Le jeudi 24 avril dernier, avait lieu la finale régionale Auvergne Rhône-Alpes du concours Buzz Booster, avec à la clé une place à décrocher pour la finale nationale qui se déroulera à l’espace Julien à Marseille du 17 au 19 juin prochain. Buzz Booster est un dispositif mis en place en 2010 consacré à la détection et l’accompagnement d’artistes rap (en solo ou en groupe) qu’il aide, entre autres, à se professionnaliser tout en œuvrant à la visibilisation du genre et à la création d’une émulation collective. À titre d’exemples, Némir fut le lauréat de la première édition quand Sheng a été l’une des finalistes en 2024.

Toera @ Guillaume Seitz
L’événement se déroulait dans l’enceinte de Bizarre ! à Venissieux (l’une des deux structures coordinatrices de la région Auvergne Rhône-Alpes avec Flower Coast à Clermont-Ferrand). Un lieu bien connu des amateurs de hip-hop de la métropole lyonnaise, qui, au-delà de ses concerts et événements, s’implique dans plusieurs dispositifs d’accompagnement (Le plan B, Draft, La Relève) tout au long de l’année. Les quatre finalistes, Noreah, UVA, Torea et Lupi’o eurent chacune et chacun droit à un set de vingt minutes sur scène pour montrer un échantillon de leurs talents et de leurs univers respectifs. Nous avons ainsi assisté à quatre propositions différentes, défendues avec intensité devant le jury mais aussi un public réceptif, dans une atmosphère enthousiaste et bienveillante. Cette finale constituait pour nous une immersion chaleureuse au milieu d’une scène émergente locale et pleine de promesses, au cœur d’une région dont l’appétit pour le rap nous semble encore sous-estimé. Ce fut ensuite au tour du vainqueur de l’édition précédente, Enock, de performer, avant que le jury ne rende son verdict. Leur choix s’est porté sur Toera qui représentera les couleurs de l’AuRa à Marseille dans quelques semaines. Trait d’union les codes du rap et une esthétique punk, la rappeuse impose un univers marqué et détonnant, d’évidence singulier, qu’elle fait exploser sur scène avec une énergie contagieuse.
Dans ce panel qualitatif, nos affinités musicales nous ont davantage rapprochées de deux artistes qui se sont également distingués ce soir-là et que nous avons l’opportunité d’interviewer quelques minutes après leurs shows.
Commençons par Noreah qui a ouvert la soirée. Nous l’avions découverte l’an passé avec le projet Gemmes avant de la redécouvrir sur la scène de Bizarre ! à l’occasion d’un triple plateau féminin aux côtés de Sheng et Chilla. Artiste au confluent des genres, elle navigue entre RnB, Soul, afropop et rap, pour développer un répertoire mêlant intimisme et universalité, avec notamment pour atouts, une certaine puissance vocale, un charisme naturel et une indéniable prestance. Tandis que nous avions les yeux rivés sur la scène, Noreah a débuté son live au milieu du public, créant un premier effet de surprise et déjouant nos attentes. Une entrée en matière audacieuse, qui traduisait un goût du risque et dévoilait un tempérament n’ayant pas peur de se mettre en danger. L’effet s’est accompagné de faits, elle a su nous cueillir par la diversité des morceaux choisis en nous montrant une palette plus large que celle que nous connaissions. Le premier acte fut plutôt chanté et doux, avant qu’elle n’opère un virage rap aussi surprenant que réussi, passant de sonorités Jersey à un run de six minutes et neuf secondes (les lyonnais auront saisi le clin d’œil) de freestyles. Les intentions aventureuses musicalement et ambitieuses dans le déroulé du set s’accordaient avec une exécution convaincante entre assurance et franchise. Ce désir de polyvalence et cette soif de défis, nous semble affirmer une artiste refusant les certitudes afin de continuer d’explorer différents univers de la galaxie hip-hop pour enrichir sa proposition.
Entretien avec Noreah
Comment te sens-tu quelques minutes après ce live ?
