D’emblée, la distorsion vous saisit au collet. Brickbat, fidèle à ce que promet son titre, commence dans le dur, par une secousse électrique évoquant l’électrochoc que pouvaient subir les pensionnaires de Bedlam, un hôpital psychiatrique londonien fondé au Moyen Âge. Mais c’est une réalité bien différente qu’évoque « This Must Be Bedlam », la chanson sur laquelle s’ouvre le premier album de Piroshka, quatuor formé par Miki Berenyi (de Lush, voix et guitare), KJ « Moose » McKillop (ex-Moose, guitare), Michael Conroy (de Modern English, basse) et Justin Welch (ex-Elastica, batterie), autant de noms fleurant bon les années 1990, celles de la britpop et du shoegaze dont l’empreinte sur cet opus est d’ailleurs indéniable : ce chambard (c’est aussi le sens du mot bedlam), souligné par l’arrière-plan chaotique qui sous-tend une mélodie percutante et scandée, est celui provoqué par le Brexit, avec ses invectives et ses entourloupes solidement enracinées dans le terreau de l’ignorance, aboutissant à ce constat final : « we all lose. » Sans que l’on puisse parler de disque engagé, nombre de préoccupations politiques et sociétales affleurent sous les rythmes tranchants, dansants de Brickbat en lui apportant une note plus troublée et inquiète ; « Village of the Damned » a beau jouer une insouciance un peu évaporée ensoleillée de cuivres, elle n’en évoque pas moins l’effroi devant les fusillades survenues dans des écoles (« when the schoolyard/Becomes the graveyard »), « What’s Next ? », une torpille que l’on croirait assemblée dans l’atelier du meilleur New Order propulsée par une intense dynamique, est un hymne à l’union et à la solidarité face aux manipulations des détenteurs du pouvoir, « Hated by the Powers that Be » et ses guitares compactes insistant quant à elle sur la nécessité de ne pas passer sa trop courte vie à ne pas assumer ses différences. Ce qui frappe et happe constamment chez Piroshka est sans doute l’énergie que dégage le groupe, massive et irrésistible dans le galop effréné de la bien nommée « Run For Your Life » au message plein de positivité (« Don’t give up, just get up/Eyes open and speak up/Keep loving and living/Don’t ever stop thinking ») n’hésitant pas à citer le tube disco Let’s All Chant du Michael Zager Band (1977), tourbillonnante façon vortex dans l’envie sans fin de « Never Enough », mais qui sait également se faire moins extravertie ailleurs sans être moins palpable ; « Heartbeats » est une déclaration d’amour maternel émue à l’enfant qu’il faut laisser s’échapper et vivre sa vie, quand « Blameless » nous entraîne dans le sillage de la dérive d’une femme préférant se noyer dans les mensonges et l’alcool plutôt que faire face à ses erreurs et aux facettes les moins reluisantes de sa personnalité, une confession ébréchée à la mélancolie prégnante qui constitue une des belles réussites de cet album. Il s’achève sur « She’s Unreal », une chanson sur le périlleux passage du virtuel au réel (« Cause when it’s real and when it’s dirty/You’ll realise it’s not so easy ») teintée d’une incertitude, d’un malaise qui auront traversé l’intégralité d’un disque dont l’enveloppe musculeuse et pourtant souple, le sourire et l’attitude de défi affichés ne masquent pas totalement la fragilité et les doutes. En jouant subtilement sur les réminiscences d’une époque musicale dont ils ont été des acteurs majeurs et dont ils redessinent aujourd’hui habilement les contours pour lui offrir une jeunesse nouvelle et exempte de nostalgie, les quatre de Piroshka démontrent leur capacité à se réinventer sans se renier ; tour à tour incisif, tendre, vibrionnant, ironique ou onirique, leur Brickbat taillé à la mesure du présent a presque des allures de classique.

Piroshka, Brickbat
1 CD / LP Bella Union


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A propos de Jean-Christophe PUCEK

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