Katsuhiko Fuji, Chusei Sone, Norifumi Suzuki – « Nonnes dans l’enfer des cordes », « Angel Guts : classe rouge », « Star of David, vices et sévices »

Soyons éternellement reconnaissant au Chat qui fume d’exhumer des pépites du  Pinku-eiga (littéralement cinéma rose) ou Roman-porno, genre très prolifique au japon durant les années 70, majoritairement produit par la Nikkatsu. Le choix éditorial s’avère pertinent et montre à quel point ces films, souvent transgressifs, dépassent l’imaginaire réduit de l’érotisme bon marché pour infiltrer des genres comme le thriller, le mélodrame ou l’horreur. L’érotisme sert souvent de tremplin pour aborder des thématiques subversives comme les rapport de domination hommes-femmes, les perversions de personnages névrosés, le fétichisme, le voyeurisme etc.

NONNES DANS L'ENFER DES CORDES – LE CHAT QUI FUME

Copyright Le Chat qui fume – NONNES DANS L’ENFER DES CORDES

Le titre le plus anecdotique des trois, Nonnes dans l’enfer des cordes est un pinku-eiga tardif réalisé en 1984, période où le genre s’essouffle après un âge d’or couvrant les années 70. Plus précisément, il revêt la forme de la « nunsploitation », dont l’œuvre la plus emblématique au Japon reste Le couvent de la Bête sacrée. Adaptation libre d’un roman de Oniroku Dan, spécialiste de l’érotisme à tendance SM, le film de Katsuhiko Fuji, honnête artisan du Roman Porno, ne s’embarrasse d’aucune complexité et fioriture. Le scénario est réduit à sa plus simple expression, allant droit au but, encapsulant un minimum de personnages dans deux-trois lieux clos, créant ainsi un sentiment d’étouffement, d’autant que le récit n’est au final, passé son argument central, qu’une succession de séquences de tortures et de cruauté placées sous le signe d’une sexualité déviante.  La jeune Takao décide de rentrer dans les ordres, suite à un sentiment de culpabilité lié au suicide de la femme de son amant. Poussée par le remords et la honte, elle devient sœur Marie dans un couvent perdu au milieu de nulle part. Mais le destin la rattrape. Ce lieu de culte est dirigé en sous-main par un bienfaiteur sadique qui prend un malin plaisir à pervertir les jeunes nonnes soumises aux pires sévices. Évidemment, lorsque débarque Takao, elle devient la cible idéale du dandy cruel qui incarne la part sombre d’une humanité peu reluisante. En moins de 70 min, Nonnes dans l’enfer des cordes expose sans interruption tous les tropes du genre dans un geste décomplexé qui fascine par l’accumulation de séquences déviantes : l’art du « shibari » sert de prétexte à des scènes de torture où se mêlent extase et souffrance, les viols se succèdent jusqu’à la nausée, le fétichisme des culottes blanches des religieuses s’accompagne de toute une série de sévices corporels mutilant les chairs innocentes. Ne cherchez aucune réflexion dans ce pur film d’exploitation où les hommes sont des monstres et les femmes, de pauvres victimes, qui par moment ressentent de la jouissance dans la violence. Si le propos ne va pas très loin, en revanche, la mise en image est séduisante, nimbée d’une photographie soignée et égrenée de quelques moments d’une beauté sidérante : les épines de rose sur la peau immaculée d’une nonne rappelant certains giallos ou encore l’apparition en flash de Takao kidnappée dans un camion. Rien que pour ces quelques fulgurances, le film mérite d’être visionné même s’il est réservé à un public averti, peu impacté par la gratuité de ses excès graphiques.

ANGEL GUTS: CLASSE ROUGE – LE CHAT QUI FUME

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Plus intéressant, et surtout plus émouvant, Angel Guts : classe rouge surprend par la tristesse et la noirceur de son propos. Deuxième opus mettant en scène l’héroïne Nami – incarnée par des actrices différentes pour des récits indépendants entre eux –, le film de Chusei Sone s’éloigne des conventions du genre pour effleurer le mélodrame dans ce que l’on pourrait décrire comme une histoire d’amour empêchée. Muraki est directeur de publication de photos coquines. Un jour, il assiste à un film pornographique amateur qui contient une séquence de viol, perturbante, car très réaliste. Fasciné par l’actrice, Muraki décide de la rencontrer. Une étrange relation – presque chaste – se noue entre eux. Nami est une jeune femme traumatisée, brisée par l’agression dont elle a été victime dans le film qu’elle a tourné.

