Dans un paysage musical hexagonal largement dominé sur le plan commercial par le hip-hop francophone, cela depuis de nombreuses années, la représentation du genre en festival nous a longtemps semblé en deçà de l’appétit du public. Ce décalage manifeste s’est accompagné d’une réaction progressive de plus en plus palpable. Les festivals généralistes invitent davantage d’artistes issus de l’écosystème rap. Mieux, des événements entièrement dédiés au genre naissent. La bataille culturelle est encore loin d’être gagnée, mais la balance commence à se rééquilibrer.
Dans ce contexte, une initiative comme Hypnotize — un festival 100 % dédié à la culture hip-hop, deux jours durant à Lyon (13 et 14 juin) puis à Bordeaux (5 et 6 septembre) — ne peut nous laisser indifférents. Pour un passionné de rap basé à Lyon, difficile de ne pas se réjouir. La programmation des deux villes, fournie et plurielle, annonce à elle seule l’ambition du projet.
Booba, Vald et Leto seront présents à Lyon et à Bordeaux, ils sont les figures de proue de cette première édition, alors que les deux line-up contiennent chacun leurs spécificités. On ne présente plus le Duc de Boulogne, légende du rap français aussi clivante qu’incontestable, qui continue d’exercer son influence en tant que rappeur faussement retraité et producteur affûté. Vald vient quant à lui de sortir son cinquième album studio, Pandemonium, puis sa réédition baptisée Pandemonium Reloaded. Leto, ex-membre de PSO Thug, remarqué, entre autres pour ses collaborations fructueuses avec Ninho, PLK ou Guy2Bezbar, a signé en solo l’un des hits de 2024 avec J’crois qu’ils ont pas compris. Ces trois noms, communs à Lyon et Bordeaux, ne sont que le prélude d’un line-up fédérateur et pointu.
Dans la capitale des Gaules, on retrouve deux poids lourds particulièrement galvanisants en live, Jok’Air et Kalash. Le premier, d’une inépuisable productivité, mêle rap et chant dans une proposition sensuelle et sensible, tandis que le second incarne musicalement la Martinique dans l’hexagone avec des albums comme Kaos ou Tombolo. Moins connu mais tout aussi impactant, on retiendra également l’excellent EDGE, avec son rap hypnotique et planant, auteur d’un formidable album en 2025, De janvier à janvier. Sur une touche locale, on pourra retrouver Bu$hi ex-membre de Lyonzon qui commence à se faire une belle carrière solo (notamment sa trilogie Bushi Tape) mais aussi son ancien acolyte de Saturn Citizen, Mussy. Ce sera aussi l’occasion de redécouvrir sur scène Kay The Prodigy avec sa proposition de trap crue et sexy. Artiste émergente à suivre de près, ADÉS THE PLANET propose une trap synthétique et vaporeuse, teintée de cloud rap. Entre vulnérabilité et puissance, elle bâtit un univers intime et singulier. À noter qu’un freestyle challenge a été lancé sur les réseaux et permettra à d’autres talents en développement de performer durant le festival.
Les Bordelais ne seront pas en reste puisqu’ils pourront compter sur la présence de deux des meilleurs rappeurs actuels. D’un côté SCH, qu’on ne présente plus, tout juste sorti d’une année exceptionnelle marquée par deux albums et la conclusion en apothéose de sa saga JVLIVS. De l’autre, Souffrance, technicien hors pair venu du collectif l’uZine qui ne cesse d’impressionner et de s’affirmer en solo, son disque HIVER AUTOMNE est l’une des sensations de 2025. On retrouvera également deux jeunes artistes particulièrement en vue ces derniers mois, souvent présentés comme les rookies majeurs de 2024 : La Mano 1.9, avec sa drill mélodique qui le place directement comme l’héritier de Gazo, et Jolagreen23, virtuose protéiforme affirmant une identité hybride, résolument tournée vers une esthétique cyberpunk. Impossible de rester neutre face à sheng, qui propose un rap en français et mandarin, insolent et sensible, n’hésitant pas à tutoyer les sonorités hyperpop. Un cocktail audacieux et novateur qui trouve son accomplissement dans son excellent projet, J’suis pas celle, que l’on écoute en boucle depuis plusieurs semaines. Excellent rappeur, Prince Waly nous avait marqués en 2022 avec son album Moussa dont il devrait jouer plusieurs pistes sur scène. Enfin, Jasem, le lauréat Nouvelle-Aquitaine du concours Buzz Booster 2025 (nous avons récemment évoqué la finale wp.me/p4Ex3q-1nNM) intégrera aussi la programmation.
Ces deux line-up présentent un échantillon riche, varié et représentatif de la scène actuelle. Grosses têtes d’affiches, stars en puissance, pointures de niche, artistes « alternatifs » et émergents se côtoient au sein de deux grilles qui véhiculent une sensation appréciable d’émulation collective. Hypnotize n’entend pas se résumer aux seuls concerts mais plutôt tendre à célébrer le hip-hop dans toute sa diversité. Petit teasing, il y aura des battles de breakdance et de rap, des sessions de graffiti en live et bien d’autres surprises.
En amont de cette première édition, nous avons échangé avec le producteur créatif de l’événement Olivier Maligorne qui nous en dit un peu plus sur le festival.
De quelle envie naît Hypnotize ? Pourquoi avoir choisi Lyon et Bordeaux pour cette première édition ?
