"Les Inédits fantastiques" (Aux frontières du possible, La main enchantée, La duchesse d’Avila)

(© INA)

 

Pour cette rentrée, l’INA nous offre le bonheur, avec l’une selection d’inédits fantastiques particulièrement enthousiasmante. Pas de doute, il s’agit bien d’une des plus belles collections DVD du moment. 

 


Aux frontières du possible – Première saison (1971) – créé par Jacques bergier et Henri Viard.

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C’est avec un plaisir non dissimulé que l’on se délecte de la première saison d’Aux Frontières du possible et du duo de charme formé par Yan Thomas et Barbara Andersen (Elga Andersen), membres du BIPPS, Bureau international de prévention scientifique, chargé de résoudre les énigmes les plus étranges et les complots diaboliques de potentiels maîtres du monde. En général les épisodes mettent en scène des individus utilisant de nouvelles découvertes scientifiques de manière néfaste, purement criminelle ou à des fins de terrorisme économique, pour s’enrichir ou détruire le monde. Si les arguments appartiennent à la science fiction, la série s’inscrit pleinement dans une période (on est en pleine guerre froide) d’inquiétude quant à l’utilisation de la science et des dangers des progrès scientifiques mal employés. La célèbre phrase de Rabelais « science sans conscience n’est que ruine de l’âme » pourrait être mise en exergue de chacun des épisodes. Yan termine d’ailleurs souvent ses enquêtes sur une réflexion sentencieuse, pour donner à réfléchir, résonnant comme une menace du futur, tel ce  : « La chose que nous voyons dans cette cage n’est pas un singe, c’est l’homme de demain, si l’homme d’aujourd’hui ne se montre pas plus raisonnable  ». 
Les seuls titres des épisodes nous rappellent évidemment un célèbre duo britannique et l’on imagine aisément John Steed et Emma Peel résoudre les affaires du « Dossier des mutations » « V », « Attention : nécroses mentales », « Terreur au ralenti », « Menaces sur le sixième continent », ou de « L’homme radar ». C’est un peu Chapeau Melon et botte s de cuir à la française, c’est-à-dire avec la gendarmerie nationale, des poursuites endiablées en Renault 16, parfois aux alentours de Nice, d’autres fois sur les routes de campagne de Seine et Oise. Toutes les enquêtes se font sur un ton décontracté qui se refuse à toute action échevelée, porté par le charme de Pierre Vaneck et de sa délicieuse collaboratrice, aussi séduisante que son accent. Ça n’est donc pas le flegme britannique qui l’emporte ici, mais une atmosphère typiquement française qui fait glisser le réalisme d’un décor tout ce qu’il y a de quotidien vers l’étrange… A ce titre l’un des plus beaux épisodes demeure sans doute « Terreur au ralenti » dans lequel une épidémie se répand sur un petit village de Provence, les habitants étant brusquement atteint de lenteur des gestes et des mots : 1 minute pour parcourir 10 mètres ou pour terminer une phrase. La poésie surannée que dégage cette belle série rend mélancolique, à l’idée que plus jamais la télévision française ne produira de tels objets inclassables.
A l’origine de cette série, Henri Viard et Jacques Bergier qui adapte son livre L’espionnage scientifique. Fascinant personnage aux multiples facettes, Bergier, outre sa collaboration avec Pauwell sur le Matin des magiciens, fut le créateur de la revue Planète, ingénieur chimiste, écrivain, alchimiste mais aussi espion après la guerre. Fascinant et halluciné, il avançait beaucoup de théories plus ou moins abracadabrantes, entre révélation et supercherie, théories du complot, existences extraterrestres, phénomènes inexpliqués et de multiples thèses dans lesquelles intervient la science. Il est vraisemblable que Bergier croyait à ce qui nous fait sourire dans Aux Frontières du possible et qu’il y expose une partie de ses théories, ce qui rend la série plus singulière encore. Et si l’on trouve, à raison, qu’il y a aussi du Tintin dans Aux Frontières du possible le plus drôle est de constater qu’on trouve aussi Bergier dans Tintin, qui intervient dans Vol 714 pour Sydney, sous les traits de Mik Ezdanitoff, le savant chauve roulant des r, doué d’hypnose, communiquant par télépathie avec les héros … et les extraterrestres ! Décidément, l’étrangeté n’est pas forcément là où on la soupçonne.

