Si le titre français du premier long métrage de la scénariste Ally Pankiw, Sam fait plus rire, conserve par son calembour un peu poussif les traces plus ou moins discrètes d’une légèreté intrinsèque à son personnage principal, son titre original ne porte plus en lui-même la moindre ambiguïté : « I Used To Be Funny », mais tout cela, c’est du passé ; le rire n’est plus, disparu exactement au même moment que celui lors duquel Sam, interprétée par l’extraordinaire Rachel Sennott, a vécu son traumatisme, celui-là même qui l’empêche de vivre son quotidien le plus élémentaire. Exemple frappant : le bain qu’elle prend dans la première scène du film est applaudi comme un micro-événement dans la colocation où ses deux amis et collègues humoristes (interprétés par les excellents comédiens de stand up Sabrina Jalees et Calb Hearon) vivent avec elle et la supportent du mieux qu’ils peuvent, avec une grande générosité et un certain sens du sacrifice personnel. Car oui, en effet, comme eux, Sam est humoriste ; le simple fait d’être dans l’incapacité totale de rire et de faire rire s’avère une blessure de premier ordre dans la vie délitée de ce joyeux luron au féminin devenu triste comme les pierres.

Un bain comme micro-événement (R. Sennott) (©Wayna Pitch)

Sam fait plus rire contient simultanément en lui le froid du réel et la chaleur d’un sorte d’idéal bienveillant, une gentillesse édulcorant assez, du moins dans un premier temps, les aspects dépressifs du long métrage que nous devinons instinctivement pour ne pas faire d’abord un peu peur, laissant poindre une stratégie d’évitement de son sujet. Il n’en est finalement rien ; très proche de Sorry, Baby d’Eva Victor, sorti une semaine auparavant, par son approche subtile et sa volonté de diffraction narrative permettant d’évoquer un traumatisme ô combien similaire, il prend cependant le parti de montrer la reconstruction de son personnage par la notion préalable de perte, faisant de l’humour un angle mort, une sorte de pente à remonter lorsque que l’oeuvre de Victor en fait la condition sine qua non du retour à la vie. La première perte que nous propose Ally Pankiw, c’est celle de Brooke (Olga Petsa), jeune adolescente rebelle dont Sam apprend la disparition par la télévision. L’aspirante humoriste qu’elle était alors servait de baby sitter amie à cette fille aussi rousse que revêche, mortifiée par l’état de santé d’une mère cancéreuse et délaissée par un père flic très absent et ne sachant pas par quel bout prendre l’éducation de cette progéniture de plus en plus difficile. Sam est la dernière personne à avoir communiqué avec Brooke avant sa disparition ; devant de son côté résoudre ses problématiques personnelles trop lourdes, elle avait refusé de la voir alors que l’adolescente, désespérée, était venue chez elle quémander son aide et/ou son appui. Et Sam, se sentant coupable, de mener ses recherches, tout autant pour retrouver cette jeune fille qu’elle aime profondément que pour tenter de sauver ses propres meubles.

Le monde du stand-up comme soutien (R. Sennott, C. Hearon) (©Wayna Pitch)

L’habileté de Sam fait plus rire se trouve dans son éclatement narratif et temporel, racontant en alternance l’attachement unissant les deux filles dans une sorte de rapport joliment sororal permettant une description de personnages féminins apparemment forts mais recelant en eux une profonde fragilité existentielle, et l’effilochement de ce lien pourtant solide provoqué par l’agression que Sam subit, traumatisme indirectement relié à Brooke. Par sa narration diffractée, Ally Pankiw dédouble la disparition de l’adolescente en créant les conditions de l’isolement du personnage de Sam, exfiltrant de son présent tous les éléments de sa vie antérieure à l’agression qu’elle a vécue, ayant déjà fait disparaître Brooke une première fois dans les rais spatio-temporels d’un montage cherchant tout autant à faire ressurgir une vérité que la mémoire traumatique rend nécessairement parcellaire qu’à reconstituer le puzzle de cette mosaïque de souvenirs pour certains ressassés. Renouer les fils du passé (l’agression) avec ceux du présent (la disparition de Brooke et l’enquête pour la retrouver) devient le seul moyen de s’accrocher à des repères plus ou moins tangibles, fragiles planches de salut.

Ombres et lumières de Sam (R. Sennott) (©Wayna Pitch)

Et le film de raconter non pas seulement la perdition de Sam et sa tentative de se reprendre en main mais également la tristesse de Brooke, conversant avec celle de son amie baby sitter et lui répondant de façon presque hélicoïdale au sein de cette narration tout à la fois limpide et complexe, faisant du temps une relativité, les trajectoires erratiques de deux jeunes filles-femmes aboutissant au même malaise et à la même solitude. Voici certainement le véritable sujet de Sam fait plus rire : la solitude qu’affrontent les femmes et les hommes une fois qu’elles ou ils ont subi la dure loi de la vie et ses cruautés les plus profondes. Si les personnages principaux sont féminins du fait de leur attachement naturel et du besoin d’aborder ce thème aussi actuel que primordial des agressions sexuelles, le film aborde également l’injustice des trajectoires de vie et la solitude qui en découle par le versant masculin (le personnage très triste de Noah [Ennis Esmer], compagnon de Sam au moment de son agression, qui se retrouva abandonné sans aucune explication du jour au lendemain, et qui devient l’être éconduit cherchant perpétuellement à recoller les morceaux d’une relation moins brisée qu’emportée dans une tempête intime). De Sam s’isolant après son traumatisme au sentiment d’abandon que vit Brooke après la maladie de sa mère adorée, Ally Pankiw ne raconte finalement rien d’autre que le téléscopage de deux solitudes, de deux crises personnelles, de deux souffrances profondes et de deux amitiés aussi douloureuses qu’indéfectibles vouées à se ressouder. Comme le chante si bien Bruce Springsteen, qui aurait pu figurer dans la bande originale très pop rock du film, « two hearts are better than one ».

Deux solitudes assemblées (O. Petsa, R. Sennott) (©Wayna Pitch)

Non départi de quelques scories évitables mais classiques de première oeuvre comme une certaine frilosité formelle ou cette volonté parfois trop insistante de vouloir expliciter ce qui est plus finement évoqué quelques séquences plus tôt, ne dosant pas habilement l’alternance entre ses ombres cafardeuses et sa joie parfois irradiante, Sam fait plus rire reste néanmoins un joli film prometteur et très émouvant, ne tombant jamais dans les facilités mélodramatiques et privilégiant une belle subtilité dans l’écriture de ses personnages très touchants. Ally Pankiw se révèle comme une charmante découverte.

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A propos de Michaël Delavaud

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