La très attendue première édition du festival Hypnotize s’est tenue au Parc de Miribel Jonage, vendredi 13 et samedi 14 juin derniers. Une manifestation entièrement dédiée à la culture hip-hop, que nous avions déjà présentée en amont, notamment à travers un entretien avec son producteur créatif, Olivier Maligorne. L’heure est désormais au bilan. Première question : les promesses et ambitions de l’événement ont-elles été tenues ? La réponse est simple : oui. Revenons maintenant avec plus de détails sur ces deux journées festivalières.

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Malgré une chaleur intense frôlant la canicule, notre excitation et celle du public sont restées intactes. Une vigilance sanitaire s’imposait néanmoins jusqu’au coucher du soleil. Trêve de digression météorologique, commençons par les aspects pratiques et généraux. Le site était très simple à rejoindre en provenance de la métropole lyonnaise et bien indiqué une fois à Miribel Jonage. L’espace gigantesque alloué au festival permettait une très bonne circulation, indépendamment d’un public massivement présent. La disposition des scènes, des stands et des points de passage était pensée de manière fluide, ce qui permettait de s’approprier rapidement les lieux. On pouvait découvrir trois scènes aux identités visuelles marquées. La plus grande, la Notorious Arena, visible dès l’entrée sur les lieux, s’impose immédiatement : conçue comme un GhettoBlaster géant avec écrans, jeux de lumière nombreux et un « ring » (sur lequel se déroulaient des performances et battles entre les concerts) permettant aux artistes de se rapprocher du public pendant leurs shows. À l’autre bout du site, on retrouvait la Suprême Arena, dans une zone un peu plus ombragée, moins spectaculaire visuellement mais offrant là encore un large espace scénique et permettant également une ambiance festival pour le public. À proximité, se trouvait le Rvmbl Club, où divers DJs ont déployé leurs sets tout au long du week-end. Entre ces lieux de représentations, on retrouvait entre autres des stands de merchandising, du festival et des artistes, des food trucks et des bars pour se restaurer ou boire, avec une offre street food plutôt diversifiée et ce dans une gamme de prix raisonnable, conforme à ce type d’événement. Enfin, l’identité visuelle du festival s’exprimait à travers plusieurs éléments marquants, comme ces brumisateurs géants en forme de bombes à graffitis ou ces immenses cassettes audio dispersées dans l’espace. Une réussite globale en termes de conception et d’optimisation de l’espace, il était possible de passer d’une ambiance visuelle ou sonore à l’autre sans difficultés, selon l’humeur et selon l’envie, au gré des line-up et préférences. Enfin, avant de débriefer les concerts, petit point technique, chacune des scènes offrait une large visibilité aux spectateurs, peu importe qu’ils soient proches ou éloignés, idem pour la qualité du son. Les moyens ont été mis pour offrir de très bonnes conditions aux différents artistes amenés à se produire tout au long du week-end. Derrière cette réussite formelle, intéressons-nous aux concerts et prestations auxquelles nous avons assisté, cœur névralgique du festival, par ordre chronologique, jour par jour.

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Vendredi 13 juin, le temps de trouver nos marques et de découvrir les lieux, nous avons alterné entre la proposition hybride et acoustique d’ADÉS THE PLANET et le Rvmbl Club avec les mix de Venus dans le cadre de la carte blanche accordée à Plavace. Il nous a fallu un petit temps d’acclimatation, d’autant que la chaleur tapait fort dans les environs lyonnais et c’est avec le concert de Leto sur la Notorious Arena que les choses sérieuses ont véritablement commencé.

