Resident Evil 8 Village ??? Resident EVILLage ??? Resident E-Village, le village connecté maudit ??? Une chose est sûre : les développeurs de Capcom aiment noyer le poisson. Jusque dans leur gameplay, ce qui est plus problématique qu’une simple trouvaille de titraille bancale par un communiquant visiblement accroc au Captagon.

Pour des raisons de salubrité mentale, suite à des chicaneries adulescentes sur les réseaux sociaux et pour faciliter l’écriture de cette critique, admettons que nous désignerons désormais le titre de Capcom par le minéral acronyme RE8. Pour autant, ma remarque quant à la difficulté de nommer précisément le titre n’est pas gratuite et rejoint complètement ce que je pense du jeu : globalement, ce RE8 est un titre problématique puisqu’en permanence le cul entre deux chaises, ouvrant des pistes qu’il délaisse au premier bosquet venu, promettant des choses qu’il ne tient presque jamais.

Prenons ce qui sera le SEUL et UNIQUE spoil de cette critique : Lady Dimitriescu. Quand ce personnage a été dévoilé en teaser par la communication de Capcom il y a quelques mois de cela, la toile s’est littéralement enflammée. À juste titre. Enfin la franchise accédait à une représentation suave ET progressiste, un trip esthétique évoquant les avancées de la sublime anthologie de Ryan Murphy, American Horror Story. Pensez ! Une matrone de 2,90 mètres sexy en diable et appelée à devenir un monstre totémique du nouveau bestiaire fantastique mondial !

Femmmmmmmmmmmmmmmmmes… Je vous aimmmmmmmmmmmmmmmme…

Malheureusement, et fort curieusement, Lady Dimitriescu est le premier boss du jeu, appelé à mourir à moins d’un quart de la progression. Ma question est littéralement : comment Capcom a-t-il pu passer à côté du potentiel d’un tel personnage ? Car ensuite le jeu déroulera d’autres boss sommes toutes intrigants, mais sans commune mesure avec le magnétisme naturel de la Lady, et ce jusqu’à un avant-dernier boss affreusement cabotin ET odieusement hétéro-centré (et, qui plus est, appelé à mourir dans un combat de… méchas… euh… sérieux, Capcom?)

Si je prends cet exemple précis, c’est parce qu’il illustre, il me semble, le gros problème et de ce RE8, et de la franchise en général. Un gros problème qui plane depuis toujours, en fait. Un problème littéralement ontologique qui voit la franchise écarteler entre deux natures : le survival horror et l’action-aventure. Résumé succinct des épisodes précédents…

Le premier RE sort en 1996 sur la première Playstation. Le jeu, conçu par un des game designers les plus influents du monde, Shinji Mikami, proposait une aventure horrifique lorgnant vers l’œuvre de George Romero (des zombies, du para-militaire, une humanité en berne), le tout dans un écrin vidéoludique s’inspirant en douce du jeu français séminal Alone In The Dark conçu par Frédérick Raynal en 1992. En effet, constituée de plans fixes en 3D pré-calculée, la mise en scène misait habilement sur le hors-champs et le changement de plan pour insuffler tension et peur tout comme le titre de Raynal l’avait inventé 4 ans plus tôt. D’abord (et pendant des années) réticent à évoquer cette principale inspiration, Mikami-san finit, devant l’évidence, par avouer la source de sa principale inspiration (cocorico!).

Bonjour… Nous sommes en 1992. screenshot d’Alone In The Dark du français Frederick Raynal.

Pour autant, le premier RE représente une date dans l’histoire du JV par son habile mélange de quasi-point & click (ses énigmes environnementales que l’on retrouve encore dans les RE modernes) et de séquences d’action-shooter aux possibilités à dessein restreintes (l’aspect ‘survival horror‘ du jeu : restriction du champs de vision, restriction des moyens d’agir, comme, par exemple, un stock de munitions à gérer). Mais déjà, donc, de l’action-shooter incarnée par la présence significative de militaires sur-armés.