Olivier Maligorne : L’envie vient d’abord d’une passion pour le hip-hop et pour le rap. Il y a ensuite l’analyse qu’il s’agit actuellement de la musique la plus forte en ce moment en France, puis le constat que sur Bordeaux et Lyon, il existe un manque d’événements de grande ampleur consacrés à cette culture.
Comment pense-t-on l’identité d’un nouveau festival ?
Olivier Maligorne : C’est un gros travail d’équipe, la clé pour un festival réussi, c’est de savoir avec qui s’entourer, ce qu’on veut mettre en avant et quel est notre storytelling. Dans notre cas, Hypnotize est une grosse référence à Notorious B.I.G et à sa chanson du même nom, bien sûr. C’est l’un des rappeurs les plus cités dans le rap français et une icône mondiale. Il avait un flow incroyable, une technique remarquable et il savait tout aussi bien faire le travail de lyriciste que mettre l’ambiance. Pour moi, il résume un peu toute la beauté de cette culture, dans sa globalité.
Ensuite, on met l’accent sur tout ce qu’il y a autour des concerts, sur l’expérience globale. On travaille à la création d’une scénographie énorme. Par exemple, il y aura un Ghetto Blaster géant : 12 mètres de haut sur 30 mètres de large, en façade du mainstage.
On travaille avec l’agence française The Hybrid Project, ils ont une grosse expérience. Ils ont notamment bossé sur les scénographies Tomorrowland ou du Delta Festival à Marseille. Ensuite, on veut ramener toute la culture hip-hop en festival avec les battles de danse, les battles de rap, le graffiti… Tout ça en plus des concerts. Il y aura deux scènes pour les lives ainsi qu’une troisième scène dans une ambiance club, entre danse et fête toujours dans l’univers hip-hop.
C’était super important. En France, on réduit parfois la culture hip-hop à l’industrie du rap, alors qu’elle est bien plus complète. On veut remettre en avant les fondations du hip-hop : le DJing, le MCing, la danse, le graffiti… Et puis, il y a aussi ce qu’on appelle le cinquième élément de la culture hip-hop : le knowledge, la transmission. L’idée de partager un héritage culturel, le faire. On proposera par exemple un atelier de graffiti pour que les gens puissent interagir avec les artistes, comprendre leur démarche et peut-être à leur tour transmettre cette culture à d’autres.
La programmation mêle des grosses têtes d’affiche de différentes générations, comme Booba, que beaucoup connaissent depuis longtemps, mais aussi des artistes plus récents, émergents, ou un peu plus de niche comme EDGE. Est-ce que c’était important pour vous de représenter toute cette diversité du hip-hop français ? Et vous pensez que ça peut permettre à certains spectateurs venus pour les grandes stars de découvrir aussi des artistes moins connus ?
Complètement ! Le rap, c’est hyper varié, en tant que grands fans de cette musique nous voulions mettre en avant sa diversité. Pour ça, il faut réussir à faire venir les gens grâce aux Headliners comme Booba, SCH, Vald et ensuite en profiter pour montrer tout le talent qui existe en France. On a par exemple, EDGE, Souffrance, on a BU$HI qui vient de Lyon, Mussy qui fait partie de son label, Kay The Prodigy, ADÉS THE PLANET… L’idée, c’est clairement de représenter tous ces courants musicaux qui composent la culture rap aujourd’hui.
Non, c’est volontaire. On voulait vraiment pouvoir communiquer autour du nom Hypnotize, et créer une identité commune aux deux festivals. Du coup, avoir ce socle d’headliners en commun, comme Booba, Leto et Vald, c’était vraiment important pour nous. Après on voulait aussi apporter de la diversité et des spécificités dans les programmations respectives. À Bordeaux, nous sommes très heureux d’avoir Prince Waly, La Mano 1.9 ou Maureen, ce sont de super noms.
Le nom du festival vient d’un morceau de Notorious B.I.G. Est-ce que vous avez pensé à inviter des artistes internationaux ?
Oui, on y a pensé. Mais pour une première édition, on voulait surtout mettre en avant le talent local, parce qu’il y a un vrai vivier d’artistes en France, et le public est attaché aux artistes français. Aujourd’hui, la tendance a un peu changé : les artistes américains et étrangers ne sont plus forcément en tête d’affiche comme dans les années 2000. Maintenant, ce sont surtout les rappeurs français qui sont en haut de l’affiche. Par exemple, des artistes comme SchoolBoy Q ou Chance the Rapper, représentent un rap de niche en France. En dehors des très gros noms comme Kendrick, Tyler The Creator ou Drake, en vrai ils viennent peu en France….
Bien sûr. On démarre mais on est voué à se tourner vers l’étranger dans un avenir proche. Il nous fallait installer le festival, le nom et marquer les esprits dans un premier temps. Ensuite on pourra penser à cette ouverture qui serait super intéressante. La scène maghrébine est aujourd’hui de plus en plus forte par exemple.
La version lyonnaise de la première édition se rapproche, quelles sont les attentes et les ambitions maintenant que nous sommes dans la dernière ligne droite ?
L’excitation est monstre ! On a travaillé des mois et des mois, tous les jours, sur ce projet. Là, on va bientôt entrer dans le concret, et voir le festival se réaliser, ça va être quelque chose d’incroyable. On veut que les gens puissent sentir toute l’énergie qu’on met dedans, qu’ils viennent pour célébrer, s’amuser et assister à de grands shows. Lyon et Bordeaux font partie d’une même première édition, on fera le bilan des deux villes après la date de Bordeaux, mais on désire s’ancrer dans le paysage du hip-hop français.
Entretien réalisé le mardi 13 mai 2025.
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