Première grosse tête d’affiche, l’ex-membre de PSO Thug a livré un show efficace. Il a ouvert avec dynamisme sur 17% avant d’enchaîner sur Mozart Captain Jackson et Train de vie. Il a dès lors su varier entre ses tubes, seul (J’Crois qu’ils ont pas compris) ou en featuring (No Lèche, Macarena, Tes Parents), bangers rap et morceaux plus chantonnés. Fort d’un répertoire qui se prête parfaitement au rassemblement festif, il a permis au festival de prendre vie en cette fin d’après-midi et bousculer son rythme. La suite se déroulait à la Suprême Arena pour aller voir EDGE, que l’on apprécie énormément. Du monde, même si de facto moins que pour Leto, une scène plus intimiste mais un artiste galvanisé par la foule qui a livré une superbe prestation offrant une autre lecture et une autre texture à sa proposition musicale plutôt planante à l’écoute classique. Il ne s’est pas privé pour performer le vénère Opps et 17 et donner une couleur politique à l’événement, en plus de se prêter parfaitement aux interactions avec le public. Il s’est également livré à un passage à cappella, dans un show très marqué par un plaisir communicatif.  De retour à la Notorious Arena, nous avons vu Jok’Air qui n’a pas failli à sa réputation de bête de scène. Généreux et ambitieux, il a parfaitement réussi à utiliser l’espace à sa disposition et à s’étendre tout en usant de la vidéo afin d’ajouter une identité visuelle supplémentaire à son concert. Il a su jouer sur la profondeur, les espaces et les perspectives, en plus de déployer une énergie jubilatoire tout au long de sa performance et de chercher à créer d’authentiques moments d’intimité à mesure qu’il interprétait ses « classiques ». D’une certaine simplicité, en dépit de l’enjeu et de l’ampleur de l’événement, il s’est livré à un long exercice de remerciements, donnant également de la force à tous les autres artistes présents ce jour-là. Après ce temps suspendu, nous n’étions pas totalement disposés à recevoir le concert très physique de Meryl du côté de la Suprême Arena, dont l’énergie détonnait un peu trop avec notre humeur temporairement posée. Nous avons donc anticipé sur le climax attendu de cette première journée : Booba, intronisé quelques minutes plus tôt par Jok’Air comme « la plus grande légende du rap français ».

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Il était 23h00 quand a débarqué l’homme de la soirée, au son de Wesh Morray. Premier single de son album Futur (2012), il annonçait la couleur de ce qui allait suivre. Ce titre qui avait mis le feu aux poudres à sa sortie, officialisant son clash avec Rohff, laissait augurer une humeur taquine. Le Duc n’a pas été avare en provocations : AC Milan ou 3G figuraient sur son set tandis que Kalash a été interrompu avant la partie de Kaaris, insulté sans détour par le rappeur. C’est moins un exercice d’arrogance que le choix d’un répertoire brassant une période contenue entre 2010 et 2025, adressé à la dernière génération qui a découvert Booba, davantage qu’à ses auditeurs de la première heure. Un positionnement qui s’entend dans un festival nouveau, supposément adressé à un jeune public, qui peut cependant décevoir à l’aune de sa monstrueuse discographie. Cette conscience de son environnement enlevait une forme de spontanéité malgré une scénographie déployée pour l’occasion. Soyons clairs, Booba a l’aura et le répertoire pour faire de sa présence sur scène un événement, sans pour autant avoir à livrer un show mémorable, et c’est un peu l’impression qu’il nous a laissée. Conscient de la force de ses titres, il n’hésitait pas à partir en a cappella auto-tuné et un peu négligé ou à se reposer sur l’enthousiasme du public au moment de performer ses titres les plus populaires. Comme un signe de cette impression de facilité, il a fini assis dans le gradin scénique pour Dolce Camara, laissant les spectateurs s’attribuer son dernier hymne en date. Surprise finale néanmoins, la diffusion en en conclusion d’un remix electro de Repose en paix amorçant la fin du concert et le retour à la maison. Soit la version moderne de l’un de ses premiers classiques solo et d’un classique du rap français tout court. En somme, il ne s’est pas mis en danger et a évolué dans le confort d’un public acquis à sa cause en toutes circonstances. Cette première journée s’achevait avec un constat net : les deux performances les plus marquantes étaient celles d’EDGE et Jok’Air.

Samedi 14 juin, nous étions de retour pour un deuxième round à Miribel Jonage, dans une chaleur toujours plus pressante, au point de décaler notre arrivée sur le site afin de ne pas trop subir la température. C’est avec Kalash que nous avons entamé musicalement la journée. Premier constat, week-end oblige, il y avait plus de monde que la veille à la même heure. Le « Mwaka Boss » s’est emparé de la Notorious Arena avec force et enthousiasme, accompagné selon les morceaux d’un DJ ou de musiciens. Showman avéré, il n’a eu aucun mal à mettre le feu avec ferveur. On a apprécié qu’il performe sur Tu le sais avec Gazo, qui ne figurait pas dans la setlist d’un précédent très bon concert de lui auquel nous avions assisté plus tôt en 2025. Il n’a eu aucune difficulté à retourner la foule sur des pistes comme Laptop, Taken ou Alpha avant de conclure Mwaka Moon enchaîné deux fois, l’une laissant la place au public, l’autre voyant l’artiste reprendre la main sur son hit. Une performance très sérieuse d’un artiste qui gagne assurément en envergure lorsqu’il se produit en live. Changement d’ambiance et d’énergie ensuite du côté de la Supreme Arena avec le groupe L2B en pleine percée au cours de ces derniers mois. Quitte à être transparent, ce n’est pas forcément ce que l’on préfère, mais le show était de bonne tenue, plein d’entrain et de plaisir. Des titres comme Tendance solo de KLN avec Niska ou leur tube en trio Pélican ressortaient nettement.

