Au moment d’élaborer notre sélection bimestrielle (devenue trimestrielle à la faveur de l’été), sommairement baptisée rap français 2025, nous étions parcourus par deux réflexions. Avec les sorties des nouveaux albums de Damso et Hamza, projets parmi les plus attendus de cette période, ce sont des rappeurs Belges qui créaient l’événement. Devrait-on donc démocratiser l’appellation rap francophone ? Ensuite, en intégrant sans la moindre hésitation les dernières sorties de Theodora ou BabySolo33, à quel point sommes-nous encore face à du rap au sens strict du terme ? Assurément, ces artistes sont reliées à un même écosystème, mais l’appellation peut sembler réductrice face à des propositions qui empruntent des éléments sans pour autant embrasser pleinement le genre. À moins que tout ceci ne relève que de définitions désuètes assimilables à des cases dans lesquelles les concernées refusent de se ranger. Une chose est sûre, la discipline est plus que jamais plurielle et multiple, c’est ce qui fait sa richesse et sa pérennité finalement. Sa propension à agréger des univers qui paraissent éloignés allant d’une nouvelle génération sans complexe à des artistes confirmés qui mettent un point d’honneur à servir les fondamentaux. En ce début d’été, les desseins des outsiders, des rookies, des valeurs sûres et des cracks divergent mais contribuent chacun à étoffer le paysage. En attendant la rentrée et l’automne, bel été et bonnes écoutes.
Zamdane – Rahma
Mais à quel prix ? Cette question, titre de la première piste du nouvel album de Zamdane, rejoint le sous-titre d’un récent essai de Mehdi Maïzi. Le rappeur et le journaliste se posent chacun à leur endroit la question du succès et de ses conséquences. Après les prestigieuses certifications de SOLSAD et Couleur de ma peine, il interroge d’entrée son nouveau statut sur morceau rap chiadé : « Mon rêve m’a ligoté » / « J’ai réussi mais à quel prix ? ». Il pose dès l’ouverture les bases : rappeler qui il est, d’où il vient, et ce en quoi il croit — comme pour mettre les points sur les i avant d’aller plus loin. Il s’agit moins d’un positionnement calculé que d’une volonté de pousser l’une des raisons de son succès, sa faculté à se livrer en rap et en mélodie, tout en ne dérogeant pas à une ligne de conduite qu’il est vital de préserver. Ce disque, entre constats présents et introspections passées, se distingue de son brillant prédécesseur et se refuse à la redite. Quand SOLSAD ressuscitait les esthétiques musicales qui ont bercé Zamdane, Rahma se tient dans un horizon plus resserré et plus épuré. Le laboratoire harmonieux cède place à un opus plus direct, manipulant des sonorités héritées de la musique classique et du rap. Si la forme peut sembler moins variée, elle n’en reste pas moins cohérente, dans un désir double : entre un retour à un rap brut et engagé — Dernier MC de Kery James est d’ailleurs cité dans Le Poison en feat. avec SCH — et des incursions vers une chanson française plus classique (Tu me verras avec Solann, dans la lignée de Grand Cirque avec Pomme)… Plus sombre et plus torturé, le disque conforte la place de choix de Zamdane dans le paysage hip-hop actuel. Celle d’un individu entier qui parle avec la même humanité de lui et des causes qui lui tiennent à cœur. En ce sens, il part systématiquement de lui pour élargir thématiquement son propos, fuyant la tentation nombrilisme pour témoigner de ses engagements. Au sein d’un tableau plutôt déprimé, il se permet un morceau plus ouvert et ensoleillé, Les Jolies filles, une parenthèse lumineuse plaisante aux relents funk aux côtés de PLK. Moins immédiatement enthousiasmant que SOLSAD, Rahma mérite néanmoins de se laisser digérer pour en découvrir les subtilités et richesses dissimulées.
