Passé le titre français qui va une fois de plus inscrire Hong Sang-soo dans son appellation très contrôlée de Rohmer coréen, Les femmes de mes amis mérite sans doute d’être mieux distribué que les précédents ouvrages du metteur en scène en ce sens qu’il est sans doute à ce jour son film le plus accessible et grand public. Étonnant alors à priori que la production soit ici assez minimaliste, et que le personnage principal (un metteur en scène convié à un jury de festival) puisse laisser craindre un registre « encore plus » étroit. Pour autant le réalisateur surprend d’emblée en jouant la fibre humoristique sur un registre plus direct que dans ses précédents. Les scènes de beuveries, d’ennui, de lâcheté du protagoniste quand à ses engagements, son désir de célébrité complexé : tout cela Hong le traite de front comme rarement au sein de séquences dialoguées plus enclines à développer cette fois des quiproquos et des situations de comédie que du malaise ou des tons contrastés.
Comme sa forme, Les femmes de mes amis vise à reprendre l’essentiel du cinéma du metteur en scène en le dépouillant le plus possible des circonvolutions et dédales. En gros, le schéma narratif en deux parties où le spectateur traque les parallélismes et jubile de cette manière unique de mettre en évidence l’incertitude objective, est très proche des constructions des œuvres antérieures, mais la chose est ici abordée avec une grande simplicité, sans réel dispositif. HSS a passé en revue tellement de mode de constructions pour relater l’échec des désirs un tantinet kierkegaardiens de répétitions, qu’il semble disposé à intégrer toute ces expérimentations dans un film qui ne culpabiliserait pas de son aisance et de sa limpidité de langage. Les zooms et panoramiques, les longs plans séquences, le chapitrage, le numérique : au fur et à mesure le réalisateur semble avoir essayé de nouvelles techniques pour défier les pièges narratifs, et pour que les problèmes humains qu’il nous raconte soient servis avec le plus de justesse possible.
Les femmes de mes amis (appelons le plutôt Like you know it all maintenant) fonctionne un peu comme si le « philosophe » Hong Sang-soo était assez au point pour nous livrer son petit manuel pratique synthétisé, tout en s’amusant à tenter au fond ce qui est aussi sa première grande autocritique en tant que créateur. S’il s’est sans doute nombre de fois projeté dans ses personnages d’artistes, le protagoniste a tout de même cette fois la particularité de ressortir certaines assertions qu’ HSS livre lui-même en interview : son désir de faire un cinéma absolument sans « à priori », de laisser l’histoire prendre la forme qu’elle doit avoir au fur et à mesure de l’écriture et du tournage… Dans un dialogue mis en scène avec des étudiants, l’idée d’un cinéma qui se désire sans prétention mais qui serait finalement prétentieux est esquissé distinctement, en même temps que le héros ne cesse d’être en quête d’un véritable succès public, d’un film populaire.
Il y a comme une mise en point ici sur le désir de totalité et de supériorité de l’artiste -« philosophe » (c’est ce que serait HSS en fin de compte, et à quoi il se réfère explicitement d’ailleurs dans une drôle de scène avec des étudiants). Tout en critiquant les pièges de la subjectivité, de l’interprétation anthropomorphique du monde, il aspire peut-être implicitement à cette compréhension objective et à la supériorité qui en découle. La difficulté des relations personnelles, à se faire aimer et à aimer, l’inconséquence du discours, en passant par la trahison de l’ami proche ou du mentor : des thématiques assez graves qu’Hong a choisi de traiter sur un mode plus léger, parce que peut-être qu’elles le concernent très directement.
Dans tous les cas, Like you know it all parvient à un degrés d’humilité, d’universel et de luminosité rarement atteint chez le réalisateur. Sa vision de l’humanité est au fond très libre et spontanée dans son arrière plan (voir ainsi l’épreuve de bras de fer, cette superbe séquence de déambulation solaire et « inutile » du héros, ou encore ce moment de désir des personnages avant l’adultère explicite, superbement rendu par les comédiens, et qui confirme que HSS va de plus en plus vers l’ellipse du sexe maintenant) . Du moins fait-il tout pour travailler à la conservation de sa perspective de la réalité, comme l’entretien actif d’une vision décidée, où l’être humain serait fragile, drôle, parfois pathétique dans son imperfection mais jamais pitoyable.Il s’y ajoute aussi un degré de grâce très original au sein de cette filmographie qui va plutôt trouver ses éclats dans le contraste et la tristesse. C’est la démonstration d’une capacité à déceler dans sa matière une sagesse et s’y arrêter, en ne faisant pas de son cinéma qu’une seule recherche effrénée. Et c’est en tant que tel que Hong Sang-soo est véritablement devenu une sorte de philosophe, plus seulement un aspirant via la mise en scène; c’est ainsi que ce film, faussement mineur, s’impose comme une grande étape: celle manquée sans doute avec La femme est l’avenir de l’homme, tentative un peu avortée de film somme qui avait surtout réussi à rendre son propos et son style plus appuyé. Il y a toujours du bon à simplifier, à affiner, et à s’ouvrir. Même si ça ne doit être qu’une seule fois.
Ecrit et réalisé par Hong Sang-soo. Photo: Kim Hoon-kwang. Montage: Hahm Sung-wong. Musique: Jeong Yong-jin. Avec: Tae woo-Kim, Ko Hyeon-jeong, Hyun -jung Go, Ji-won Uhm… 126 minutes.
Sortie le 5 mai 2010
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