Si Pigalle n’est plus que l’ombre de Pigalle, certaines institutions du quartier demeurent. Parmi elles figure les Trois Baudets. Cela tombe bien, l’adéquation entre Nina Battisti, qui tient le haut de l’affiche lors de cette douce soirée de mai, et cette salle chargée d’histoire semble parfaite. Bien sûr, la vocation du lieu étant de présenter au public des artistes talentueux en devenir, la présence de cette jeune artiste Corse dans un tel lieu coule de source.
La salle avait d’ailleurs été créé avec cette ambition après guerre, avant d’avoir d’autres vies. L’endroit est redevenu un établissement culturel à part entière à l’orée des années 10. Cela paraît un juste retour des choses d’y entendre un artiste comme Battisti dépoussiérer amoureusement tout un pan d’une chanson française, laquelle semble disparue sous les fards épais et sirupeux d’une hyper-pop synthétique.
En attendant l’arrivée de Nina, le bal s’ouvre avec une Déborah Leclercq tout en fraîcheur et en ingénuité. Autrice, compositrice et interprète issue de la génération Covid, la voici non plus défilant négligemment sur un écran de smartphone mais s’emparant avec appétit de l’espace scénique.
Accompagnée par une formation légère basse/machines, la chanteuse (et comédienne) délivre une pop intimiste et chill, à l’image de son titre Dimanche par exemple.
Dans une salle vite pleine, et ce pour la deuxième fois ici – dans laquelle on regrette bien vite la présence de fauteuils – Nina Battisti fait son entrée et convoque par sa mise en scène tous les superbes fantômes qui habitent encore cette salle.
Le show s’avère parfaitement maîtrisée et la présence scénique de l’artiste complète ce qu’elle laisse percevoir d’elle à travers ses chansons. Les morceaux défilent dans ce (joyeux) Cabaret des pleurs, ordonnés avec humour et une distance délicieuse, laissant entrevoir là, au détour d’une phrase anodine sur un déboire amoureux, des anxiétés qui semblent générationnelles.
Si la soirée a prouvé que la chanson, voire même la variété – une insulte ? Vraiment ? – des interminables trajets familiaux en voiture sur la route des vacances, n’était pas morte et enterrée, et qu’elle avait encore de beaux jours devant elle. Son public et ses interprètes ne sont nostalgiques de rien ; il est étonnant par ailleurs de constater la façon dont les codes se sont transformés à l’ère des réseaux sociaux. Par exemple, la chanson Pas si jolie en est un symptôme parfait.
Interprètes de leurs névroses, les angoisses que ces artistes expriment semblent être une conséquence d’un néo-capitalisme bien contemporain. Il n’est plus possible d’être simplement artiste, il faut être aussi influenceur et directeur marketing de sa propre marque, et ainsi être à la fois actrices et victimes d’une dictature de l’image.
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