L’étonnant générique redistribue les cartes au regard d’un cinéma de genre essoufflé en Grande-Bretagne en ce début des années 70. L’entêtante musique associe rythmique funk, grosse basse et effets psyché au synthé. Les images, successions de mises au point de l’objectif, flirtent avec des motifs expérimentaux.  Cette ouverture porte en elle les stigmates d’un désir de renouvellement, un glissement vers une modernité sonore et visuelle, qui en dit finalement assez long sur l’ambition du premier long métrage de l’américain Gary Sherman, que devait réaliser à l’origine Jonathan Demme. Dans ce climat post-68, les productions Hammer, à la traîne, tentent de se renouveler, d’être raccord avec une société en pleine mutation, marquée par la libéralisation des mœurs et une contestation des institutions en place. Les effluves gothiques ne font plus rêver. Le cinéma fantastique a besoin de sang neuf et malheureusement, ce ne sont pas les décevants Dracula 73 et Dracula vit toujours à Londres qui redonnent un espoir en la firme anglaise, malgré quelques réussites incontestables.

LE MÉTRO DE LA MORT de Gary Sherman [Critique Blu-Ray] - Freakin Geek

Copyright Rimini

Futur réalisateur des remarquables Réincarnations et Vice Squad, Gary Sherman, après une formation dans la publicité, débute par une production britannique fauchée mais au sujet au fort potentiel mêlant critique sociale, humour excentrique et horreur pure. Un jeune couple d’étudiants découvre un homme gisant dans le métro, signalant le délit à un policier. En revenant sur les lieux du crime, le corps a disparu. D’autres disparitions mystérieuses ont eu lieu récemment. L’inspecteur Calhoun mène l’enquête. Mais, il faut le reconnaître, d’une manière très singulière, nonchalante et presque confinée, ne sortant quasiment jamais de son bureau. Il commence par de longs interrogatoires avec les deux jeunes étudiants, se livrant à un joli petit numéro de cynisme assumé. Donald Pleasence, qui s’amuse visiblement comme un petit fou, nous gratifie d’une prestation jubilatoire, aidé par des dialogues savoureux. Les échanges entre l’inspecteur et son bras droit, Rogers, évoquent les grandes heures de la comédie anglaise des années 50 signées Charles Crichton ou Alexandre Mackendrick. L’atmosphère bon enfant, presque décontractée et ironiquement poussiéreuse tranche avec la noirceur de ce qui se passe dans le fameux métro. La brutalité de la transition impressionne : la caméra en gros plan balaye avec détails macabres à l’appui, des bouts de corps gisant dans la zone souterraine. Gary Sherman filme des rats, des os rongés, des visages aux yeux perforés avec un sens étonnant du putride, anticipant les chefs d’œuvre à venir du cinéma d’horreur américain, de Massacre à la tronçonneuse à La Colline a des yeux. Le son, particulièrement travaillé, avec le clapotis régulier des gouttelettes d’eau, participe au climat anxiogène du moment clé d’une œuvre où l’on découvre l’assassin, un cannibale dégénéré, ultime survivant d’une longue lignée d’ouvriers piégés lors de la construction d’un tunnel. Le scénario insolite de Ceri Jones bifurque dans toutes les directions, multiplie les ruptures de ton mais Gary Sherman parvient à en tirer le meilleur grâce à sa mise en scène organique, viscérale, qui ne nous épargne aucun détail glauque. Il filme le métro britannique comme un monde mortifère, une sorte de no man’s land où s‘entasse les morts comme dans une fosse commune qui ne dirait pas son nom. Il alterne ces visions cauchemardesques avec des scènes d’intérieur d’un autre âge, comme la rencontre surréaliste entre Donald Pleasence et un Christopher Lee assez génial, tout droit sorti d’un sketch des Monty Python.

LE MÉTRO DE LA MORT de Gary Sherman [Critique Blu-Ray] - Freakin Geek

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Le spectateur ne sait jamais sur quel pied danser, s’il assiste à une déconstruction parodique d’un genre ou à un pur concentré horrifique avant-gardiste et très frontal. Sans doute un peu des deux dans ce film atmosphérique où se télescopent deux générations aux idées et modes de vie antinomiques, les représentants de la loi tout droit sortis d’un gothique poussiéreux ou d’une enquête à la Sherlock Holmes d’un côté, et les étudiants, la génération hippie, victimes potentielles des nouveaux monstres qui commencent à infuser le cinéma (américain surtout) de l’autre. Des monstres effrayants mais qui nous ressemblent, loin de toute mythologie. Une tristesse finit par contaminer Le métro de la mort de par la figure de l’assassin, clochard dégénéré suscitant étrangement la pitié, l’empathie, autant bourreau que victime d’une société anglaise souffrant d’amnésie. Gary Sherman a du mal à dissimuler une fascination morbide pour ce personnage pathétique survivant dans son antre jonché de cadavres. Le point culminant de cette fascination se traduit par une extraordinaire leçon de cinéma, un plan séquence de 5 minutes impressionnant, détaillant dans les moindres détails les profondeurs du métro. Non seulement Gary Sherman, démontre avec ce coup d’essai de réelles aspirations formalistes, sans doute épaulé par le travail admirable du chef opérateur Alex Thomson (Legend, Excalibur), mais il insuffle un parfum doux dingue à l’ensemble, un climat insolite à son récit chaotique, bizarrement structuré. Si le rythme en pâtit parfois, l’efficacité narrative n’étant nullement le but recherché, Le Métro de la mort demeure toujours près de 50 ans plus tard l’un des films d’horreur britanniques les plus originaux et fascinants, portrait glaçant d’un pays qui préfère cacher ses crimes impunis dans les interstices les moins reluisants de ses quartiers citadins.

LE MÉTRO DE LA MORT de Gary Sherman [Critique Blu-Ray] - Freakin Geek

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Inédit sur support numérique en France, Le Métro de la mort, connu aussi sous ses titres anglais de Raw Meat ou Death Line,  jadis sorti en cassette vidéo chez UGC, n’était jusqu’ici disponible qu’en import grâce aux bons soins de Blue Underground. On ne peut que féliciter Rimini de l’éditer dans sa belle collection consacrée au cinéma fantastique, riche et variée. Rien à redire niveau son et image, la version HD est excellente, sans doute identique au Blu-Ray américain, si ce n’est l’apport de la VF d’époque en mono d’origine.

Accompagné d’un livret de 24 pages de Marc Toullec, fourni en informations diverses, le Blu-Ray offre des suppléments de très bonne tenue à commencer par l’entretien, ou plutôt la discussion décontractée, entre Gary Sherman et les producteurs exécutifs Allan Ladd Jr et Jay Kanter. Deux autres entretiens complètent les suppléments, celui conjoint des acteurs David Ladd (fils d’Allan et Alex dans le film) et du producteur Paul Maslansky, et enfin celui de Hugh Armstrong, le comédien interprétant l’épatant psychopathe cannibale.

(1972-GB) de Gary Sherman avec Donald Pleasence, David Ladd, Sharon Gurney, Hugh Armstrong, Christophe Lee

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