Avec « Hors Satan », Bruno Dumont semble être au plus près de son idée de cinéma. Entre les forces telluriques, dignes d’un Pialat, qui l’animent et les mystères, dignes d’un Tourneur, qui le couvent, « Hors Satan » trouve un équilibre autour de ce qui pourrait être la plus juste définition du fantastique: l’émergence, dans le réel, de l’inexplicable. Un film merveilleux, au sens propre…
Le cinéma de Bruno Dumont s’affiche, depuis ses débuts, comme un objet singulier, entre épure stylisée et mysticisme prégnant: une marque de fabrique qui a navigué entre le drame policier et le film de guerre, construisant une œuvre cohérente et très identifiée. Presque monolithique.
La vision de « Hors Satan » nous rassurera sur un point: le cinéma de Bruno Dumont s’érigeait avec noblesse, presque fier, mais surtout, il allait quelque part, vers un ailleurs, une ligne d’horizon. Tout comme son personnage de « Hors Satan » qui semble voir dans le ciel ce qui semble échapper à nous tous, Bruno Dumont n’a cessé de tendre vers son horizon, une sorte d’idéal de représentation hanté par des visions spirituelles. Il cherchait. Et « Hors Satan » trouve…
Dans un nouveau monde sans Dieu existe « l’homme ». Soulager une femme possédée par l’épilepsie, débarrasser un village du mal ou faire ressusciter les morts: l’homme réalise des miracles et, tâche accomplie, s’en va…
Simplicité d’un récit presque archaïque, vécu comme modèle archétypal et tentative de représenter « le miracle », évènement presque infigurable – si on se refuse au folklore – et qui a hanté nombreux réalisateurs, Dreyer en premier lieu….
Comment représenter cette manifestation de l’au-delà, cet ailleurs infigurable? C’est par l’épure, du récit puis de la forme, que Bruno Dumont tente une réponse, en reconsidérer le plan selon une « logique du vide ». Mais un vide qui n’est pas rien: il est « espace à combler » et c’est en lui que viendra se nicher le caractère profondément mystérieux du film, se glisser un trouble presque hypnotique qui participe à l’épaisseur de l’œuvre. Finalement, c’est par cette épure que se dit l’essentiel, se faisant côtoyer une réalité vraisemblable – cet homme est une image contemporaine du SDF – et un indicible qui surgit doucement, s’installe comme un profond mystère, fondamentalement fantastique car opérant sur l’image un glissement mettant à l’épreuve le tangible… Les images de Bruno Dumont existent, s’affirment, mais préfèrent suggérer un perpétuel devenir, ouvertes à toutes distorsions qui les transforment et les transcendent… Le prix sera d’en accepter le voyage et de s’inviter, en tant que spectateur, à la vison…
Cette invitation au voyage c’est la toute croyance en un cinéma langagier, une sorte de foi en sa puissance d’expression qui le mène très haut dans les sphères d’un « art magique » qui pourrait signifier beaucoup en montrant peu. La démarche s’inscrit complètement à contre-courant d’une tendance moderne qui, en surchargeant le cinéma d’images et de sons, de montage épileptique, finit par lui ôter tout pouvoir: c’est, finalement, le faiseur d’images qui décide… pas le cinéma. Animé profondément par la foi qu’il lui porte, Bruno Dumont laisse donc le cinéma venir à lui totalement – sous-entendu avec ses imperfections et ses accidents – et l’éloigne définitivement de toute vision béate. En acceptant le cinéma de façon si brute, mais si belle, Bruno Dumont lui redonne son pouvoir: une dimension spirituelle, magique, mais sans Dieu. C’est une spiritualité à hauteur d’homme, animée par des forces telluriques, qui dessine une large palette de sentiments forts pour ses personnages et envisage le spectateur comme un être pouvant s’élever. Rarement le spectateur n’aura été tant respecté, loin de l’image de simple consommateur.
Il n’y a pas donc pas de perfection chez Bruno Dumont: Dieu est mort… Mais les puissances restent et dessinent un idéal à explorer pour le cinéma. Et si les églises s’effondrent un jour, les salles de cinéma leur survivront.
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