23 mai 2025
Theodora – Mega BBL
Galvanisée par sa révélation au premier plan l’année passée et la frénésie qui l’entoure depuis (quatre Zéniths Sold Out, une grosse présence en festivals…), Theodora ne compte pas s’arrêter en si bon chemin. Tandis que les nombreuses réécoutes de sa mixtape Bad Boy Lovestory, nous confortaient dans l’idée que le projet avait vocation de devenir une référence en la matière, la Boss Lady a proposé une réédition hypertrophiée. Mega BBL enfonce le clou et pourrait tout à fait s’imposer en tant que game changer au rayon des extensions. Douze titres supplémentaires viennent enrichir le magnum opus fondateur de la jeune artiste, qui pousse encore plus loin sa logique de terrain de jeu entreprise sur la version initiale. Outre le plaisir contagieux de faire de la musique et de la partager non seulement avec le public mais aussi de nombreux acolytes plus ou moins attendus, Theodora porte un projet intimiste, fédérateur et conquérant. Elle définit un horizon musical pouvant aller de Jul (on ne se lasse pas de l’explosif Zou Bisou) à Juliette Armanet, en passant par Luidji et Chilly Gonzales. La cohérence naît de cette diversité mais aussi et surtout de sa capacité à apposer en toute circonstance une personnalité marquée aux multiples genres et sous-genres qu’elle investit. Dans un mélange d’innocence, d’exigence et d’exubérance, elle parcourt des univers se situant sur un spectre étendu du rap à la chanson française plus traditionnelle (Les Oiseaux rares, Bad Boy Lacked, Ils me rient tous au nez). Ce qui nous fascine, au-delà du plaisir, de la jouissance pure, conjoncturels à une dimension assurément accrocheuse, c’est à la fois la fraîcheur de l’ensemble, sa spontanéité, son innocence, qui vient s’accorder avec une proposition toujours plus maîtrisée et ambitieuse. Qu’elle se révèle sans détour (Papa <3) ou avec malice (FNG), qu’elle se montre douce ou offensive (DO U WANNA ?), Theodora déjoue toujours les attentes, échappe aux cases dans lesquelles on voudrait la ranger pour mieux contre proposer ses propres standards. Derrière sa réussite étourdissante, derrière ce feu d’artifice sonore, elle contribue à tracer une voie pour les cracks en puissance de demain, mais pas uniquement. Nous assistons à l’émancipation flamboyante d’une jeune femme se libérant à travers ses mots et les esthétiques qu’elle explore, des différentes injonctions (physiques, morales et sociales) auxquelles une société normée voudrait l’astreindre. Une artiste hors formats qui ne se réfrène pas dans ses intentions et ambitions, dont l’accomplissement des rêves les plus fous coïncide avec l’élaboration de nouvelles règles. Il y a une dizaine d’années, PNL et Jul ont par cette même liberté créative contribué à ouvrir un nouvel âge d’or du rap français et posé les jalons de carrières (quoiqu’on en pense) extraordinaires. C’est désormais tout le mal que l’on souhaite à Theodora, reine en devenir d’une nouvelle pop aux accents furieusement hip-hop.
30 mai 2025
Damso – BĒYĀH
Quand certains peinent à mettre le point final à leurs carrières, Damso a su préparer les esprits à l’arrivée de son sixième album, annoncé comme le dernier. Une date de sortie annoncée de manière énigmatique dès 2022, un nom révélé fin 2023 et un album surprise (J’AI MENTI) pour contrarier une « légende » en train de s’écrire. Cette capacité à soigner ses effets qui s’est intensifiée depuis son départ du 92i, tend pour le meilleur (QALF) et le plus discutable (J’AI MENTI) à événementialiser chaque actualité de Damso. Le rappeur belge apparu comme une météorite il y a maintenant près de dix ans, nous a passionnés, impressionnés, parfois aussi lassés, mais est toujours parvenu à attiser la curiosité. BĒYĀH démarre fort avec Impardonnable, titre rappelant autant à son rap hargneux qu’à ses évolutions vers la chanson rappée. Un morceau aux airs de mise au point qui lance idéalement un ultime opus de qualité, bien que partiellement décevant. De Batterie Faible à QALF Infinity, Damso s’est montré en constante évolution, dans ses flows et sa technique, sa recherche musicale, son discours et la sophistication de ses textes. Il est moins le fruit d’une mode que la résultante d’une personnalité artistique assurément hors normes, qui s’est plu à remettre en cause ses titres et statuts pour mieux s’émanciper et marquer sa discipline. Un talent au-dessus de la moyenne qui s’est élevé dans une ère triomphante pour le hip-hop au cours de laquelle les formules et ères se sont enchaînées tandis que lui tendait à imposer ses idées pour les rendre « bankables », délesté de la pression de la course au hit. J’AI