Entretien avec Bill Plympton, réalisateur de Duel à Monte Carlo Del Norte : « Il est intéressant de constater que c’est un musicien, un guitariste, qui débarque dans ce monde pour lutter contre son système et sa corruption. »

Réalisé le 24 septembre 2024 deux semaines après la découverte de Duel à Monte Carlo Del Norte lors de l’Etrange Festival, cet entretien avec le formidablement gentil Bill Plympton accompagne la sortie en salles de cette oeuvre riche. L’occasion de parler des influences classiques et comiques du film, de la fascination du cinéaste pour les méchants de ses films, de leur dimension trumpiste alors même que le Président des Etats-Unis n’était pas encore réélu ou encore de l’importance de la musique dans son processus de création.

(vifs remerciements à Manuel Attali, co-producteur du film et interprète lors de cet entretien qui n’aurait pas pu aboutir sans lui.)

Quelle est la genèse de Duel à Monte Carlo Del Monte ?

Je voulais faire un long métrage d’animation qui contenait de la musique country de western. Parce que j’ai grandi avec cela. J’en ai toujours interprété moi-même, je joue de la slide guitar. J’ai roulé ma bosse dans les bars et les restaurants à New York. J’ai donc pensé que le western était le genre parfait pour mon hommage à cet instrument qui m’en cher. De plus, depuis que je suis enfant, j’adore dessiner les cowboys et les chevaux. Toute la journée. J’ai grandi en Oregon, qui est juste au nord de la Californie. Il y a dans cet état de nombreux arbres et de nombreux cowboys. J’ai donc considéré que c’était l’endroit parfait pour raconter l’histoire de Duel à Monte Carlo Del Monte. C’est un lieu où il y a beaucoup de bûcherons, de camions provenant des scieries du coin portant d’énormes troncs. Cela me permettait aussi de parler d’écologie, les bûcherons détruisant les forêts et leur écosystème à l’avantage de l’économie.

Vous avez un co-producteur, de surcroît français [Manuel Attali], qui est par ailleurs présent avec nous. Ceci est rare est dans votre filmographie. Qu’est-ce que cela a apporté à votre film ?

Cela nous a ouvert un apport financier du CNC qui, par ricochet, nous a permis de travailler avec Folimages, société ayant beaucoup apporté sur la mise en couleurs, donnant alors un rendu très professionnel. Cela m’a permis de gagner beaucoup d’énergie et beaucoup de temps durant la création du film.

(Intervention de Manuel Attali, à Bill Plympton) – Mais d’après ce que tu m’avais dit, l’apport n’était pas assez fort…

– Certes. J’en attendais plus. Mais l’argent… Pschhht !

 – Bill pensait que Folimages pourrait prendre plus en charge. Ils ont pris en charge trente à quarante minutes de la mise en couleurs du film. Il restait à Bill beaucoup de choses à faire. Et comme la texture de leur travail était très belle, faite par ordinateur, il a eu beaucoup de mal, a réservé beaucoup de temps pour retrouver les nuances dans les couleurs avec ses crayons.

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Vous semblez amoureux du classicisme hollywoodien, et de ce point de vue, Duel à Monte Carlo Del Norte ressemble presque à une apogée. Quel est votre rapport au classicisme ?

J’ai eu plusieurs influences pour ce film. L’une d’entre elles était Le Shérif est en prison de Mel Brooks (Blazzing Saddles, 1974). Je pense que c’est le western comique idéal. J’ai aussi pensé à Femme ou démon (Destry Rides Again de George Marshall, 1939), un film avec James Stewart et Marlene Dietrich, qui parle d’un shérif pacifique qui n’utilise pas de revolver pour lutter contre la corruption. La troisième influence que vous pouvez reconnaître est L’Homme des vallées perdues (Shane de George Stevens, 1953) : si vous vous rappelez la fin de ce film lorsque le héros quitte ce qu’il considère comme sa nouvelle famille et part dans les collines alors que tous l’appellent : « SHAAANE !!! SHAAANE !!! COME BACK !!! » Je ne me rappelle plus de l’acteur qui joue dans ce film… Ah si, Alan Ladd !!! C’est le film qui donnera plus tard Pale Rider de Clint Eastwood (1985)…

Auquel on pense beaucoup devant votre western animé…

Grâce au personnage commun de mystérieux lonesome cowboy.

Même si vous semblez révérer le classicisme, on a l’impression que le burlesque le dynamite. L’iconoclasme dont vous faites preuve est-il, paradoxalement, une forme d’hommage ?

