Il y a quelques semaines, le samedi 17 mai 2025, c’était l’onde de choc : nous apprenions le décès soudain de Werenoi. Quelques semaines après la sortie de son troisième album, Diamant Noir, quelques jours après une récompense à la cérémonie des Flammes, celui qui était devenu l’un des noms les plus puissants de l’industrie, n’était plus. Une nouvelle tragique et brutale, qui nous laissait sans voix. Le rappeur originaire de Montreuil était apparu de manière fulgurante, s’imposant sur un laps de temps extrêmement court comme une superstar, tout en réussissant à cultiver une aura énigmatique et une grande réserve autour de sa personne. « Trop parler c’est comme à l’audition, j’vois pas l’intérêt » disait-il sur First présent sur la tracklist de son dernier album. Nous avions assisté au cours des dernières années à la naissance d’un phénomène inhabituel rappelé prématurément à la vie. Son rap efficace et affuté mêlait imagerie noire et codifiée (vie marginale, revanche sociale) à des refrains plus ouverts pourvus de mélodies parfois redoutables. De Lacrim à Aya Nakamura, en passant par Gazo, PLK, Ninho, Dosseh, Hamza, SDM… il avait collaboré avec une majorité d’artistes phares du paysage musical hip-hop post-2020. La manière qu’il a eue de se protéger, en attribuant à ses textes le rôle d’interviews à décrypter, laisse aujourd’hui une œuvre opaque et inachevée mais également parlante et complète, qui prend une tournure plus prophétique après sa disparition. L’écoute de sa discographie revêt désormais une autre dimension. Et si les points de suspension qu’il avait sciemment laissés entre les lignes avaient dès le début cachés des douleurs réelles qu’il a préféré taire pour pleinement profiter de son heure ? Werenoi a, quoiqu’on en pense, laissé son empreinte sur le rap français, à une vitesse éclair et avec une force indéniable.
Alors que le temps était au recueillement et à la sidération, le traitement de la nouvelle de son décès s’est accompagné de réactions d’une obscénité inouïe. La violence, ce n’est pas tant celle de ses textes et des conventions qu’il maniait que la manière dont sa mort a été relayée sur les réseaux sociaux dans une course au buzz haïssable. Dans un moment où l’heure aurait dû être aux hommages et aux recueillements, son nom est également venu alimenter des rumeurs farfelues et des polémiques malsaines jusqu’à servir de point de cristallisation de la société française dans des débats honteux. On pourrait se disperser à énumérer inutilement tout ce qui fut regrettable et dommageable dans la gestion médiatique de cette disparition, mais là n’est point notre envie. Le constat est double, une partie des Français continuent de sous-estimer l’importance du rap aujourd’hui tandis que le milieu musical dit urbain a été confronté à une perte inédite dans son histoire. « Ouais, j’vais mourir comme qui? /Tupac, Biggie ou Aaliyah » disait Werenoi sur le refrain d’Under Armour aux côtés de ZKR (sur Mode Opératoire, vol.1) en 2024. Une phrase aux accents tristement prémonitoires. Il n’est pas question de faire de lui, l’équivalent artistique de ces légendes américaines ni de comparer leurs morts. Reste que dans l’Hexagone, jamais un rappeur de son envergure, au pic de sa popularité et de sa notoriété, n’avait quitté la scène de manière si abrupte.
Il n’était pas seulement un rappeur en vogue : sa popularité dépassait largement le cercle des auditeurs spécialisés. Sans le réduire à des chiffres, il parlait à une large part de la jeunesse et faisait l’unanimité dans un milieu pourtant très concurrentiel. Les hommages qui lui ont massivement été rendus par les autres artistes en attestent, différentes générations et courants ont très largement exprimé leur émotion. Hors rap, on notera les mots de Pascal Obispo, qui avait croisé sa route le temps d’un concert au Zénith de Paris en septembre 2023. Les deux hommes se connaissaient et s’appréciaient. Vient un dernier paradoxe au sujet de Werenoi, s’il avait conquis le public et mis d’accord au sein du « rap game », il semblait sous-estimé par les médias spécialisés qui s’intéressaient finalement trop peu au contenu de ses albums ou à ses atouts réels de rappeur. S’il n’a pas réinventé les figures qu’il a employées et l’univers qu’il a investi, de son flow à ses refrains en passant par sa gestion de l’auto-tune, il a affirmé précocement une recette musicale et une maîtrise de celle-ci, qu’il aura développée de projet en projet avec une certaine régularité (plus ou moins tous les six mois). Il a assimilé et digéré une esthétique qui lui a permis d’atteindre les sommets. Il incarne ce rap grand public des années 2020, qui a su garder une ADN rue tout en allant vers la chanson, sans renier ses bases.
« Bats les couilles d’être certifié par la SNEP, j’suis disque de diamant dans toutes les cités » – 18.03.2023 / « Bats les couilles de Twitter, on est mainstream, mais les hommes parlent, les chiffres aussi » – Industry Plant
Sur Tucibi, présent au sein de la bande-originale d’En Passant Pécho, il glissait un second degré discret que l’on retrouverait aléatoirement par la suite en faisant un clin d’œil à la vidéo devenue virale de Patrick Balkany en pleine euphorie sur Djomb de Bosh à la fête de la musique : « Moi, j’veux de la grosse caillasse /Des bâtiments, danser comme en Balkany ». L’image en elle-même est parlante mais s’accompagne et se nourrit du passif judiciaire de l’homme politique, souvent rapproché des figures du banditisme en raison de ses condamnations et chefs d’accusation. Hasard du texte ou vraie conscience de la « profondeur » de l’image ? Dans l’univers de Werenoi, il est moins question de vraisemblance ou de vérité que de crédibilité, et c’est au prix d’un less is more très cinématographique qu’il a assuré la sienne mais aussi d’un certain ancrage dans le réel. « Y a des amitiés cassées pour un casier ou pour un violet froissé » (Industry Plant), dans un élan paradoxal il savait sophistiquer l’écriture pour donner du relief à des images factuellement sans grande envergure, tout en prenant soin de rester intelligible, compréhensible. Concluons par une touche plus personnelle, durant les derniers mois nous avions écrit à plusieurs reprises sur lui, de sa venue à Lyon en novembre 2024 en passant par les sorties de Pyramide 1 et 2 ou Diamant Brut. Sans nous considérer comme des inconditionnels, nous avons toujours apprécié sa capacité à synthétiser les tendances pour établir, à son tour, de nouveaux standards. Un équilibre subtil entre calcul et spontanéité, toujours efficace, toujours accrocheur.
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