Il y a un peu plus d’un an était projeté Duel à Monte Carlo Del Norte sur les écrans de l’Etrange Festival, ravissant alors la salle 300 du Forum des Images, pas loin d’être comble. En jouant des coudes, ce nouveau très beau film d’animation du génial démiurge Bill Plympton est parvenu, enfin, à se frayer un chemin vers les salles françaises, sous l’égide du courageux distributeur (et co-producteur) ED Distribution. Et le public de pouvoir découvrir ce mélange des genres génialement inventif, puisant principalement dans le western, mais aussi dans le musical, le métafilm, le film de monstres, et un burlesque qui doit tout autant au surréalisme délirant de Tex Avery qu’à un sens achevé de l’absurde qu’on retrouverait chez les britanniques Monty Pythons

Archétypes du western (©ED Distribution)
Le classicisme irrigue ce dixième long métrage de Plympton, dont le titre original, Slide, évoque tout autant la guitare country de son personnage éponyme et la glissade dans un déchaînement comique dont le sens du délire ne semble jamais lassant. Il fait le récit d’un homme solitaire et justicier à ses heures débarquant dans une ville de l’Ouest aux abois à cause d’un petit dictateur local détruisant tout autant l’environnement et le village de pêcheurs qui la jouxtent, ceci afin de construire en quatrième vitesse les infrastructures permettant d’accueillir un tournage de film hollywoodien, dont un barrage peu rassurant (les castors grâce auxquels Slide arrive dans la ville sembleraient plus de confiance que cette main de l’Homme peu assurée). De fait, Duel à Monte Carlo Del Norte reconduit sans aucune forme d’hésitation les archétypes du western le plus traditionnel, des personnages stérotypiques aux situations les plus codifiées (les scènes de saloon, les gunfights…). Bill Plympton n’a cependant d’autre ambition que de dynamiter les genres auxquels il s’attelle (le genre westernien en premier lieu, donc), ceci en les superposant les uns sur les autres jusqu’à une alliance aussi loufoque que parfaite, dans une logique comique et contestataire, parfois délicieusement paillarde. En situant cette nouvelle conquête de territoire dans le courant des années 50, décennie durant laquelle le star-system hollywoodien, et donc le classicisme, atteignirent une forme d »apogée dans un univers permettant la prolifération des vedettes comme sortant des chaînes d’une usine à rêves, Plympton confirme l’hypothèse d’une œuvre qui aurait infusé dans un cinéma fondateur, pour le meilleur (artistique) et le pour le pire (médiatique). Le portrait dressé de l’équipe de production cherchant à atteindre Monte Carlo Del Norte (actrice diva insupportable et entomophobique, acteur ventriloque alcoolo et laissant à sa marionnette le contrôle d’elle-même, vieux réalisateur tout aussi vénérable que prétentieux, productrice vénale et dépassée) ne laisse aucun doute sur la dimension critique prodiguée par un cinéaste qui se débrouille depuis toujours dans une économie financière plus que restreinte.

Portraits d’Hollywood (©ED Distribution)
Cet ancrage dans le classicisme pourrait néanmoins laisser penser, sur le papier, que Plympton s’est assagi. Simple façade, bien entendu : son cinéma tient justement et paradoxalement debout grâce à la précarité de son équilibre, garantissant une liberté absolue ; la folie furieuse de ce cinéaste d’animation se révèle peut-être même plus intense lorsqu’elle prend pour principe d’habiter, presque de parasiter l’ordre classique et établi (mais après tout, cette volonté de « parasiter l’ordre », d’autant plus s’il est moral, ceci quitte à en créer un autre, traverse l’ensemble de sa filmographie ). En gros, Duel à Monte Carlo Del Norte donne l’impression de voir un Clint Eastwood, celui des westerns s’entend, et particulièrement celui de Pale Rider (1985), qui aurait mangé un clown et bouffé de la vache enragée ! Pas un plan ne récèle en son sein une invention formelle et/ou comique agressive et/ou délirante, propre à sidérer ou à faire rire franchement, distorsion générique qui, jamais, ne vient perturber le cours d’un récit certes attendu (puisque assumément archétypal) mais résolument tenu.
Revoir ce petit chef-d’oeuvre un an après sa découverte à l’Etrange Festival trouble cependant au-delà de sa seule réussite artistique. Ses aspects politiquement visionnaires ne cessent de laisser pantois. Précédant de quelques mois le second sacre trumpiste auquel nous ne voulions pas croire sur l’autel d’une démocratie américaine malade, Duel à Monte Carlo Del Norte semblait déjà, lui, sentir l’avènement d’un autoritarisme menant à la destruction globale, qu’elle soit environnementale ou humaine, entre rejet de l’Autre (le joli personnage d’Hellbug voué aux gémonies des imbéciles nervis de l’homme de pouvoir, comme sorti des Mutants de l’espace du même Plympton [2001]), volonté de baillonnement des oppositions à la mégalomanie galopante du maire omnipotent Jeb Carver, et massacre d’une forêt sans intérêt puisqe inutile à la monétisation du territoire. De ce point de vue, la pertinence impressionnante de ce petit objet filmique en fait, sous ses airs foutraque de jouet de sale gosse, un beau brûlot politique.

La loi du plus fort (©ED Distribution)
Il y a donc quelque chose de profondément émouvant dans ce cinéma libre, difficile à élaborer (Duel à Monte Carlo Del Norte a mis sept ans à être créé et financé, crise du COVID oblige), viscéral et constamment hanté par un débordement de créativité que l’on ne retrouve finalement que chez Tex Avery (nous insistons : Plympton incarne peut-être le seul héritage du maître), les ZAZ ou Mel Brooks à son meilleur (le monstre Hellbug ne s’apaisant que par la grâce de la musique comme le Frankenstein parodique et mélomane incarné par Peter Boyle). Cette émotion transpire parfois lors de séquences inattendues (la mise en scène du coup de foudre entre le héros Slide et la prostituée chanteuse à la mélancolie presque lynchienne Delilah, aussi amusante soit-elle, s’avère aussi assez bouleversante par sa simplicité et son évidence), achevant de faire de ce magnifique film d’animation l’une des œuvres les plus marquantes de cette fin d’année.
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