La main enchantée (1974) de Michel Subiela

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Bien qu’un peu théâtral tant dans sa mise en scène que son interprétation, La main enchantée est une agréable adaptation de la nouvelle de Gérard de Nerval dont Maurice Tourneur avait déjà tiré le beau La main du diable avec Pierre Fresnay en 1943. Dans le Paris de François 1er, le jeune marchand d’étoffes Eustache est de plus en plus importuné par la présence envahissante du neveu de sa promise, un arquebusier aussi bavard que joli coeur. Excédé, sur un coup de tête, il le provoque en duel, assuré de ne pas survivre au beau soldat. Il se décide alors à demander les services d’un magicien qui rendrait, le temps du combat, sa main invincible. Mais comme on le sait, employer la magie noire n’est pas sans danger… Organisée autour d’un flash back, La main enchantée restitue bien l’atmosphère de la nouvelle de Nerval, en particulier dans sa reconstitution d’un Paris nocturne et mystérieux. On appréciera la beauté des décors et des accessoires : fresque fantastique dans la maison de l’alchimiste, rues pavées avec ses marchés, maison de tisserand … L’influence de la culture allemande sur Nerval y apparaît pleinement et c’est à Grimm que l’on pense. Malgré une forme surannée qui manque un peu d’inventivité et un fantastique qui n’intervient finalement qu’assez tardivement dans l’intrigue, La main enchantée reste un beau conte toujours agréable à suivre, qui distille imperceptiblement son charme. On notera le beau leit motiv mélodique de Vladimir Cosma qui contribue grandement à installer le climat enchanté du métrage.

