Depuis sa prime enfance, Qiao (Weichen Luo / Anke Sun) a entretenu une relation difficile et heurtée avec son père. La mort de ce dernier va résonner d’une façon lente et diffuse, semant le trouble dans son esprit durant de longues années. Jiantang (Song Yang) n’a jamais cherché à entendre les signaux de détresse affective lancés par son fils, lui imposant aux forceps sa ligne de conduite, notamment sa passion pour l’art pugilistique. Alors que la communication s’est avérée quasiment impossible lorsque le père et le fils étaient physiquement ensemble, la technologie donne accès à un sas hors du temps. Qiao consulte sur sa boite vocale les messages de son père annonçant ses séances de chimio, puis plus âgé il sera en mesure de le faire revivre sous une forme virtuelle. Lors de l’enterrement, l’oncle de Qiao a écrit un hommage louant les supposées qualités de son père. Le jeune homme refuse de prononcer de telles inepties et quitte la cérémonie. Mais qui était réellement ce père ? La quête de vérité est ponctué par des intertitres reprenant les assertions de l’hommage funèbre pour mieux les remettre en question, souvenirs et réflexions à l’appui.
My father’ song, deuxième long métrage de Qiu Sheng prend la forme d’un voyage aux desseins introspectifs et cathartiques pour un réalisateur qui a perdu son père au même âge que son personnage principal. Le récit intimiste et inéluctablement universel aborde avec courage et circonspection les voies labyrinthiques du deuil, en convoquant comme guide la mémoire. La mémoire et ses failles : les trous noirs, les sources divergentes, la focalisation sur des moments clés… Passé, présent, projection dans son propre futur de père ; les temporalités s’entrechoquent, brouillant les frontières entre les causes et les conséquences, les peurs et les certitudes, les faits et les paroles. Si, à certaines reprises, les regards caméras et de lents panoramas soulignent ostensiblement voire trop prosaïquement les passages entre les temporalités, les oppositions en termes de photographie sont du plus bel effet : choix des accessoires–vielles ampoules- et effets de la lumière naturelle pour le passé, artificialisation des teintes pour le futur. Déconstruire une image réellement virtuelle car nourrit d’attendus, de poncifs sociaux et moraux, pour parallèlement donner naissance à une image virtuellement réelle car alimentée des véritables pensées du défunt, le concept permet d’approcher, sans aucun manichéisme, l’humanité des personnages. Dommage, cependant, qu’une forme de distance érode l’empathie qui aurait permis de nous émouvoir. L’aspect maîtrisé mais clinique de la mise en scène, le jeu par trop en retenu des acteurs y contribuent en grande partie.
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La possibilité de se confronter à un père fantomatique- déjà absent de son vivant-, repose sur deux croyances ; une de nature irrationnelle, spirituelle et affective : l’immortalité de l’âme, une autre apparemment plus fiable et structurable,: une obédience aveugle aux pouvoirs bienveillants et illimités de la technologie. Qiao, programmateur d’un jeu de boxe, a généré grâce à une intelligence artificielle, un double de son père. On appréciera particulièrement l’intelligence avec laquelle le scénario aborde la thématique de l’I.A, en évitant aussi bien une leçon de Technologie que de Morale, mais non sans une pointe d’ironie lors de la scène où des jeunes trouvent irréaliste le calme qui règne au bord d’une rivière. Le concept de réalité alternative ou d’étrangeté ainsi transposés dans le quotidien le Fantastique de Qiu Sheng se tient sur une ligne de crête explorée notamment dans l’univers de Kioshi Kurosawa, Vers l’autre rive(2015), plus précisément ici. Comparaison un peu flatteuse car Qiu Sheng ne boxe pas encore dans la même catégorie, mais il montre suffisamment de singularité et d’humilité pour se positionner comme un auteur à suivre.
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