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On retournait en direction de la Notorious Arena pour voir Vald dans une position paradoxale, on l’avait apprécié sur scène en 2022 à l’occasion de la tournée consacrée à son avant-dernier album V, mais nous restons mitigés sur son dernier opus PANDEMONIUM. Pourtant, à partir de son entrée en scène sur REGULATION RELOADED (remix électro du morceau homonyme, placé sur une réédition alternative de l’album), une seule question s’est posée. Arrivé en feu et avec l’envie de tout casser, comment allait-il pouvoir tenir à cette intensité une heure durant ? Galvanisé par un public qu’il s’est mis dans la poche en deux titres performés, Vald n’a jamais faibli et a livré une performance aussi spectaculaire que furieuse. Les versions RELOADED se sont révélées de monstrueux atouts pour retourner la scène et mettre les spectateurs dans un état d’ébullition permanent. Outre sa propension à incarner ses titres et mettre l’ambiance comme jamais, l’artiste a cette faculté à garder une forme de spontanéité dans ses interactions avec la foule, à maintenir une dimension humaine dans un show presque irrationnel. Dans ces conditions, même les morceaux en apparence plus calmes issus de projets antérieurs n’avaient aucune prise sur une ambiance définitivement électrique. L’interprète de Bonjour était inlassablement suivi par une audience transcendée par sa force de proposition, il ne s’est pourtant aucunement reposé sur ce constat, apparaissant comme un mort de faim de la première à la dernière seconde de live. Le constat est simple et sans détour, Vald est l’un des meilleurs artistes du paysage hip-hop francophone sur scène et il a livré une prestation que l’on n’est pas près d’oublier en ce 14 juin 2025. Depuis, on réévalue partiellement PANDEMONIUM avec le souvenir de son incarnation, qui change de fait la donne.

Après ce qui allait rester comme le point d’acmé du festival, difficile de passer à autre chose et pourtant le lyonnais BU$HI, gonflé à bloc a lui aussi tout donné à domicile. Outre la fierté non dissimulée de se produire au sein d’un événement aussi gros au sein de sa ville natale, l’envie de marquer les esprits avec son passage était palpable. Moins familiers de sa discographie, on a notamment apprécié la découverte de MIA (sur un sample de Paper Planes). Ensuite, curiosité maximale au moment de découvrir l’artiste qui allait se livrer à un showcase secret, dans un mystère savamment entretenu jusqu’à l’apparition finale. Nous avions spéculé sur quelques noms susceptibles d’être disponibles mais disons-le tout net, nous n’avons pas une seconde envisagé le bon, à savoir Youssoupha. Ce dernier a joué quatre titres dont son couplet sur Grand Paris de Médine ou l’un de ses tubes, On se connaît. Des morceaux qui se référaient à une époque pas si lointaine où il figurait parmi les têtes d’affiche du paysage. Indépendamment de notre appréciation aléatoire de son répertoire, il a largement fait le boulot sur un laps de temps somme toute assez court. C’est à l’issue de sa prestation que nous avons choisi de nous éclipser, avant un ultime concert, celui de Dadju (qui a remplacé au pied levé Laylow), qui n’est en toute franchise pas réellement notre tasse de thé musicalement parlant. D’autant plus qu’en cette deuxième journée très satisfaisante dans son ensemble, nous étions tout simplement rassasiés. Ce samedi, plus homogène dans les performances que ne l’était le vendredi, avec davantage de monde et d’ambiance, marquait le point de départ véritable d’un festival dont nous suivrons avec attention la suite. Cette première édition se dédouble à Bordeaux, les 5 et 6 septembre, avec un line-up toujours aussi alléchant. Pour nous, Lyonnais, le rendez-vous est pris en 2026. Ce coup d’essai est incontestablement une réussite dans son genre, qui ne demande qu’à être consolidée et amplifiée dans les années à venir.

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