Da Capo – « Oh, my lady » (2017)

Da Capo revient avec Oh, my lady, un cinquième album riche et mélodieux. Une pop aux compositions toujours grandes ouvertes, radieuses et mélancoliques à la fois.

Il faut (re)découvrir d’urgence la pop de Da Capo, le groupe d’Alexandre Paugam, initialement fondé avec son frère Nicolas. Avec Minor Swing, un premier disque sorti chez Lithium à la fin des années 90, Da Capo a ouvert un sillon assez inédit dans le paysage « français ». Les frères Paugam y croisaient de manière personnelle le swing, le rock, la pop anglaise (ou américaine), les guitares et les cuivres. La formation a connu un parcours plus incertain par la suite, essuyant quelques incompréhensions, et payant surtout son originalité musicale dans le climat de crise des années 2000. La réception de The Fruit, deuxième album plus abouti et sombre que le premier, est assez divisée. Le troisième, Third, enregistré en 2007, reste sans label ni pressage malgré ses qualités. Une petite renaissance adviendra, avec la réédition sur un label espagnol de Minor Swing et l’écriture d’un quatrième très bon disque, Out of Spain, en 2012. Alexandre et Nicolas Paugam se séparent ensuite pour mener à bien des projets personnels (l’un dans la musique de spectacle, l’autre dans le jazz). Da Capo est provisoirement mis en suspens…

Oh, my lady qui paraît aujourd’hui est le cinquième album en date. Il est sorti comme le précédent au terme d’une campagne de financement participatif. Le disque montre qu’Alexandre Paugam reste un compositeur et un mélodiste très inventif. Les titres sont toujours chantés en langue anglaise avec une variété de climats musicaux, entre narrations imagées et petites épopées dramatiques. Si un spleen ombrageux semble recouvrir les chansons du disque d’une lourde écume, comme dans la longue lamentation du second titre « Oh, my lady », avec son piano et son crescendo lancinants, les compositions se révèlent vite, pour qui sait s’y abandonner, plus rayonnantes et colorées qu’au premier abord.

L’album Oh, my lady renoue avec ce plaisir du jeu et de la recherche musicale cher à Da Capo, qui s’abreuve à de multiples sources. Un semblant de John Barry dans les arrangements les plus fournis (« We’ve been waiting here » et « Cold in the night », véritables morceaux signature du groupe, amples et dramatiques), mais aussi, quelque chose de Robert Wyatt dans le lâcher prise vocal et les inflexions jazz-rock (le duo sax et onomatopées vocales de « Far Cry » et les sonorités seventies de l’émouvant « Stranger »). On y retrouve les guitares électriques et les samples des disques antérieurs, une diversité de textures et de rythmes qui renouent de loin avec l’indie rock atmosphérique des années 90 finissantes. Il y a toujours un goût appuyé pour les instruments acoustiques – piano, trompette, sax soprano – qui tisse un pont avec la pop baroque de Love ou des frères Heads, et, ça et là, de petites incartades au sel plus exotique (une valse, un rythme presque latin, un peu de scat, des ay ay ay langoureux). Le disque ménage quelques ballades intimistes, des arpèges égrenés ou une guitare classique hispanisante, une voix susurrée doucement réverbérée comme dans « You really don’t know » et « Beauty from you ».

La noirceur apparente des chansons est tempérée par un envers joyeux, des arrangements ludiques et quelques éclaircies toniques. Au fil des écoutes, une forme de fantaisie et de vitalité perce sous le manteau élégiaque des chansons. « Violent World », placé en bonus à la fin de l’album, vient nous le rappeler, par son panache, sa marche tonitruante, ses chœurs combattifs. La musique de Da Capo reste rigoureusement composée. Elle est un mélange de sonorités assez actuelles et de réminiscences sans recyclage ni effet de modes. Cet artisanat pop méticuleux, et le soin porté aux arrangements, peuvent sembler anachroniques mais Oh, my lady, comme les albums précédents de Da Capo, n’a rien d’académique. Le disque, très riche, ne cesse d’évoluer. On y trouve de petites ou grosses météorologies, des détours de composition, des passages d’humeurs et des sauts stylistiques qui s’écoulent avec naturel. Un rythme de caisse claire très dansant (« I feel in love »), une valse au balancement dramatique (« Cold In Night »), une ballade intimiste portée par piano et trompette (« Beauty from you ») se font suite comme les mouvements d’une même émotion, et non comme des plages alignées.

Oh, my lady est donc un bel album, dense et cohérent, au charme intemporel. Son attrait mélodique s’accentue au fil des écoutes. Traits communs des deux frères Paugam (Alexandre avec Da Capo, ou Nicolas qui mène désormais une carrière solo (Mon agitation et Aqua Mostlae, chroniqués dans nos colonnes)) : leurs compositions consistantes mais enlevées, un goût pour les formats de chansons étirés, et pour les développements instrumentaux assez foisonnants. En conséquence, leurs albums, bien que gorgés d’accroches, dévoilent leurs atouts progressivement, le temps d’entrer en familiarité, presqu’en sympathie musicale. Ils demandent parfois un peu d’attention pour en peser toutes les qualités. Espérons que l’excellent Oh, my lady engagera les amateurs à redécouvrir en ligne la discographie complète de Da Capo : The Fruit, Third et Out Of Spain ; des albums épuisés, moins connus et parfois inédit, tout aussi réussis.

Da Capo, Oh, my lady (Microcultures/Differ-ant) – sortie CD le 3 mars 2017
site de Da Capo et discographie antérieure sur Bandcamp

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A propos de Robert Loiseux

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