Entendons-nous bien : The Suicide of Rachel Foster n’est pas, au sens strict, un bon jeu. Alors pourquoi laisse-t-il, malgré cela, cette délicieuse impression d’avoir croisé un objet rare et précieux ? Tentative d’explication.

Développé par un jeune studio italien, TSORF est un “walking simulator” dans son acceptation la plus commune : en vue à la première personne, vous marchez et déclenchez peu à peu, à la faveur d’un argument scénaristique, toute une série de scripts révélant une narration, jusqu’à une révélation finale mettant un terme à votre aventure en lui donnant un sens. Si les “walking simulators” brillent rarement par leur gameplay (se limitant généralement à des mécaniques d’enquête façon “point & click” augmenté), ils n’en constituent pas moins de véritables jeux de l’esprit, des expériences manipulant notre perception de ce qu’ils nous donnent à voir et à comprendre.

Au premier rang de ces jeux de niche dans le paysage vidéoludique, citons The Vanishing of Ethan Carter et son pitch évoquant du Stephen King méta, Gone Home et sa torpeur nostalgique ou bien encore les productions ultra radicales du studio The Chinese Room (Dear Esther et Everybody’s gone to the Rapture).

 

L’écriture d’un “walking simulator”, son déroulé narratif et l’intrication de celui-ci avec un gameplay en peau de chagrin MAIS signifiant (on pense, par exemple, à l’errance sans but apparent de Dear Esther, complètement raccord avec l’insight que le jeu cherche à provoquer) est donc fondamental et c’est là-même que TSORF révèle ses lacunes.

Découpé en 9 chapitres de taille inégale qui sont, à priori, autant de jours passés coincé dans un hôtel façon Overlook, l’effort narratif de TSORF est notablement et littéralement détruit au début du 4ème jour. Là, la scène s’ouvre sur un mur où tout un tas d’indices est dévoilé, brisant d’un coup d’un seul la mécanique d’enquête que le jeu venait à peine d’installer. C’est simple, à ce moment précis, le jeu nous donne la sale impression qu’il manque non pas tout un pan de son histoire – puisque tout est explicité abruptement -, mais de son déroulé. C’est ultra violent, vraiment. Et c’est assez triste de voir ainsi une œuvre semblant rater aussi frontalement ce qui est censé être sa force, passer à côté de sa nature-même.

À cet élan soudainement brisé faisant office de “tue-l’amour”, ajoutons des mécaniques de jeu pleines de promesses qui se voient rapidement abandonner, comme par exemple celle du flash d’un polaroid censé nous donner la lumière lors de la traversée d’un couloir mal-éclairé : juste avant d’entrer dans ledit couloir, vous trouvez… une lampe de poche. La façon dont le jeu semble vouloir se tirer systématiquement des balles dans le pied de son gameplay est assez fascinante, avouons-le.

un goût d’Overlook évident…

Et pourtant, malgré tout cela, quelque chose se passe. Le jeu parvient à insuffler au joueur, par ce qui semble justement être ses erreurs, une impression assez inédite dans le paysage vidéoludique (plutôt porté sur la satisfaction dudit joueur) : un mélange de confusion et de colère qui n’est pas sans rejoindre ce que vit le personnage qu’il incarne. Cela passe déjà par un strict argument narratif qui aura fait couler pas mal d’encre, clé scénaristique que nous ne dévoilerons pas ici, mais que nous pouvons qualifier au mieux de sulfureux, au pire de carrément tordu. Face à cette situation primordiale, difficile de ne pas être troubler dans notre éthique de joueur comme notre personnage l’est lui-même, confus et en colère; difficile de ne pas ressentir nous-même le besoin de juger, de condamner, même. Alors rejeter en bloc ou tenter de comprendre malgré la confusion et la colère ? Qui est le monstre, précisément ?

Et donc, aussi, il y a ce qui semble être des erreurs de conception, et qui, plus j’y réfléchis, à tête reposée, m’apparaissent comme voulues et nécessaires (quoique pas complètement maitrisées), imposant par la bande un geste artistique sacrément culotté (quand l’intérêt se niche dans l’établissement du perfectible, et pas la recherche de la perfection). Le jeu joue littéralement de cet aspect déceptif niveau gameplay pour raconter ce qu’il a dire : parlant concrètement (le twist final n’étant que ça) des murs d’apparences que l’on s’érige pour faire face à la réalité, il est lui-même une apparence de jeu d’horreur, déjouant en permanence ce qu’il avance (ce qu’il fait d’emblée, avant même que l’on s’y plonge, via le visuel officiel du jeu en disant long sur cette thématique des apparences…)

Soulignons in fine la gestion vraiment brillante que fait le jeu de l’élément fantastique. Concrètement, l’intrigue s’explique très prosaïquement façon vieux giallo mystérieux. Pourtant, le jeu offre très généreusement de beaux moments de trouble où l’effroi le dispute au merveilleux (je mentionne ici une scène précise à la symbolique vraiment sidérante, en rapport – une fois encore – avec l’illustration officielle du jeu…). Là réside au final sa grande force : tout en offrant une résolution réaliste aux évènements vécus, il n’est pas qu’un simple exercice manipulatoire puisqu’il ne renie jamais la part d’irrationnel qu’il loge en son sein, tant sur son volet narratif (le jeu semble nous dire que les fantômes existent. Peut-être) que dans son exécution savante quoique branlante (son gameplay souvent disjoint entre les possibilités qu’il offre et leurs utilités abandonnées).

J’aime croire que TSORF, s’il n’est clairement pas complètement maîtrisé, est un bel objet à l’ambition d’une grande noblesse.

 

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