Passé une ouverture assez glauque rythmée par une musique électronique bizarroïde, bien dans le ton des pinku-eiga les plus extrêmes, Angels Guts : Classe rouge passionne à bien des égards, déjà par son côté théorique, voir méta, montrant l’envers du décor des productions érotiques de l’époque en décrivant la manière dont les tournages se déroulent – même s’il s’agit de séances photos et non de films, le système  fabrication est identique. Le cinéaste ironise sur le fétichisme outrancier d’une demande du public très codifiée (les culottes doivent être blanches et non d’une autre couleur). Passé cette mise en abyme sincère (car on sent un auteur fatigué par les représentations conventionnelles du pinku traditionnel), le film prend une toute autre direction, s’éloignant du pur divertissement pour adultes pour embrasser la profondeur d’un drame humain traité avec tact. La mise en scène n’est jamais racoleuse. Les choix visuels de Chusei Sone sont même très forts lorsqu’il filme la rencontre de Nami et Muraki dans un plan-séquence large se refusant à montrer les visages. Ce dispositif produit une émotion, qui ne tient pas à la performance des comédiens mais à l’écriture affinée du scénario, qui devient dès lors un grand film d’amour impossible au lyrisme sec – lié sans doute à une durée n’excédant pas 80 mn.

STAR OF DAVID: VICES ET SÉVICES – LE CHAT QUI FUME

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Enfin, l’évènement de cette salve tient pour beaucoup d’amateurs à la sortie de l’impressionnant Star of David : Vices et sévices réalisé par un des artisans les plus importants du cinéma japonais, Norifumi Suzuki, qui n’entretient aucun lien de parenté avec l’autre Suzuki de génie, Seijun. Cinéaste prolifique, capable de passer d’un genre et d’une tonalité à l’autre, il est l’auteur d’une remarquable suite de Lady Yakuza, du cultissime Le Couvent de la bête sacrée et du très jouissif Shaolin Karaté avec Sony Chiba. On lui doit aussi une des sagas les plus populaires du Japon, Truck Rascals, dont il a signé les 10 opus. En 1979, dans un geste créatif punk et inconscient, mue par une volonté évidente de choquer le bourgeois, et pas que, il commet son œuvre la plus scandaleuse, extrême et ambiguë, un pavé jeté dans la mare d’un cinéma d’exploitation qui en a pourtant vu d’autres. Adaptation d’un manga pour adultes de Masaaki Soto, Star of David : Vices et sévices franchit la ligne rouge à plusieurs reprises mais il a l’intelligence de développer un propos passionnant, pas si gratuit qu’il ne le parait. Norifumi Suzuki s’intéresse au Mal à l’état pur qui peut s’emparer de la psyché d’un individu, adoptant une thèse très contestable que sa transmission pourrait être héréditaire. Le film, par son prologue, brutal et tétanisant, démarre comme un « rape » excessif sans « revenge »: Genpei, évadé de prison, s’introduit dans une demeure luxueuse où vit un couple de bourgeois. Il viole Tokie sous les yeux de son mari, jubilant de cette situation. Tokie tombe enceinte et met au monde un fils, Tatsuya, avant de se suicider. Des années plus tard, nous retrouvons Tatsuya, jeune adulte orphelin (enfin pas vraiment), qui vit sa vie d’étudiant comme les autres. Sauf qu’il enlève des femmes et les soumet à des actes de tortures sexuelles dans une pièce située au sous-sol, cherchant à travers ces sévices, suivis de meurtres sauvages, de ressentir une forme ultime d’extase. Fasciné par l’Holocauste, au point de se masturber sur les images les plus choquantes des camps, il poursuit, consciemment ou non, le travail de son père biologique.

STAR OF DAVID: VICES ET SÉVICES – LE CHAT QUI FUME

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Norifumi Suzuki s’empare du pinku-eiga pour le maltraiter, le salir, le fusionner avec le genre horrifique, rendant quasi impossible toute forme d’excitation à l’écran. Il ne s’agit plus d’innocents jeux SM entre dominants et dominés dans lesquels les positions peuvent s’inverser, même si les auteurs font références au très chaste Histoire d’O de Just Jaekin (le film, pas le roman), mais d’une véritable submersion au cœur des racines du mal à travers la peinture jusqu’au boutiste d’un « serial killer » qui se révèle plus ambivalent que prévu, capable d’éprouver de l’empathie pour ses victimes, au point d’en tomber amoureux. Cette ambivalence se retrouve dans la mise en scène élégante et précise d’une splendeur visuelle tranchant avec le propos du film et ce qui nous est montré à l’écran. Suzuki sublime toutes les séquences SM, de torture, de viol, de sperme qui gicle, de voyeurisme au point de mettre le spectateur profondément mal à l’aise, dans une situation où la morale n’a plus de sens. Star of David : Vices et sévices cultive les contradictions avec une inconscience qui rend l’objet aussi sulfureux que fascinant, douloureux qu’hypnotique.

Les 3 Blu-ray – totalement inédits en France quel que soit le support – sont accompagnés des bandes-annonces et d’une intervention éclairante de Clément Rauger qui revient sur le Roman Porno, la carrière des cinéastes et les films eux-mêmes.

 

 

 

 

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A propos de Emmanuel Le Gagne

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