affiche du film "chronique d'une liaison passagère" d'Emmanuel Mouret : deux silouhettes (sandrine kiberlain et vincent macaigne) en ombres chinoises devant un fond coloré

C’est l’histoire d’amour entre une spontanéité déroutante et une crainte perpétuelle de l’imprévisible. Dans ce onzième long métrage, Emmanuel Mouret fait jouer ces deux caractères avec une dextérité fascinante, en nous faisant suivre les Chroniques de la liaison secrète entre Charlotte, mère célibataire, et Simon, père marié. Film remarquable par ses dialogues, irrésistiblement drôles, Chronique d’une liaison passagère rassemble des Fragments d’un discours amoureux, où les mots, comme le pose Barthes, « [s’entendent] au sens gymnastique ou chorégraphique ». Et, de fait, les longs plans-séquences épousent la promenade des amants, qui construisent la temporalité du film, qui se déploie comme une longue déambulation méditative et remplie d’humour.

Sandrine Kiberlain, Vincent Macaigne et Georgia Scalliet (les 3 protagonistes du film), sont devant un tableau

Copyright Pyramide Distribution

Comédie d’une relation amoureuse, Chronique d’une liaison passagère jongle avec les codes du romantisme, en passant par le quiproquo ou le comique de situation. Les topoi romantiques classiques parsèment le récit, constamment détournés de leur fonction originelle : de la chambre d’hôtel aux escapades à vélo dans la nature, en passant par les joyeuses cavalcades dans les rues de Paris, il ne suffit que de quelques détails pour les parodier, et les fondre dans un tableau de malice. La nature, temple du romantisme par excellence, joue alors à son tour un rôle important dans Chronique d’une liaison passagère : aux côtés de Paris, elle se fond dans le décor, qui devient un diptyque opposant la nature à la culture, et, par extension, la vive spontanéité du personnage de Charlotte, à l’attrait du prévisible chez Simon. On ne peut que saluer le jeu brillant de Sandrine Kiberlain et Vincent Macaigne, dans ce duo au parfait équilibre entre la délicatesse et le ridicule. Par ailleurs, le motif bucolique fait l’objet d’une réflexion, lors d’une balade en forêt, où Simon confie à Charlotte son manque de la nature : sa compagne lui fait alors remarquer l’absurdité de ses paroles, lui objectant que la ville est aussi nature, puisque fruit de l’imagination humaine. Loin de constituer leur seul désaccord, cette discussion s’inscrit parfaitement dans le jeu particulier sur les mots, et sur leur polysémie : car, lorsque l’un d’entre eux exprime sa pensée, l’autre n’en comprend jamais le sens véritable, comme si leur liaison tenait à un quiproquo perpétuel.

Sandrine Kiberlain et Vincent Macaigne poussent leur vélo sur un sentier de forêt en riant

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Jouant sur l’effet de surprise, Emmanuel Mouret excelle à maintenir en éveil le spectateur, qui n’a de cesse d’être interloqué face à ce côté imprévisible de la conversation : ainsi, dès le début du film, lorsque Charlotte invite Simon chez elle pour la première fois, ce dernier s’étonne de l’absence de rideaux : pudique, il contraste franchement avec le caractère déluré de sa compagne, poétisant sur la beauté d’apercevoir quelqu’un de nu à sa fenêtre. C’est sans doute cette dissonance qui fait jouer le ressort comique dans Chronique d’une liaison passagère. Par ses dialogues remplis d’humour, le film s’apparente ainsi à une parodie du marivaudage. On pense par exemple à leur rendez-vous galant au musée, où Charlotte s’emporte dans une violente satire de la passion et de tout ce qu’elle a de ridicule à ses yeux, face à un Simon tout penaud. Ou encore, lorsque ce dernier se met à lire à voix haute un passage d’un livre choisi au hasard, dans une volonté de paraître fin et poétique —suivi de la chute, où Charlotte l’invite à remettre sa lecture à plus tard. Toutes ses discussions autour de la relation amoureuse s’inscrivant dans un décor culturel pointu —les deux amants parcourent les salles d’exposition, discutent dans les librairies, flânant à travers les rayons, vont voir un Bergman au cinéma— Chronique d’une liaison passagère peut volontiers se voir comme une comédie romantique (ou plutôt, une comédie du romantisme) à l’image d’un Rohmer, où les personnages conversent sans discontinuer sur ce qui se joue dans leur esprit. D’ailleurs, le cinéaste de la Nouvelle Vague parlait de son cycle Contes et Proverbes comme un « cinéma qui peint les états d’âme, les pensées tout autant que les actions ». Et c’est finalement ce que nous offre Emmanuel Mouret dans ce journal de bord amoureux, plein de tendresse et de légèreté.

Vincent Macaigne et Sandrine Kiberlain ôtent leurs chaussures dans une maison (chez Georgia Scalliet)

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Chronique d’une liaison passagère ne cherche pas tant à faire le récit de la relation amoureuse entre Charlotte et Simon qu’à nous transporter dans une déambulation cinématographique dans la nature et dans les mots. La caméra suit le désir du réalisateur que « les comédiens soient toujours en mouvement », et filme de longs plans-séquences, où les protagonistes surgissent, disparaissent, se déplacent, s’effleurent et se contemplent, et où la parole se promène. La Chronique insiste sur le caractère éphémère de la liaison entre Charlotte et Simon, dont le récit cherche à saisir cette fugitivité, au travers d’ellipses et de courts épisodes rapprochés. Le film tient alors notre attention grâce à chaque détail disséminé tout au long des séquences, où l’on est sans cesse rattrapé par la surprise de l’événement ou la disruption des faits. Emmanuel Mouret excelle à dialoguer avec son spectateur : la chronologie explicite des faits et nous ancre tout du long dans une réalité tangible, à laquelle on a presque l’impression de faire partie, mais le changement se fait de manière si imperceptible que l’on ne s’en rend compte qu’une fois le fait accompli. Par ses dialogues constants et ses déambulations, le film nous pousse à être attentif, la tournure des événements, rappelant, à la manière d’un moraliste du XVIIIe, que nul n’est maître de son destin : toute la force du film d’Emmanuel Mouret repose sans doute sur ce marivaudage participatif. Dans cette balade du cinéma et du dialogue, la musique (essentiellement des sonates de Mozart), y apporte un relief contemplatif et mélancolique.

image de l'affiche du film

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Un peu à la manière des Salons de Diderot, Chronique d’une liaison passagère incite par son allure de promenade à commencer par déambuler avant de se laisser saisir par l’expérience, amoureuse en l’occurrence, et toute la surprise qu’elle revêt. Et sous tous les aspects comiques des dialogues et des personnages principaux, Emmanuel Mouret esquisse la sensation un peu troublante du temps qui nous file entre les doigts, et de ces instants qui disparaissent à jamais.

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A propos de Eléonore VIGIER

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