Oui, certainement. Le genre du western est plein de clichés, plein d’icônes, pleins d’aventures stéréotypées. C’est par ailleurs ce qu’avait fait Mel Brooks : utiliser le burlesque pour rendre hommage au genre. Se servir des éléments iconiques, du conflit entre le Bien et Mal, pour faire des blagues sur tout cela. Par exemple, la séquence de mon film où Zeke, le frère du maire, demande à ses hommes de faire leur rire le plus méchant. C’est un cliché du genre, le rire du méchant ! (il l’imite avec délectation). Donc, donner au cowboy le plus rude le rire d’une petite fille (qu’il imite aussi)… Le public adore ça !

Votre fascination pour les méchants peut-il être mis en corrélation avec l’amour que vous portez aux visages que vous dessinez ?

Absolument ! Je pense qu’il y a plus de méchants dans ce film que dans n’importe quel autre film tourné depuis les débuts d’Hollywood ! (rires) Comme vous le dites, j’adore dessiner les méchants. (il montre les dessins préparatoires de Duel à Monte Carlo Del Norte, véritable bestiaire de visages patibulaires). Je pourrais dessiner toute la journée sans me lasser ce genre de personnage, il y a toujours des trucs amusants à inventer.

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Votre inventivité comique, justement, semble directement héritière de Tex Avery. Nous pourrions comptabiliser deux à trois idées burlesques par plan. D’où ces idées surgissent-elles dans votre esprit ?

J’ai toujours un carnet de notes sur moi… Bon, là, je l’ai laissé dans la pièce d’à côté (rires)… Et toute la journée, j’y note les idées amusantes qui me viennent. Il est important pour moi de faire rire les gens. Et durablement. (Il va dans la pièce d’à côté pour chercher son carnet afin de le montrer). Je le remplis au fil du temps, de jour en jour. Avec des idées de plus en plus amusantes, j’espère. Je suis fier que vous me compariez à Tex Avery car ce génie est l’un de mes héros. (il feuillette son carnet pour montrer les idées qu’il y a puisées pour Duel à Monte Carlo Del Norte). Attendez, je suis persuadé que j’avais mis un storyboard quelque part là-dedans… Cela ressemble un peu à un carnet de voyage artistique. C’était un beau voyage, ce film ! (montrant quelques dessins du carnet, placés de façon aléatoire sur une page) Alors ceux-là, c’est pour un projet futur de clip vidéo pour une chanson de Tom Waits, qui se passera dans un bar. Vous qui regardez cela, vous ne comprenez certainement pas ce que vous voyez mais pour moi, c’est limpide (rires). Tom Waits m’avait donné l’une des musiques qu’il avait composées pour l’un de mes films. Il m’a dit qu’il adorait mon animation, je vais donc essayer de lui apporter cela pour une vidéo.

Je reviens à ma question précédente, à laquelle vous n’avez que peu répondu, finalement : comment vos belles idées burlesques vous viennent-elles ?

De la rue ! Je capture beaucoup de choses dans la rue. Une partie de mes idées viennent des rues new-yorkaises parce que c’est une ville-cartoon. Tout est dingue, et tout le monde est dingue à New York !

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Votre burlesque est également politique, comme le prouve Duel à Monte Carlo Del Monte. Votre propos concerne principalement la critique du capitalisme sauvage, comme c’était déjà le cas pour L’Impitoyable lune de miel ! (I Married a Strange Person !, 1997). Considérez-vous votre art comme engagé ?

Non. Je ne me considère pas comme un cinéaste politique. Mais plus j’avançais dans la réalisation de mon film, plus je découvrais des similarités avec la situation de l’Amérique sous Donald Trump. Le méchant de mon film utilise la violence pour faire de l’argent, ce que Trump fait lui aussi. Et il est intéressant de constater que c’est un musicien, un guitariste, qui débarque dans ce monde pour lutter contre son système et sa corruption. Lui n’use pas de la violence dans ce combat, il joue de la musique.

Le personnage du méchant de votre film, Jeb, qui est le Maire de Monte Carlo Del Norte, évoque par exemple beaucoup le shérif interprété par Gene Hackman dans Impitoyable de Clint Eastwood (Unforgiven, 1992). Pour rebondir sur ce que vous dites, on pourrait presque dire que Trump est un méchant de western situé dans le réel…

Absolument ! Je le pense aussi. Il adorerait certainement être un méchant de cinéma. Il sait qu’il choque les gens, qu’il leur fait du mal. Il le comprend parfaitement mais il s’en fiche.

Au-delà du burlesque de votre cinéma sourd une forme de mélancolie. C’était assez frappant dans Les Mutants de l’espace (Mutant Aliens, 2001), film par certains aspects vraiment bouleversant…

Ah bon ? Vraiment ?

