Homebound de Neeraj Ghaywan : chronique de la fracture indienne pendant le Covid, produite par Martin Scorcese
Présenté dans la section Un Certain Regard à Cannes 2025, Homebound marque un tournant dans la reconnaissance internationale du cinéma indien indépendant. Produit exécutivement par Martin Scorsese, le film confirme le talent singulier de Neeraj Ghaywan, déjà remarqué avec Masaan (Prix de l’Avenir à Un Certain Regard en 2015) et salué pour ses épisodes de la série Made in Heaven. S’inscrivant dans une lignée de cinéastes comme Satyajit Ray, Ritesh Batra ou Chaitanya Tamhane, Ghaywan signe ici un drame social épuré, traversé par une puissance émotionnelle rare.
© Dharma Productions Pvt Ltd
L’histoire suit Chandan (Ishaan Khatter), jeune homme dalit, et Shoaib (Vishal Jethwa), musulman, amis d’enfance dans un village du nord de l’Inde. Leur rêve : entrer dans la police, institution synonyme d’ascension sociale. Mais les discriminations systémiques et les pesanteurs communautaires pèsent lourd. Leur fraternité résiste, mais vacille sous la pression d’un monde qui les exclut doublement : par la caste et par la foi.
Le film déroule une grande partie de son récit pendant le confinement dû à la pandémie de Covid-19, un moment peu représenté dans le cinéma indien. Ghaywan choisit une approche quasi documentaire : il ne montre pas le virus, mais ses effets délétères sur les structures sociales, les liens familiaux, la promiscuité forcée. La pandémie agit comme révélateur : ce n’est pas une crise isolée, mais un précipité de toutes les autres.
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L’émotion du film repose sur la relation entre les deux jeunes hommes. Loin des stéréotypes du buddy movie, leur lien se tisse dans les silences, les gestes retenus, les regards pleins d’histoire commune. Khatter joue la pudeur blessée, Jethwa l’élan brisé. Ensemble, ils portent une humanité nue, vulnérable, bouleversante. Leur amitié, sans romantisation ni complaisance, devient un foyer de résistance et réussit à remuer le coeur du spectateur.
Visuellement, Homebound se distingue par une sobriété maîtrisée : lumière naturelle, caméra discrète, usage minimal de la musique. Le chef opérateur Pratik Shah filme les espaces domestiques comme des prisons douces. Le montage de Nitin Baid épouse les temps morts du confinement, et la partition de Chandavarkar & Taylor n’intervient que pour mieux laisser parler les silences. Rien n’est démonstratif, tout est incarné.
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La singularité de Homebound tient à sa capacité à mêler réalisme social, drame intime et poétique de la retenue. Ghaywan refuse la démonstration et préfère la sensation. En cela, il s’inscrit dans une tradition indienne minoritaire mais précieuse : celle d’un cinéma d’auteur sobre, ancré dans les réalités de caste et de religion, mais capable de sublimer ses personnages.
C’est sans doute ce qui a séduit Scorsese : la capacité du film à faire d’un microcosme social un univers cinématographique à part entière. Homebound n’est pas un manifeste, c’est une confidence — et c’est cette voix basse, intime, douloureusement belle, qui en fait une œuvre nécessaire.
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