Noreah : Euphorique ! L’énergie était quand même assez forte, il y avait beaucoup d’adrénaline mais également du stress donc je redescends. Je suis contente de ma prestation, il y avait aussi beaucoup de joie et beaucoup d’enthousiasme, maintenant on attend les résultats (ndlr : rires).
Comment a été pensé ce set ? Avec ce début au milieu du public puis le final en mode rap sur une tonalité très différente de ce que j’avais déjà pu entendre de toi…
Noreah : L’idée de commencer en fosse dans le public puis de marcher jusqu’à la scène vient de ma manageuse. Nous avions déjà essayé lors de la première qualification Buzz Booster à Grenoble. Je trouvais ça cool car être physiquement proche du public cela crée tout de suite un lien. Après c’est vraiment un test, c’est quelque chose que je n’ai pas fait très souvent et qui, peut-être, mérite d’être repensé.
Pour le reste, moi j’ai commencé par le rap. De base, j’écrivais beaucoup dans une veine un peu rap hardcore et c’est ensuite seulement que j’ai fait évoluer ma direction artistique en allant vers quelque chose plus en accord avec ma féminité. J’ai alors commencé à chanter et jouer avec les sonorités. Ce soir c’était un peu un retour aux sources que d’aller sur du freestyle pur et surtout de montrer que je peux le faire aussi. Le jury n’a pas forcément idée de ce que je peux faire côté rap et je voulais le mettre en avant.
C’est quelque chose vers lequel tu es susceptible de revenir ponctuellement ?
Noreah : Oui. Je n’ai pas forcément envie d’enlever ça de mon identité musicale. Je trouve que le mélange entre ma voix chantée et ma voix rappée est intéressant à exploiter. Je peux faire des choses très posées, très « ballades », très calmes… Mais ce côté très urbain, très rap fait partie de moi et je pense qu’il restera.
De manière plus générale, est-ce que tu as l’impression qu’aujourd’hui il est nécessaire pour un artiste hip-hop d’être polyvalent ?
Noreah : Pas forcément, en tout cas pas pour tous les artistes. Je pense que lorsque l’on a une identité construite et que le public adhère musicalement à ce que l’on fait, il suit. Dans mon cas, j’ai du mal à m’enfermer artistiquement. Je trouve qu’il y a tellement de choses à faire en mélangeant les genres et je pense que tout simplement cela fait partie de ma personnalité ! J’écoute de tout et j’essaie de mettre de tout j’ai en moi pour que ça fasse du Noreah. Je sais où je veux aller, j’espère que le public le voit et qu’il adhère.
Si on revient sur Buzz Booster, qu’est-ce que ce concours t’a apporté ?
Noreah : De la discipline. Quand on est artiste, on est très créatifs, très ouverts, on donne tout mais on est pas forcément cadrés. Le fait d’avoir des objectifs amène à se poser des questions qui nous aident au quotidien. Qu’est ce que je veux montrer de moi ? Qu’est-ce que je veux mettre en avant ? Participer à des concours, au-delà de gagner et d’avoir un support pour se faire connaître, aide à se professionnaliser, cela nous rappelle que c’est un travail et qu’il faut le faire bien.
J’avais été au concert où tu partageais l’affiche avec Sheng et Chilla, il me semble que c’était l’une de tes premières scènes ?
Noreah : J’avais déjà fait des scènes notamment au Loupika, mais c’était le premier « vrai concert que je faisais. C’était la première fois que j’étais en première partie d’artistes plus connues. J’avais été suivie pendant un an avec le dispositif Plan B et j’avais préparé cette scène durant tout ce temps. Il y avait beaucoup d’enjeux, j’avais envie de montrer que j’avais pris en compte les conseils et que j’étais prête à affronter le public. C’est un souvenir qui restera pour toujours. C’était un début pour moi, beaucoup de professionnels étaient présents et beaucoup de portes se sont ouvertes grâce à cette date.
Quelles sont tes actualités en termes de sorties et de scènes dans les mois qui viennent ?
Noreah : Je sors mon EP, Le Poids des rêves, en cascade, il reste encore trois sons du projet à dévoiler qui arriveront avant l’été, mais qui ne sont pas encore annoncés. Sur scène je serai cet été au Woodstower (ndlr : le dimanche 20 juillet) et sinon j’ai également plusieurs concours à venir.
