Il suffit de quelques notes pour entrer dans la danse. Dès le générique, la musique d’Alexandre Desplat instaure une tension cabossée, qui fait directement écho à celle qu’il avait composée sur The Ghost Writer de Roman Polanski. L’atmosphère est d’ores et déjà au chemin non linéaire, aux rebondissements. De l’orgue, des cloches, des trompettes, soit des instruments de faste royal, avec des flûtes à bec, des cordes fureteuses et des élans souterrains. Le film est résumé en trois minutes chrono.

The Lost King (c) Pathé Productions Ltd

Sur The Lost King, Stephen Frears s’associe de nouveau avec Steve Coogan et Jeff Pope, ses scénaristes de Philomena (2013), pour une autre « histoire vraie » : celle de Philippa Langley, citoyenne écossaise décidée à retrouver la dépouille du souverain Richard III, selon elle injustement traité par l’Histoire. Sa prise de conscience se manifeste lors d’une représentation du drame « historique » de Shakespeare (paru en 1597) sur cette figure vile et bossue, assassine et usurpatrice de trône. Philippa vient de se faire licencier de son travail et a tout le temps d’explorer la vie et la mort de ce Richard, mort au combat en 1485 contre Henri Tudor, prétendant au trône d’Angleterre. Le souverain ne serait finalement pas si méchant que l’on aurait pu le croire, la propagande de dénigrement par les Tudors se serait appliquée à influencer le trait de plume de Shakespeare, et son squelette se trouverait même sous le parking des services sociaux de la ville de Leicester. Le conditionnel est partout, et c’est cette quête de l’intuition, plus que de la preuve, que le film relate. Jusqu’à l’exhumation d’une dépouille scoliosée (2012), dont l’ADN, comparé à celui des descendants actuels du dernier des Plantagenêts, confirme l’identité de Richard III. Le roi maudit est effectivement un roi légitime, et mérite des obsèques, qui se tiendront à Édimbourg en 2015 ! Philippa avait vu juste.

The Lost King (c) Pathé Productions Ltd

Stephen Frears se penche, comme dans The Queen (2006) ou Philomena, davantage sur les mécanismes que sur la restitution exhaustive des faits. Si la réhabilitation d’un monarque du XVe siècle nous préoccupe relativement peu en France, le traitement du combat de Philippa nous touche au cœur et questionne sur le pouvoir des convictions. Philippa est atteinte d’un syndrome de fatigue chronique (SFC), qui la handicape auprès de ses recherches, et donne l’occasion à ses détracteurs de la décrédibiliser par principe. La ritournelle du générique invoquait le thriller politique et paranoïaque ; on est en plein dedans. Car entre les représentants sans scrupules d’institutions à qui Philippa demande des financements, et les adorateurs loufoques de la Richard III Society, les théories se perdent souvent contre les décideurs. Quelle place également donner au sentiment de toucher à quelque chose quand elle ne peut opérer seule ? À travers sa galerie de personnages dysfonctionnels, Stephen Frears utilise son arme miracle de l’ironie pour analyser le tissu social du pouvoir. La promesse du réel s’oriente vers la noblesse de la fiction, qui s’articule à son tour sur la construction des récits collectifs. L’opinion négative sur Richard III s’étant développée en partie à cause du traitement shakespearien, la mission de Philippa cherche à partager aux universités et aux collectivités territoriales les bonnes interrogations pour changer l’ordre établi. La Richard III Society, ensemble hétérogène de piliers de bar solitaires, prend forme comme véritable entité lorsque ses adhérents participent généreusement à la levée de fonds de Philippa. Tout peut changer, donc pourquoi pas l’Histoire ?

The Lost King (c) Pathé Productions Ltd

La puissance du doute fait foi avec autant d’intensité que la verve de ce personnage à justifier ses capacités. D’abord auprès de ses enfants, qu’elle élève seule. Puis après de son ex-mari (le flegmatique et drolatique Steve Coogan, co-scénariste). Ensuite, auprès des instances dirigeantes et des « sachants » qui regardent d’un œil moqueur son intuition peu étayée de preuves (qu’elle ne peut récolter à sa seule échelle). Et enfin, vis-à-vis d’elle-même et de son handicap. Richard III lui apparaît régulièrement, en tenue d’époque, pour conforter l’avancée de son travail sans pour autant lui donner des pistes pour continuer. Ces dialogues, peut-être pas nécessairement les plus réussis du long-métrage, sont néanmoins des bulles d’air comme des checkpoints dans l’évolution de sa psychologie. Son syndrome de l’imposteur fait croiser les sources à Philippa, afin d’atteindre le niveau d’exigence des universitaires qu’elle contacte. La skyline en relief de la capitale écossaise répond aux creux et aux manquements des études sur Richard III. La recherche de la vérité résonne dans une quête pour se faire entendre, pour montrer que sa voix compte aussi. Son émancipation par l’amour impossible (ici de l’investigation) la guérit de son regard de soi sur elle-même. Sally Hawkins donne d’ailleurs tout pour The Lost King : la sincère candeur, l’énergie vidée, la tendresse persuadée. Elle mène avec brio les lignes que les scénaristes lui font partager avec tous ses interlocuteurs, et les situations que Stephen Frears balaye d’un arc-en-ciel de caractères.

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