… Et cette tristesse est encore tenace dans Duel à Monte Carlo Del Norte. Par le biais de l’insecte géant, effrayant et pourchassé mais élément pacifique…

Aaaah oui ! D’accord ! Je pensais que vous parliez du personnage de la chanteuse, Delilah. Elle est vraiment mélancolique, elle chante des chansons tristes. J’adore les chansons tristes, ces ballades country lentes qu’on peut entendre dans les westerns. Mais vous avez raison : l’insecte géant est en effet un personnage très triste car il est finalement très seul, il n’a aucun ami. Même s’il a une belle maison où il boit du Martini toute la journée (rires)… son personnage porte en lui une forme de tragique, oui.

Cet insecte pourrait être un « Mutant de l’espace », finalement…

Il pourrait, oui, en effet ! En regardant l’affiche qui se trouve derrière vous (celle des Mutants de l’espace, donc…), c’est tout à fait vrai qu’il y aurait sa place.

Votre cinéma est empreint de tendresse. Je pense à une séquence très courte de votre nouveau film : la rencontre entre Slide et Delilah, et leur coup de foudre. Vous considérez-vous comme un cinéaste tendre ?

Non. Je pense que c’est le premier film que je fais qui fasse preuve d’un peu de tendresse. Je préfère mettre en scène la violence et la méchanceté dans mon humour. La brutalité et l’égoïsme des personnages. C’est donc un film spécial pour moi, par exemple pour cette scène où Delilah essaie de chanter une chanson d’amour très belle, très mélancolique alors qu’un revolver est posé sur sa tempe.

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Pour revenir à une question précédente, pensez-vous que Delilah est en elle-même un cliché de western ?

Oui, je crois. Les prostituées ont toujours été des personnages très forts et très importants dans la représentation de l’Ouest parce qu’il n’y a pas d’autres femmes à la ronde pour tous ces hommes dans les films. Les autres femmes semblent ne pas exister. Ce sont des personnages passionnants. Delilah veut juste chanter, alors que les hommes ne pensent à elle que comme un objet sexuel. Elle se lève contre cela et gagne la partie.

Parlons justement de la musique, très importante dans votre cinéma ; je pense à la scène de jazz chez les beaux-parents dans L’Impitoyable lune de miel !, bien évidemment à votre premier long métrage The Tune (1992)…

J’avais oublié la scène de L’Impitoyable lune de miel !, merci à vous de me rafraîchir la mémoire ! (rires). Oui, les beaux-parents se transforment en instruments de musique… Maureen McElheron, qui a composé la musique de Duel à Monte Carlo Del Norte, travaille avec moi depuis Your Face [court-métrage réalisé par Bill Plympton en 1987]. J’adore sa musique, et il est très facile de travailler avec elle. Il y a quelque chose de magique dans l’association de la musique et de l’animation. Ceci est parfaitement mis en scène dans le film Fantasia (1940). J’ai utilisé pour mon film de vieilles chansons country des années 40 et 50 : Hank Williams, Patsy Cline, Johnny Cash…

Ce qui a certainement influencé l’écriture du film, je suppose ?

Oui, beaucoup.

Parce que le film ressemble tout de même beaucoup à un musical, avec ces morceaux country intercalés dans une intrigue qu’ils structurent… Duel à Monte Carlo Del Norte est une boucle constante de musique.

J’écoutais de la country pendant que j’écrivais le scénario et que je dessinais pour m’inspirer. Et j’ai réhaussé toutes ces scènes musicales par l’utilisation de couleurs criardes, saturées alors que le reste du film se place dans un chromatisme plutôt sépia, à l’exception de la scène finale.

Sont-ce ces couleurs criardes qui se trouvent être l’apport de Folimages ?

(Intervention de Manuel Attali) : – Oui mais pas seulement.

– En effet, pas seulement. Ils ont participé à ces scènes mais également à celles concernant les personnages importants entourant Slide : Jeb le Maire, Delilah, l’insecte géant…

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Dernière question : avez-vous entamé la création de votre prochain film ?

Oui. Je travaille en fait sur deux films actuellement. Le premier est presque terminé, il a pour titre Duckville. C’est un conte de fées en court-métrage se déroulant dans un village de canards. Personne n’y va car c’est un lieu terriblement ennuyeux. Les canards engagent donc un monstre pour rendre la vie plus excitante. Bien entendu, tout fonctionne mal, c’est un désastre. Et je travaille également sur un autre long métrage dont tous les éléments sont dans mon carnet. Je vais l’appeler Tati. Il n’y aura pas nécessairement de construction linéaire dans ce film, je privilégierai les vignettes amusantes qui se succèderont… comme on peut le voir dans les films de Jacques Tati.

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A propos de Michaël Delavaud

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