MENTI marquait un ralentissement dans une démarche de recherche plus calculée, moins spontanée et virtuose, qui était possiblement arrivée à son pic. BĒYĀH se fixe quant à lui une mission difficile à tenir qu’il n’accomplit que partiellement, celle de clôturer les différents chapitres qui façonnent la carrière du rappeur. Ce dernier cru a des airs de best-of qui ne renouvelle que peu son univers, qui maintient le niveau d’exigence qu’on lui connaît sans parvenir à se réinventer ou se sublimer. Damso ouvre parfois des pistes qui restent insuffisamment creusées pour faire office de renouvellement, à l’instar de l’autodérision dont il fait preuve sur JCVDEMS. Ces bémols énoncés et si le constat d’une déception partielle prédomine, BĒYĀH demeure un album de qualité, dont l’une des tares est de passer après des disques aujourd’hui consacrés comme des classiques dans l’inconscient collectif. Pour notre part, c’est lorsqu’il revient à un rap brutal, un peu délaissé sur les derniers projets, qu’il nous stimule le plus. VIE OLENCE par exemple, avec son refrain saccadé et son instrumentale explosive, se démarque par une écriture rigoureuse et efficace, où l’égotrip croise une ouverture vers le paysage hip-hop dans lequel il a évolué, notamment par la citation de figures clés de la décennie qui vient de s’écouler. Damso trouve alors un dosage pertinent entre lui et les autres, rappelant sa conscience des mondes qui l’entourent tout en réaffirmant son appartenance au rap en guise d’adieux.
30 mai 2025
Hamza – Mania
Entre 2022 et 2023, Hamza est devenu définitivement bankable, le single Fade Up puis l’album Sincèrement ont fait – commercialement parlant – basculer sa carrière. Le crack belge n’est plus un artiste clivant ou de niche, il a changé de statut. Il est désormais une tête d’affiche fédératrice, convoitée en featuring et attendue sur ses sorties. À l’écoute de son quatrième album solo, cette évolution manifeste, confortée par le carton du premier single KYKY2BONDY (un banger trap addictif qui fait instantanément mouche), n’a en rien diminué l’exigence et l’ambition de l’artiste. Mania nous emporte dans un univers nocturne (l’ouverture s’appelle ENCORE UNE NUIT), mélodieux et mélancolique, où Hamza exorcise ses démons pour mieux faire parler son art de la synthèse musicale, sa digestion de ses références et son goût des nouveaux espaces sonores à apprivoiser. Si Sincèrement pouvait se poser en version définitivement masterisée (exécution virtuose, intuitions fulgurantes, toplines imparables…) de la recette que peaufine le Sauce God depuis ses débuts, Mania entend continuer de peaufiner cet accomplissement. D’une fluidité totale, les quinze pistes s’enchaînent dans un storytelling trouble et parfaitement dosé où la figure romantique, décadente, crue et poétique s’épanouit à plier ses standards à sa vision et non l’inverse. C’est là l’une des principales singularités d’Hamza dans le paysage actuel, celle de créer la tendance en la provoquant, d’ambitionner de la façonner à son goût, sans jamais se conformer. Sa curiosité et sa culture jamais rassasiées nourrissent un goût du sample, de l’hommage et de la citation. À bien des égards, sa démarche épouse celle des pionniers du hip-hop, à une différence notable près, il bénéficie d’un héritage beaucoup plus dense et vaste à creuser. Qu’il sample un R’n’B japonais (Strange Things de VISION) sur COME & SEE ME ou une piste conçue pour la BO de Trap par Saleka (la fille de M. Night Shyamalan qui y interprétait une pop star fictive) sur YESTERDAY, il réussit toujours à faire corps avec ses morceaux, à les incarner au point d’effacer la citation. Sa musique a beau se construire sur l’incertitude, elle ne laisse plus de place au doute. Qu’il explore les sonorités afro avec Rema sur TOXIC ou en solo sur AFRI (l’un de nos titres préférés), qu’il s’essaie au dancehall caribéen avec Byron Messia sur LOCATION, c’est in fine toujours sa personnalité fragile et bigger than life qui ressort. Dans une variété de flows et d’atmosphères, à fondre et confondre les genres, il délaisse progressivement le rap pour privilégier le R’n’B dans un geste d’une impressionnante netteté. Il en tire d’évidentes fulgurances dont font partie SLOVAKIA ou encore l’ultime piste FOREVER qui accouche d’un constat quasi péremptoire. Avec Mania, Hamza porte le R’n’B francophone vers des cimes jamais atteintes, touchant du doigt l’essence du genre. Dans ces conditions, que le rap devienne secondaire ne peut faire l’objet d’un reproche. À la fois intimiste, vaporeux et rigoureusement construit, il s’agit du meilleur blockbuster de cette première moitié d’année.
