explorant notre besoin de musarder dans la fiction aborde sans manière détournée notamment nos libidos les plus obscures, et en l’occurrence celles de la culture du viol et du non consentement : un lien se fait entre une relation déséquilibrée dans un couple et la dynamique d’un metteur en scène avec ses acteurs, l’abus y est souligné, peut-être pour nous sensibiliser à ce que l’on concède au pouvoir de la création et au nom de l’art. Dans SOS Extase qui est assez flamboyant, l’imagerie fetish n’est pas en reste et émoustille les férus de latex et vinyle en guise d’apparat d’une Domina assouvissant sa tyrannie libidinale sur une terrienne en détresse près du Lac du Salagou, conférant aux décors un milieu hostile dans la quête mystique de cette dernière, bernée par des fausses promesses. C’est plus drôle, mais cela n’en demeure pas moins glaçant. Là où l’échappée est plus belle et des plus fantasques dans les désirs est Her Violet Kiss du réalisateur de l’intense long-métrage Dawson City: Frozen Time, composé de chutes d’images d’un film nitrate en 35mm (Liebeshölle / Pawns of Passion) datant de près de cent ans. Comme il aime à appeler ses productions, les Hypnotic pictures, Morrison a le goût pour les films oubliés et perdus, et avec ce matériau, il subjugue en mettant en scène cette recherche mystérieuse entre une femme et un inconnu masqué, rappelant subtilement la crise du COVID19 en cours, par l’entremise d’une scène de fête qui impressionna Morrison lorsqu’il visionna ces extraits en décomposition. Il en récupéra les chutes à la Library of Congress et les conserva pour ses archives jusqu’à proposer ce montage qu’il soumit à Michael Montes pour l’écriture de cette formidable musique. Au moment où les baisers nous étaient interdits, ce film revit le jour en brisant ce tabou sanitaire et autorisant l’ardeur à combler cette ultime étreinte, abattant alors les barrières de nos imaginaires contrits.

 

 

Programme n°6 « Trop bizarre ! » :

 

Prochaine projection du programme n°6 le le 13/09 à 16h & tout le calendrier des programmes courts de l’Étrange festival

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