La franchise déroulera son programme initial jusqu’à sa quatrième itération où Shinji Mikami, actant des progrès technologiques, décidera de rebattre les cartes. Nous sommes en 2005 et RE4 s’affranchit du découpage par plans pour embrasser le plan-séquence via une caméra embarquée derrière l’épaule du personnage-joueur. Une véritable révolution en matière de point de vue qui occasionne, assez génialement avouons-le, un virage de la franchise vers l’action pure. Si RE ne fait plus désormais vraiment peur, admettons que le game design global du jeu reste une somme véritablement remarquable, même en 2021.

La contrepartie du coup de poker réussi de Mikami-san est que, par la suite et sans le génie du designer japonais, RE s’enferrera dans les pires travers, misant tout sur l’action et oubliant quelques fondamentaux au passage. Si RE5 nourrit en son sein encore de bonnes idées (comme celle, esthétiquement troublante, de dessouder du zombie sous un soleil de plomb), RE6 se perdra totalement dans une narration inutilement exotique et heurtée. Bref, en 2012, RE sent le faisan.

Pourtant, tel un phénix shooté aux OGM made in Umbrella, RE renaît de ses cendres encore fumantes en 2017 via un septième épisode rejouant le braquage formel de RE4 en 2005. La franchise passe ainsi à la vue à la première personne, occasionnant au passage un nécessaire dépoussiérage de son gameplay. La série renoue notamment avec une unité de lieu mise à mal par RE6 et retrouve, surtout, enfin de strictes mécaniques de survival horror, misant de nouveau sur le hors-champs et les restrictions à tous points de vue. Un retour aux sources par la bande (nous sommes loin du découpage en plans distincts circa 1996) saluée par les critiques et les joueurs qui louent ce remariage avec la peur.

Les Baker, la famille dégénérée qui vous torture dans RE7 et que l’on en vient à plaindre…

On le voit, la vie de la franchise est loin d’être un long fleuve tranquille, en permanence écartelée entre deux natures contradictoires, le survival horror (et son art de la contrainte) et l’action-aventure (et l’opulence des moyens accordés au joueur). Et malgré ses qualités, RE7 n’échappait pas au tangage vidéoludique, s’effilochant sur sa dernière ligne droite dans un déluge spectaculaire.

RE8 n’échappe pas au dilemme, loin s’en faut. Cela se joue notamment (et une nouvelle fois) sur son dernier acte, qui vient malheureusement vérifier une de mes boutades lâchées un soir de désœuvrement sur les réseaux sociaux (et que l’on peut résumer ainsi : « de toute façon, on sait tous que tout ça se terminera dans une opération militaire chiante »). Mais aussi sur tout un tas de petites mécaniques de gameplay étranges qui viennent témoigner d’une cohérence interne en berne.

Prenons pour exemple le coupe-boulon. Au cours de votre première heure d’exploration dans le fameux village (VII.I.AGE ? Evillage? E-village?), le jeu vous oblige à trouver un coupe-boulon afin de faire sauter les chaînes entravant certains accès. Or, bien vite, ledit coupe-boulon disparaît tout simplement de votre inventaire, le jeu semblant se souvenir subitement qu’au final, un simple tir de revolver est suffisant. Étrange, non ?

Autre sujet de dissonance ludo-narrative, les animations contextuelles. Si je comprends bien qu’en la matière, la maniaquerie de Rockstar sur Red Dead Redemption 2 puisse crisper (je précise, pas moi), le système d’animations contextuelles est ici tellement aléatoire que l’on peut s’interroger sur la paresse des développeurs. Pour résumer, une animation contextuelle est une animation en jeu venant illustrer une action commandée, par exemple une ouverture de porte.