20 Juin 2025
BabySolo33 – Life of Giulietta
Conte de fée moderne et désenchanté dévoilé en deux chapitres, Life of Giulietta marque une rupture dans la continuité au sein de l’œuvre de BabySolo33. Plus long et plus ambitieux dans sa forme, plus chiadé dans sa production (intégralement conçu avec Kamanugue), il étoffe et amplifie l’esthétique initiée sur l’EP SadBaby Confessions pour mieux la repenser et substantiellement la réinventer. « Même ma silhouette elle est Y2K » peut-on entendre sur Giulietta. Cinégénique (le teen-movie en ligne de mire) et référencé (la subversion d’un champ de la pop culture des années 2000), l’univers de BabySolo33 tient de boucle temporelle rétro et définie où l’intimité de l’artiste se révèle dans une tonalité girly exacerbée, portée par des partis-pris radicaux. Son rapport décomplexé à l’autotune (ici moins présent), son goût des samples tous azimuts doublé d’une volonté de « musicaliser » le moindre détail sonore croise des codes hérités du hip-hop et de l’hyperpop. Sa démarche est aussi cohérente que clivante, plus viscéralement obsessionnelle que redondante dans les thèmes qu’elle explore : l’adolescence, les amours déçues, l’éveil au monde… Ce nouveau projet pousse cette logique au maximum, créant une bulle authentique, faussement figée et perméable au présent. « Il est temps que je dise tous les trucs que je feel / J’me sens hors du temps, suspendue à un fil » dit-elle d’ailleurs sur 3kichta. Dans cette atmosphère kitsch et émotive, plongée immersive dans le journal intime d’une ex-adolescente aux prises avec ses démons et traumatismes, l’introspection romancée se révèle moins insolente que sur ses précédents projets mais aussi plus à fleur de peau, plus directe et finalement moins distanciée. Un dessein plus personnel amorcé dès le titre, Life of Giulietta, lequel dévoile son surnom et par ricochet son vrai prénom, réduisant la frontière entre son avatar d’artiste et sa personne. On le sait depuis a minima depuis Balayette (déjà produit par Kamanugue), les paillettes et le vernis camouflent une grande violence et de grandes douleurs, enjolivées par des effets de style que BBS s’échine à contrarier. Le superficiel, l’anecdotique, l’essentiel, l’intime et l’universel se confondent dans un mélange où les degrés d’appréhension se multiplient. Elle creuse inlassablement un tourbillon de couleurs et de sonorités dont l’impureté même crée l’unité et la précieuse valeur. Ce cocktail produit ici de nouveau vertiges, à l’instar des ouvertures étonnements symphoniques sur Lune rouge : Chapitre II. De même que Roméo 2.0 dépasse le journal intime musical pour nous connecter directement avec les pensées de l’artiste comme si nous étions dans sa tête dans un geste fragile, impudique et sensible. Du conte à la tragédie, cette dernière conserve une forme de candeur et d’innocence, tandis que sa proposition s’étoffe et s’intensifie. Sur Tatu tears (2015), « J’voulais être une princesse / forcée d’être une guerrière », elle fait le deuil de ses rêves d’adolescente pour pénétrer, à regret, dans le monde adulte. Plus loin sur Lil B (2009), introspection sans filtre, elle affirme cette « puissance » acquise avec le même spleen : « Plus tard, j’serai une femme libre, plus peur quand j’marche dans la ville ». À mesure qu’elle plonge frontalement dans la gravité, thématiquement parlant, elle gagne en légèreté et en netteté dans son interprétation. Life of Giulietta n’est pas à un paradoxe prêt, affranchi d’une logique d’attentes ou de conventions, il prend le risque de pousser encore plus loin son hybridation déjà radicale. En ce qui nous concerne, son geste mêlant anachronismes et avant-gardisme trouve ici un nouveau point d’aboutissement, nous confortant dans l’idée que nous avons raison de la soutenir depuis si longtemps.
