Alors c’est ça, la première véritable exclusivité ‘new gen‘ de Microsoft… Un thriller parapsychologique en plans fixes, comme en 1998…

Mon premier contact avec le nouveau jeu de la Bloober Team (studio polonais vénérable auteur d’au moins deux jeux réellement fantastiques, Layers Of Fear 2 et Observer, ainsi que d’un Blair Witch agréablement surprenant et curieusement sorti l’année dernière), mon premier contact avec The Medium, donc, fut rude : mon pad m’a littéralement échappé des mains. La faute à un parti-pris de mise en scène aussi radicale que désuet.

La “grande” idée de The Medium est en effet de délaisser le gameplay à la première personne auquel le studio nous a habitué (et qui sied à merveille au genre narratif horrifique qui nous intéresse ici) et d’opter pour un gameplay à la troisième personne en plans semi-fixes renvoyant aux grandes heures des premiers Resident Evil et Silent Hill, soit à la deuxième moitié des années 90. Un acte de déférence en soi louable, mais est-il besoin de le rappeler, l’enfer est souvent pavé de bonnes intentions.

ah ça, le jeu est beau, c’est sûr.

Faisons preuve d’un peu de cruauté : dès 2005 et son 4ème épisode, Resident Evil faisait sa révolution esthétique en optant pour une vue dynamique. Fini le découpage en plans fixes, place au plan en continu favorisant une immersion inégalable, qu’il soit à la troisième (comme pour ce RE4) ou à la première personne (comme pour RE7 ou le prochain RE à sortir cette année). Une avancée évidemment technologique (il était désormais possible d’afficher en temps réel des décors en 3D), mais avant tout théorique : le JV tout entier appelait à cela parce que, encore une fois, l’immersion est favorisée par le procédé. Et histoire d’enfoncer le dernier clou dans le cercueil, rappelons que les récents remakes (salués par tous) de RE2 et RE3 ont fort justement abandonné leur découpage en plans fixes originel, sans pour autant avoir dénaturé leur expérience old school (un beau tour de force en soi).

Dans un sens, on peut comprendre la démarche de la Bloober Team : outre l’hommage évident à un certain âge d’or du jeu d’horreur, un tel procédé permet de garder un contrôle constant sur la stricte mise en scène et de ménager ainsi en permanence ses effets. Le jeu en soi est beau, avec son look de série télé hypée, son découpage souvent savant. Mais nous sommes devant un jeu et tout cela se fait au détriment du gameplay, et en particulier du simple plaisir de se déplacer et de découvrir l’environnement. Le jeu étant globalement hyper narratif, tout cela en rajoute au côté dirigiste de l’ensemble et rend hyper étouffant l’expérience. Et pas dans le bon sens du terme, comme au cours de la séquence aussi éprouvante que déconcertante de la descente interminable dans le sous-sol de la cabane de Blair Witch du même studio.

Alors pour ce qui est de l’expérience old school, c’est sûr, on y est. On retrouve en effet les mêmes soucis, éprouvés à l’époque, de dissociation lors des changements de plans : la direction donnée à la manette ou au clavier ne correspond soudainement plus à ce que l’œil voit. Et si l’astuce de programmation consiste à garder, dans un premier temps, sur le plan du jeu la même direction, le joueur, instinctivement, va chercher, avec un temps de latence, la bonne direction au pad. Ce qui, quasiment à chaque fois, équivaut à voir votre avatar se comporter un court instant tel un poulet sans tête, ici se cognant dans un mur, là prendre soudainement la direction opposée. Et c’est sans parler des pures erreurs de level design dans lesquelles la Bloober Team saute à pieds joints, soit ces quelques séquences de fuite censément échevelées littéralement ruinées par, justement, ces changements de plans soudains, avec les soucis énoncés.

le split-screen, la seule grande idée du jeu.

Là où le bât blesse véritablement, c’est que The Medium n’est pas une petite production indé payant un humble tribut aux gloires d’antan, mais bien la première exclusivité ‘new gen‘ de Microsoft, qui plus est bien mal fagoté par un studio pourtant talentueux. Excusez mon expression triviale, mais ça la fout mal. Nous vendre ainsi, en première pierre d’un édifice flambant neuf, une rougne aussi old school jusque dans ses défauts, c’est pour le moins un étrange calcul. Bon, ceci dit, nous n’en sommes pas au premier truc étrange de la part de Microsoft sur cette nouvelle génération (Coucou, Halo Infinite…).

Histoire de ne pas rester sur une note gorgée d’amertume, pointons pour conclure les quelques points positifs (quand même) de ce Medium. On rendra grâce, donc, à la Bloober Team de ne pas céder à des canons narratifs du monde globalisé : l’histoire en effet est bien une histoire polonaise, avec spectres nazis, police secrète, totalitarisme, sentiment de culpabilité et collaboration monstrueuse. Et l’histoire s’avère suffisamment passionnante et bien racontée pour nous faire tenir jusqu’à sa fin, malgré les errances du jeu à proprement parler.

Et puis il y a cette mise en scène à l’élégance jamais prise en défaut; et portée par un procédé, le split-screen, ici poussé vers des sommets de sophistication rarement atteint. Concrètement, l’action du jeu se passe souvent sur deux plans dimensionnels joints. L’héroïne et sa doublure se voient ainsi accomplir les mêmes actions dans deux dimensions différentes. Et, souvent, ces séquences en split-screen joue sur un découpage qui distend ces actions pourtant jointes, amenant à l’intérieur-même du plan une simultanéité non-linéaire véritablement troublante.

En fait, le plus dur à avaler est de se dire que la Bloober Team aurait mieux fait de réaliser un film en bonne et due forme, plutôt que ce mauvais jeu…

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