Ici, les animations contextuelles sont parfaitement aléatoires en ce qui concerne justement les ouvertures de portes. Oh pas si aléatoire que ça, en fait. En effet, quand vous voyez vos mains ouvrir une porte, vous pouvez être sûr que vous allez entrer dans une zone remarquable, si ce n’est dangereuse. Ce qui est en soi fort dommage, concernant un titre jouant sur la tension et la surprise. En faisant court, le titre coupe de lui-même ses propres effets. Quand une porte s’ouvre sans animation contextuelle, au pire vous aurez un lycan lambda derrière à dérouiller avec un tir de fusil à pompe. Quand une porte s’ouvre avec une animation contextuelle…

RE8 est beau, vraiment. Et souvent.

C’est sans doute un détail pour vous, mais pour moi etc. Et c’est un détail qui se répercute telle une onde de choc sur le mur de mon incompréhension. Prenons un autre exemple, le niveau de la maison Benevito. Là, en début de niveau, vous vous retrouvez magiquement dépossédé de tout votre inventaire, armes compris (déjà, le côté ‘magique’ de tout ça…). Début de panique en soi, sauf que… Vous reprenez bien vite vos esprits et comprenez que, s’il en est ainsi, jamais les game designers, au cours de cette phase, ne vous balanceront une horde sauvage de zombies puisqu’ils vous ôtent tous moyens de vous en défaire. Vous savez que vous n’aurez qu’à résoudre des phases de puzzle, voire à fuir mollement une certaine menace à un certain moment. Et c’est bien ce qui arrive. Avoir une certitude dans un jeu horrifique est un tue-l’amour, littéralement.

Pour rebondir à la fois sur la question des animations contextuelles et ce passage dans la Maison Benvito, intéressons-nous à l’énigme du mannequin présente dans cette séquence. Lorsque vous manipulez ledit mannequin, des animations contextuelles viennent marquer vos actions. Vous décidez de regarder les yeux du mannequin, vous voyez vos mains manipuler le crâne dudit mannequin. Vous jouez avec les membres du pantin, vos bras marquent visuellement l’action. En revanche, et alors que c’est un passage crucial, quand vous coupez les bandages entravant ladite poupée, là, vous avez droit à une animation avec des ciseaux magiques flottant devant vous et venant couper les bandages sans la moindre intervention de votre personnage. C’est… crispant.

ce que le jeu a de meilleur : une ambiance comme ce brouillard, à couper au couteau.

Encore une fois, mes remarques peuvent paraître futiles, mais lorsque l’on fait la somme de toutes ces petites étrangetés, additionnées aux plot holes du scénario (que je tairai) et aux erreurs d’écriture comme celle de la disparition du méchant le plus iconique du titre, Lady Dimitriescu, à un quart du jeu, tout cela fait une addition somme toute salée.

Pour autant, ce RE8 est-il un mauvais jeu ? M’y suis-je ennuyé ? À ces deux questions, je suis formel : non, et ce malgré mes réserves. RE8 est un jeu que j’ai aimé parcourir pour son ambiance globale et son esthétique « fantastique de l’est » – bien qu’elle soit incluse narrativement aux forceps à la mythologie RE. Sa réalisation est vraiment bluffante et certaines séquences sont assez géniales (comme celle dans la Maison Benevito, que je critique pourtant, mais qui est pour moi, malgré tout, la meilleure séquence du jeu car la plus intrigante, mystérieuse). Je le classe sans problème dans les meilleurs épisodes de la franchise, pour tout avouer. Mais c’est un titre qui tente le grand écart entre redite de l’audace de RE7 et classicisme d’une formule établie déjà schizophrénique. Et il est passionnant pour cela. Mais je ne le referai pourtant pas, car il est ultra lisible et sans développement possible une fois connu et parcouru. C’est un jeu qui explore et touche aux limites d’un RE, une sorte d’épisode terminal, en somme.

Quid pour la suite, ce RE9 qui arrivera nécessairement ? Aucune certitude à cette heure, si ce n’est que l’épilogue de ce RE8, sans divulgâcher, n’augure rien de bon pour les amateur de titres d’ambiance. Wait… And see… And die….

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