6 juin 2025 (Chapitre I) / 20 Juin 2025 (Chapitre II)
Dosseh – Dieu donne, j’utilise. Part.1
Trois ans après un très bon album sous-côté, Trop tôt pour mourir, Dosseh revient avec Dieu donne, j’utilise. Part.1, un projet court solide et en l’état, incomplet. « Grandi dans bruit et odeur, interprète et auteur » dit-il en ouverture sur Ce qui restera, titre piano-voix mélancolique, brillamment écrit qui nous rappelle immédiatement qu’il se tient au rang des meilleurs rappeurs de l’hexagone. La conclusion, Pardon et merci, fidèle à ce minimalisme initial, accentue la sensation d’une œuvre de repositionnement, d’une mise à l’écart délibérée du game. Dans une carrière longue et paradoxale, entre patience et omniprésence, jalonnée de succès et de malentendus (le hit Habitué n’est en fin de compte qu’un échantillon de sa proposition), ce nouvel opus dit quelque chose de l’artiste orléanais. C’est l’histoire d’un homme désabusé qui a fait le tour d’une industrie avec laquelle il entretient désormais un rapport franc et honnête. Une individualité à cœur ouvert partagée par les regrets et l’envie de continuer pour un disque sans pression mais exigeant. On aime Dosseh lorsqu’il sort des discours stéréotypés susceptibles d’affaiblir son propos. Ici, il parvient à exposer ses failles et se livrer en profondeur tout en célébrant aux côtés d’invités triés sur le volet : Prince Waly, Steban, Zequin. Au rayon des surprises que réserve le disque, de l’air du refrain de Smells Like Teen Spirit de Nirvana sur À votre santé. On attend maintenant fermement la deuxième partie.
20 juin 2025
Ven1 – Nichen & La Mano 1.9 – R.A.T
À un mois d’intervalles, VEN1 et La Mano 1.9 sont passés au révélateur du premier album. Deux artistes qui ont en commun leur jeunesse et une arrivée fulgurante sur l’échiquier du rap en 2024, incarnent l’un et l’autre une possible relève tout en cultivant des propositions et stratégies bien différentes. Propulsé sur le devant de la scène dès son premier single, Hakayet (sorti en 2023 avant d’affoler les streams en 2024), VEN1 n’a pas spécialement surenchéri. Discret, masqué et patient, il est parvenu à maintenir l’attention jusqu’à Nichen, un premier opus sans tête d’affiches dans laquelle il consolide son univers. Un flow qui n’est pas sans rappeler celui de Kekra (comparaison accentuée par le masque qu’il porte), des instrumentales minimalistes où ressortent des instruments classiques derrière les beats, un rap entre constats, légères confessions et efficacité mélodique : VEN1 a son cocktail sa recette. Dans le même temps, La Mano boosté par le succès d’I’m Sorry allait enchainer les titres et collaborations remarquées, occupant crescendo l’espace avec l’intention de remettre la drill au premier plan des sonorités. À la douceur nonchalante de VEN1, La Mano 1.9 injecte une agressivité maîtrisée, directe mais fluide, qui redonne du relief à un registre en perte de vitesse, sans pour autant s’empêcher d’aller sur des terrains plus mélodieux. Avec Tiakola, Vacra et SDM en renfort, le rappeur du 19ème arrondissement assume sa volonté d’ouverture et de morceaux potentiellement porteurs. Ovni partiel et force tranquille d’un côté, héritier assumé aux envies de starification de l’autre, les deux hommes livrent des projets honorables et plaisants au sein desquels ils étoffent des univers cohérents et reconnaissables quitte à devenir redondants. La principale qualité de ces coups d’essai n’évacue pas une limite : à travailler l’homogénéité de leurs propositions, les deux rappeurs ne s’éparpillent pas mais n’évitent pas un sentiment de répétition au fil de l’écoute. Maintenant que leurs périmètres sont délimités, il conviendra pour la suite de parvenir à s’en extraire par à-coups afin de perdurer.