En attendant découvrir l’EP de Noreah, Le Poids des rêves, dans son entièreté (on recommande l’écoute du très bon single Blackout sorti début avril) ou la voir sur la scène du Woodstower le dimanche 20 Juillet au Parc de Gerland, vous pouvez la retrouver sur les réseaux et plateformes.
Prochains concerts :
Jeudi 10 Juillet – Première Partie La Marmite – Bar La Pente – Lyon 1er
Dimanche 20 Juillet – Woodstower – Parc de Gerland
LUPI’O s’inscrit dans une tradition de rap identifiable, qui serait celle par laquelle nous avons découvert le genre entre la fin des années 90 et le début 2000, celle d’un boom bap maîtrisé techniquement et solide sur ses lyrics. Un rappeur qui semble savoir parfaitement ce qu’il fait et où il va, pratiquant un rap de puriste (ce n’est pas un gros mot) avec des références palpables (Fabe, Arsenik, Niro…). Ce positionnement, qui peut paraître étonnant de la part d’un jeune artiste, s’inscrit dans une séquence, où l’envie de revenir aux fondamentaux s’exprime d’Alpha Wann à Souffrance, pour ne citer qu’eux, après une décennie 2010 qui s’est caractérisée par de nombreuses mutations esthétiques (trap, cloud rap, autotune, virage nouvelle pop…). Au-delà de la cohérence de son univers, LUPI’O l’incarne avec aisance, spontanéité et simplicité sur scène, il sait créer un lien instinctif avec le public. Fort d’une énergie galvanisante, il a proposé un show généreux et intimiste. L’intensité est montée crescendo jusqu’à un final qui l’a vu descendre dans la fosse. Un moment aux airs de communion, venant abolir le peu de distance qui existait entre lui et les spectateurs. Idéal pour conclure une prestation où rien ne semblait calculé si ce n’est l’envie de donner le maximum et sans compter.
Entretien avec LUPI’O
Comment on redescend de ces vingt minutes de scène ?
LUPI’O : Avec un grand verre d’eau, une serviette de bain pour essuyer la transpiration et un bon check avec les copains ! Et après ces deux minutes, tu redescends, mais au moment où tu sors, t’as chaud. C’est aussi intense qu’un match de foot niveau fatigue, mais condensé sur vingt minutes. Là, je ne vais pas te mentir, je n’ai qu’une envie, c’est d’aller voir les gens qui étaient là pour partager les retours et les remercier d’avoir donné de l’énergie.
Comment tu as préparé ce set et pensé cette finale ?
LUPI’O : Vingt minutes, c’est un peu contraignant. Sur les dernières scènes que j’ai pu faire, j’avais souvent droit à un set de trente voire trente-cinq minutes, donc j’ai été obligé de faire des choix qui crèvent le cœur… J’ai envie de jouer tous les sons que j’aime bien. Concrètement, j’ai gardé les derniers morceaux que j’ai sortis et des enchaînements de morceaux que je fais à chaque fois ça je trouve que musicalement, ça marche bien. Les trois premiers morceaux de mon set de ce soir, ce sont les mêmes premiers morceaux que sur mes dernières dates. Ensuite, il y a l’énergie, là en l’occurrence sur ce set, on finissait par deux morceaux bien énervés car j’avais l’ambition d’arriver à faire danser un peu les gens.
Que représente la scène pour toi ?
LUPI’O : C’est un peu la consécration d’un morceau. Tu as passé du temps à l’écrire, des heures à l’investir puis à faire tourner la prod dans tes oreilles, ensuite tu passes du temps à l’enregistrer, à le mixer, à le masteriser, à communiquer et à le défendre une fois qu’il est sorti… Soudain, en concert, tu le fais avec des gens, ils peuvent être deux ou trente, peu importe, tu vas avoir un gars qui est là, qui a le son, qui a les paroles, et quelque part tu as gagné. Je trouve que c’est le moment où tu comprends pourquoi tu t’es acharné à défendre ce morceau. Au final, même si on est encore à petite échelle, les petits chiffres que l’on peut faire, ils font plaisir, mais ils ne sont pas palpables : que le morceau fasse 100 écoutes ou qu’il en fasse 100 000 en vrai, les 100 000 tu ne les croises pas. En revanche, en concert, tu te rends compte que si des gens se déplacent, investissent le truc et connaissent le morceau. La scène a forcément une place un peu particulière.