La duchesse d’Avila (1973) de Philippe Ducrest

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En découvrant La duchesse d’Avila en 2012, il paraît impensable qu’une chaine publique française ait diffusé cette mini-série un jour. La duchesse d’Avila est probablement l’une des œuvres télévisuelles les plus folles et les plus audacieuses qu’il nous ait été donné de voir et constitue le choc de cette saison.
On est ébloui, surpris, terrassé par tant d’inventivité visuelle, de ce trip halluciné au carrefour des influences, du récit d’aventures picaresques et merveilleuses le plus naïf à l’hermétisme le plus déconcertant. Les esthétiques se chevauchent, dialoguent entre elles. L’arrivée dans des ruines surexposées, les intérieurs rougeoyants, les ombres bleutées nous renvoient au baroque latin d’un Bava ou au cape et d’épée ensoleillé de Freda. Puis, les rêves géométriques, la symbolique des décors, capable de métamorphoser les personnages en pions sur des damiers, font glisser le merveilleux vers l’ésotérique et le rituel hermétique digne des ornements sublimes et rougeoyants d’un Paradjanov ou des tarots visuels de Jodorowsky. Si l’on devait comparer le travail de Philippe Ducrest à celui d’un autre cinéaste, ce serait peut-être du côté de Mario Mercier qu’il faudrait se pencher pour ce cinéma poète entremêlant alchimie et déclamations, parabole et naïveté, réunissant cinéma bis et envolées mystiques et spirituelles.
Ce maelstrom déconcertant d’influences apparemment antithétiques appartient intégralement à l’œuvre de Potocki, dont Philippe Ducrest capte étonnamment l’essence. Le manuscrit trouvé à Saragosse est en effet une sorte de roman total, successivement picaresque, merveilleux, libertin, philosophique, roman d’initiation et d’apprentissage. Plutôt que de privilégier l’unité et de ne conserver qu’un genre ou qu’un ton, pour un roman qu’il les inclut tous, Philippe Ducrest et Véronique Castelnau s’attachent à rendre compte de leur propre éblouissement face à la diversité de cette oeuvre qui interroge l’œuvre elle-même et le fonctionnement de l’écriture. Il convie tout autant les cavalcades épiques, la quête initiatique, le conte licencieux que les échanges philosophiques et métaphysiques, reprenant les discours entre le kabbaliste et l’ermite chrétien, restituant tout la libre pensée de Potocki lorsqu’il confronte les religions et se refuse à en juger une plus légitime que l’autre. La question du doute métaphysique y est d’ailleurs omniprésente « Oh mon dieu, s’il y en a un, ayez pitié de mon âme, si j’en ai une ». Aussi dans La duchesse d’Avila l’onirisme est rejoint par l’érotisme (plutôt surprenant pour un passage télé en 1973), la fable par le grotesque, le spirituel par le rocambolesque.
La digression y est érigée en règle : sans cesse interrompu par de multiples épreuves, rallier un point à un autre y devient aussi compliqué que de terminer une histoire. Au gré des rencontres avec soldats, brigands, inquisiteurs, princesses, pendus, inquisiteurs, kabbalistes, pendus et Rois d’Espagne… se greffent de nouvelles narrations.
Lorsque Wojciech Has adapte Le manuscrit trouvé à Saragosse en 1965, ce chef d’oeuvre procède plus d’une variation sur l’œuvre dans lequel le cinéaste polonais s’approprie le matériau, fasciné par sa dimension onirique, son rapport à la répétition et au cercle et le récit gigogne qui perd le lecteur. Ici, bien que soucieux de traduire la structure du roman, l’adaptation réintègre une certaine linéarité tout en restant fidèle au système d’imbrication et d’enchainement de récits voulu par Potocki parfois un peu trop littéraux (il reprend des pans entiers du texte de Potocki) mais qui a le mérite de permettre au spectateur de reprendre pied très rapidement. Nous ne perdront pas un seul instant le parcours du héros Alphonse Van Worden traversé d’étapes initiatiques et d’histoires.
La duchesse d’Avila restitue à merveille toute la complexité de Potocki, précurseur de Borges, et en particulier son travail sur la perception de la réalité et du surnaturel, avec ses apparitions supposées surnaturelles, racontées, analysées, confrontant cartésianisme et ouverture sur le rêve. Lorsqu’un narrateur voit des fantômes, un autre narrateur réinterprète cette vision différemment. Celle qui pour Alphonse est une gentille cousine musulmane est une femme vampire pour le kabbaliste, un infidèle pour le chrétien. Un possédé du démon pour l’ermite est un illuminé pour le héros… etc. Il existe donc bel et bien plusieurs réalités et La duchesse d’Avila nous plonge avec délice dans ce vertige et c’est toute l’ironie rebelle de Potocki qui transparaît, celle qui fustige avec légèreté intolérance et fanatismes, celle qui touche autant à la littérature qu’au monde, qui fait l’éloge d’une foi en l’imaginaire comme celle de la liberté individuelle. Et Alphonse d’affirmer : « Je veux garder une vision objective des choses ».
La duchesse d’Avila tire magnifiquement parti de ses décors extérieurs, la Sierra Nevada et l’Alhambra de Grenade, de la magnifique photo de Robert Lefèvre (1), toute en vivacité, poussant les couleurs vers leurs extrêmes (ciel bleu vif, ruines presque jaunes, horizons…). Dans les intérieurs, le cinéaste jongle avec la taille des objets et la disproportion, le trompe l’œil digne d’Holbein et les changements de perspective, l’emploi du grand angle venant accentuer cette sensation de tourbillon.

Certes, au milieu de ce déluge visuel, certains partis pris paraissent parfois un peu hasardeux et désuet, le kitsch guettant parfois. Si la plupart des costumes de Bernard Daydé sont ahurissants, il arrive parfois que leur outrance soit un peu datée (on pense parfois à Peau d’Ane de Demy), tout comme certains effets spéciaux, ou une interprétation assez inégale. Mais peu importe tant on reste impressionné par un tel aplomb dans la folie visuelle, pour un univers où le cinéma populaire flirte avec l’expérimental. Tantôt lyrique, tantôt (parfois trop) décalée, allant jusqu’à mimer les mélodies du western spaghetti, la musique très inspirée de Pierre Vassiliu participe à l’envoutement. Expérience de télé inhabituelle, voyage indélébile, plus qu’une œuvre, La duchesse d’Avila est une vision. Elle a la beauté des labyrinthes et des mirages de l’esprit.

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(1)     Improbable destin, que celui de Robert Lefèvre dont le travail le plus connu demeure celui de Casque d’Or. Très en vogue dans les années 50, il devint pourtant le chef opérateur attitré de Max Pécas dans les années 70 (Je suis une nymphomane, Je suis frigide et alors ?) mais signera tout de même la photo du chef d’œuvre de Metzger, The image.

DVDs édités par l’INA.

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A propos de Olivier ROSSIGNOT

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