30 mai 2025 / 27 juin 2025
Quelques projets supplémentaires
Plusieurs artistes que nous avons déjà valorisés depuis le début de l’année ont sorti de nouveaux projets. C’est le cas d’OBOY qui a donné suite à EP certifié Mafana (2020) pour livrer un opus estival rafraîchissant dans la veine de ses plus gros hits, porté par le tube en puissance Saint Laurent avec SCH. La même semaine, winnterzuko revenait à son tour au format court, SUMMERZUKO, concentré ensoleillé qui subvertit les codes d’un référentiel pop et l’emmène sur des terrains nettement plus expérimentaux sans délaisser une logique d’entertainment marginal.
Révélation fracassante des derniers mois Jungle Jack a quant à lui livré un nouveau projet commun moins de trois mois après Cognacs et Cigarettes, CREAMLAND, cette fois-ci avec le producteur Hologramm Lo, sur lequel on retrouve des invités tels qu’Alpha Wann (projet distribué par Don Dada Records), Lesram et Huntrill. Il conforte sa place de moins en moins discutable à la pointe d’un rap néo-old school exigeant et raffiné, cultivé et intelligible. Valeur sûre, ISHA s’est livré avec Drôle d’oiseau à un retour solo entre deux volumes de Bitume Caviar en collaboration avec Limsa d’Aulnay. Bijou d’écriture, intransigeant dans son approche rigoureuse, entre placements chirurgicaux et nonchalance spontanée, le rappeur belge se pose en irrésistible force tranquille. Dans cet océan d’excellence, on apprécie particulièrement ses retrouvailles avec Green Montana sur Raz de marée.
En 2023, nous nous sommes enfin pris de plein fouet la hype Kekra avec l’album Stratos, deux ans plus tard il dégaine un solide Vréel 4. Entre une relecture de ses propres classiques (Level Up qui auto-simple Pas Joli), une déclinaison francophone de la trap Scottienne (Mind et ses airs de SKELETONS) et nombreux exercices de flows stimulants, il livre une copie efficace quoique moins marquante que la précédente.
Représentantes d’une nouvelle génération, complètement désinhibée, tant dans les couleurs sonores que que le discours cash (comprendre cru), Mandyspie et Surprise ont chacune sortie un EP, MINUIT MOINS UNE et Si y’a un monde. Elles collaborent même ensemble sur le projet de la seconde, le temps de FRENCH TOUCH. Hip-hop flegmatique aux accents pop pour l’autrice de Girlycore, pop d’ascendance rap pour l’interprète d’Angèle & Pomme. C’est trash et direct d’un côté, plus troublé et incertain de l’autre, dans les deux cas il s’agit de noms à surveiller au cours des prochains mois.
Quelques titres en vrac
Grâce à son excellent premier album J’SUIS PAS CELLE, sheng fait d’ores et déjà partie de nos crushs de l’année. À cela vient désormais s’ajouter son apparition sur la mixtape 23MEGATAPE du collectif 23 Megabits aux côtés de Sholo Senseï sur Paparazzi. Alchimie incontestable entre les deux artistes, refrain entêtant, morceau ludique : il n’en faut pas plus pour qu’on écoute le titre en boucle. Rencontre intergénérationnelle inattendue et très concluante, Tout le temps de So La Lune, convoque Rim’K et Soprano. Un trio fluide entre nostalgie, partage et transmission, pour ce qui constitue l’une de nos pistes préférées de l’album Nouveau Produit.
L’âge et les polémiques n’ont pas raison de Médine qui semble même continuer à monter en gamme au fil des années. Son dernier EP STENTOR, act 1, et son esthétique martiale ne sont pas pour nous déplaire. Sur Frontaliers, il invite Rounhaa pour une connexion entre deux styles reliés par un goût commun pour les images incisives et imparables, dans un égotrip « conscient » tout à fait recommandable. Que les déçus d’Apocalypse se rassurent, Gazo n’a pas dit son dernier mot, en invitant La Rvfleuse sur KAT (hommage au basketteur Karl-Anthony Towns), il revient à son genre de prédilection, la drill sèche et sans fioriture : c’est redoutablement efficace.
Yoa est le symbole d’une pop régénérée et sans barrière, ainsi nous ne sommes qu’à peine surpris de la retrouver sur le dernier album de Bekar, au détour du très plaisant Saisons. Promesse du rap strasbourgeois, Kay the prodigy livre avec Kata un kickage maîtrisé et percutant. Dans un registre plus hybride, OSO avec CETTE NUIT nous plonge dans un bad trip galvanisant, dont on tend à délibérément rester prisonnier.
Sélection Janvier/Février
Sélection Mars/Avril
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