C’est la première fois que je te voyais sur scène mais je te sentais assez serein, pleinement dans ton élément, jamais en démonstration…
LUPI’O : J’ai la chance d’avoir pu faire pas mal de petites scènes « bourbiers » à Lyon. Surtout, cette année, j’ai également fait beaucoup de premières parties, ce qui permet d’aller chercher des gens, de découvrir d’autres publics, d’autres salles. En deux-trois ans j’ai dû faire au moins quinze concerts. Je suis dans un moment où je suis très serein sur mes morceaux, très à l’aise avec les gens, avec mon set. Je n’ai plus besoin de prévoir dans le détail ce que je fais, je me laisse aller. Les trucs importants, je sais que je vais les dire intuitivement et après tout le reste, c’est le show ou le moment qui choisit en quelque sorte. Quand je descends dans la foule, ce n’est pas prévu. Les gens que j’ai regardés dans les yeux ce soir, je me rappelle d’eux là. J’ai besoin de vivre l’instant.
Dans tes textes, tu revendiques ton appartenance à Lyon… Comment sens-tu le vivier lyonnais ?
LUPI’O : Il se porte bien. Je suis très pragmatique, c’est la deuxième plus grande concentration d’habitants en France. Lyon n’a jamais eu droit à ses étoiles, mais il y a plein de gens qui font de la musique et qui sont très chauds. Alors forcément, étant lyonnais et chauvin, j’ai envie que la ville brille, que les gens qui font bien les choses ici puissent voir la lumière. Je parle des artistes, mais aussi des compositeurs, des salles, des tourneurs… On a énormément de talents mais c’est encore peu développé, ou du moins c’est n’est que le début. Il existe des structures, mais c’est encore très sectorisé et il reste beaucoup de choses à faire. Tout le monde porte ce drapeau là, moi pas plus qu’un autre, c’est ça qui amènera la ville là où elle doit finir.
Tu t’inscris dans une tradition boom bap « à l’ancienne », où est-ce que tu te situes dans le rap d’aujourd’hui ?
LUPI’O : Je suis un bousillé de rap avant tout, donc mon objectif, c’est de continuer le mouvement. Les rappeurs que je cite dans mes textes sont des références que je me suis mangé comme beaucoup d’autres trucs. Et en même temps dans mon quotidien j’écoute Leto ou Hamza par exemple. Donc je suis entre ces deux identités. À terme, musicalement j’ai envie d’amener un truc dans lequel on retrouverai à la fois des couplets avec des codes rap qui me parlent et me plaisent mais aussi ce petit refrain un peu ouvert qui me fait m’évader quand je l’écoute, qui ne reste pas juste dans un truc très chargé. J’ai l’impression que peu d’artistes proposent un entre-deux qui a cet équilibre que j’ai envie de trouver. J’ai des morceaux full boom-bap où je découpe sur quatre minutes sans refrain et d’autres bien plus chantonnés qui vont arriver bientôt. J’essaie de concilier les deux.
Tu devrais sortir un nouveau projet avant l’été ?
LUPI’O : Au début de l’été si tout se passe bien, un an après le projet précédent. J’ai beaucoup travaillé cette année et j’ai des morceaux qui dorment, j’ai hâte que les gens se les mangent.
Et côté scène, quelles sont tes actualités ?
On fait une petite pause à Lyon, par contre je serai à la Boule Noire à Paris le 25 juin, pour un gros plateaux avec quatre artistes lyonnais !
Avant la sortie du nouveau projet de LUPI’O, on recommande d’aller écouter le précédent, Y’a R qui change, disponible sur toutes les plateformes.
Prochain concert :
Mercredi 25 juin 2025 à 19h30 à La Boule Noire
Propos recueillis le 24 avril 2025.
Un grand merci à Noreah, LUPI’O et aux équipes de Bizarre !
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