Arcade Fire – The suburbs (archives)

(Article préalablement publié en août 2010)

Le tourbillon qui a saisi nos chers canadiens d’Arcade Fire au matin de la sortie de Funeral s’est assagi au soir du dernier concert de la longue et sucessful tournée faisant suite à Neon bible. Un rollercoaster ride emmenant le groupe jusqu’au sommet commercial et critique avant qu’ils ne décident de faire un break histoire de ne pas imploser en plein vol, histoire sans doute aussi de se rappeler qu’il y a une vie en-dehors des salles de concert et des interviews et que celle-ci n’est pas des plus déplaisante également (voilà terminé avec le mélange anglais-français dans la prose, soyez rassurés). Une pause d’une année donc et puis une autre encore passée à composer et enregistrer de nombreuses chansons dans leur antre de Farnham, dans ce vase-clos qui leur plait tant (on retrouve même le violon d’Owen Pallett venu encore une fois triturer ses cordes) pour au final proposer un copieux The Suburbs fort de 16 pistes (un record pour le groupe)

Le sentiment le plus gênant finalement à l’écoute de ce disque ce n’est pas tant une éventuelle déception d’ensemble (cette idée que le groupe a déjà atteint la perfection à l’époque de Funeral et que la perfection c’est bien connu ne dure jamais) que l’impression que le groupe se fond désormais dans le moule général de l’indie pop.

Arcade Fire était un groupe unique en effet : un son unique déjà, fruit de mille influences tellement diffuses qu’elles étaient difficilement traçables, des performances uniques encore (une énergie collective une symbiose entre 8 musiciens et leur propre musique, un charisme invraisemblable) et un album unique enfin, Funeral. Neon bible déjà avait déçu, non pas qu’il s’agissait d’un disque raté ou seulement moyen, il n’y avait simplement pas là matière à la bouleversification, c’était un bon disque qui s’écoutait sans aucun déplaisir mais sans aller jusqu’à se relever la nuit pour le réécouter et sans surtout faire oublier Funeral (quand on voulait écouter du Arcade Fire c’est évidemment lui qu’on posait sur la platine).

Arcade Fire était un groupe unique donc et ne l’est plus. Sur disque s’entend. On entend cette fois plus distinctement quelques voisinages et influences, le rock des années 80 pourrait-on résumer, celui-ci incluant aussi bien les groupes alors émergeants (mode guitares lustrées comme synthés poppisants) que les productions d’époque de nos glorieux anciens (Neil Young mais surtout Tom Petty, Blondie aussi sur un titre), on est loin d’une synthèse unique et singulière, inspirée et émouvante comme le groupe en proposait auparavant.

Entendons nous bien. Si Arcade Fire rentre dans le rang ce n’est pas tant pour se retrouver noyé au cœur du peloton tel un vulgaire échappé français d’une étape de plaine du Tour de France mais bel et bien pour y évoluer en première ligne. Un morceau comme Ready to start est de la graine de podium pour le titre de chanson de l’année, un titre qui hypnotise et émeut en même temps, un roulis compresseur de toute beauté, un autre tel We used to wait amuse par sa rythmique légère et son gimmick de synthé, Month of may fait taper du pied comme jamais chez Arcade Fire au même titre que le sautillant Empty Room (ah tiens enfin un peu de violonneries !), Wasted Hours apaise joliment, Modern Man est une belle preuve que le groupe a encore beaucoup à apporter en vieillissant, ce n’est pas rien tout ça, loin de là.

Seulement voilà, on entend uniquement ou presque Win Butler au chant, plus guère de chant chorale exalté, plus guère de Régine en lead (on dirait presque tant mieux à l’écoute du douloureux Sprawl II lorgnant dangereusement et maladroitement sur Blondie), le collectif semble affairé à ses instruments, la tête faisant peser tout le poids de la gravité vers sa paire de baskets là où jadis chacun s’arrachait la voix en défiant les étoiles du regard jusqu’à en faire dévier leur route. L’album évoque ses moments dans la carrière de certains groupes où la plénitude (critique et commerciale, l’absence de montagnes à conquérir étant entendu que le groupe a désormais vaincu) conduit soit à un grand lifting grand public soit à une expression totalement libre dans laquelle le groupe ouvre les vannes et tâte de plusieurs ambiances musicales, guidé par le simple plaisir, celui de jouer comme celui de pousser le plus loin possible la moindre idée. Sur ce Suburbs on ne ressent nul sentiment d’urgence et d’évidence comme Arcade Fire savait si bien en diffuser, «juste » une plénitude des moyens et du travail bien fait. On met des guillemets à « Juste » pour éviter de minimiser l’impact tout de même : oui The Suburbs est un bon disque, oui Arcade Fire a toujours à proposer côté disques, oui Arcade Fire reste bien au-dessus de la mêlée, oui mais bon…

Rien de plus injuste sans doute que de se référer à un disque sorti bien des années auparavant pour rendre compte de ce disque-ci d’un groupe qui-plus-est aussi estimable, attachant et sympathique qu’Arcade Fire. C’est le prix que payent ceux responsables de chefs d’œuvres, au sens non galvaudé du terme, comme Sufjan Stevens par exemple pour se circonscrire la décennie passée. The suburbus est plutôt un très bon disque parmi bien d’autres sortis cette année, rien de plus (quelques titres vraiment neutres, surtout dans sa seconde moitié) mais rien de moins non plus (une perle et puis quelques pépites, presque une moitié d’album). Il reste néanmoins les concerts, là où personne ne peut rivaliser avec eux, là où personne aussi ne peut rester de marbre devant cette énergie, cette finesse, cette joie de jouer communicative, cette fusion entre un groupe et un public, la musique en guise de glue. Des années déjà que le groupe émerveille sur les planches et sans jamais venir tarir l’excitation, l’attente, le plaisir pris enfin, l’euphorie qui nous saisit.

Alors Arcade Fired ? Pas vraiment non. Avec The Suburbs Arcade Fire se pose de manière définitive comme le groupe d’une génération, une génération qui va vieillir ainsi avec le groupe, qui a déjà commencé à le faire d’ailleurs. Qu’il le veuille ou non Arcade Fire prend de cette manière la directe lignée d’un U2 au même titre qu’un Coldplay ou qu’un Muse dans deux veines différentes et ce même si Arcade Fire arrive à synthétiser parfaitement ces deux franges mélodique et sonique. On est d’avis qu’ils s’en foutent un peu, on est surtout d’avis qu’on les suivra longtemps encore et qu’on attend déjà la suite avec impatience.


 

 

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