Depuis un bon nombre d’années, nous suivons de près, et avec intérêt, le travail de Hong Sang-soo. Que ce soit pour Culturopoing ou pour d’autres média, nous avons écrit sur tous ses films sortis en France depuis Seule sur la plage la nuit (2017). Ne goûtant pas spécialement à la politique des auteurs, nous avons, bien sûr, mis en avant les films qui nous semblaient clairement sortir du lot : Seule sur la plage la nuit, Hotel By The River (2020), Juste sous vos yeux (2021), mais aussi signifié, sinon affirmé, notre déception par rapport à d’autres œuvres, notamment Grass (2018). À son propos, nous avons écrit :  « (…) nous préférerions que Hong Sang-soo se fasse plus rare, même si nous comprenons que celui-ci ressente un impérieux besoin de filmer. En effet, prendre davantage de temps lui permettrait peut-être de donner plus de profondeur et de vérité aux sentiments qu’il ne fait qu’effleurer (…) ».

Dans De nos jours…, les dialogues de dimension intellectuelle sont fournis, plus qu’à l’accoutumée. Il s’agit des échanges entre un poète d’un âge avancé qui a des problèmes de santé – le cinéaste reprend ici, en quelque sorte, un personnage de son précédent film La Romancière, le film et le heureux hasard, les deux étant incarnés par le même acteur : Gi Ju-bong – et un jeune homme qui voudrait des réponses aux questions qu’il se pose sur son interlocuteur et, plus généralement, sur la Vie. Ce n’est pas inintéressant, mais nous avons quand même eu la désagréable impression, plus forte cette fois-ci qu’en d’autres occasions, que le cinéaste tourne en rond, ressasse ce qu’il a déjà approché ou dit dans des précédents films… Le poète refuse de répondre à beaucoup de questions qu’il juge stériles, inutiles, affirme sa volonté de profiter tout simplement du présent – d’« une vie douce, sans problèmes ». Il ne suffit cependant pas de brandir à tout bout de champ ce fameux concept de la variation, d’évoquer la mise en abîme – dans De nos jours…, le poète est filmé par une jeune fille qui prépare un documentaire sur lui – ou de se référer à la forme, a priori séduisante, du haïku pour faire passer et avaler toutes les productions du réalisateur qui n’ont à l’évidence pas de la même brillance poétique. La sage philosophie du carpe diem, arrosée plus ou moins rapidement de soju ou autre boisson, n’a-t-elle pas déjà été suffisamment entendue, notamment dans Juste sous vos yeux ?


La partie consacrée au poète est mise en parallèle avec une autre partie concernant, elle, une actrice qui a mis fin à sa carrière et tente de se reconvertir – des scènes renvoyant à chaque partie sont alternées. Là aussi, un fil semble tiré à partir de La Romancière, le film et le heureux hasard – l’actrice que parvient à faire figurer l’écrivaine dans son film est, comme ici, incarnée par Kim Min-hee. Cette femme discute avec une plus jeune femme qui, elle, voudrait embrasser cette carrière et demande un retour d’expérience de la part de son interlocutrice. Le discours auquel le spectateur  a droit est celui, là aussi plus ou moins déjà entendu, sur la « sincérité » que l’actrice est censée obtenir en se débarrassant des couches qui cachent son vrai moi : les « habitudes », les « préjugés », les « peurs ». Heureusement que l’un des cartons explicatifs émaillant le film explique au spectateur, juste avant, que l’ex-comédienne parlant de son passé se sent « s’enfoncer ». On osera croire qu’il y a là une pointe d’ironie destinée à prendre un peu de distance avec ce qui constitue un cliché.

Le lecteur aura peut-être compris, à travers ces quelques lignes, que Hong Sang-soo s’amuse à créer un jeu dialectique de mise à distance et de rapprochements – parfois par de petits détails du quotidien, comme le gochujan rajouté pour relever le goût du ramyun – entre ces deux personnages qui le représentent plus ou moins directement, lui, mais aussi celle qu’on peut se permettre de considérer comme son égérie – à noter que Kim Min-hee assure maintenant, même si c’est pour la forme ou comme garantie, la fonction de directrice de production, voire de directrice artistique.

Ce n’est pas la volonté de tourner des « scènes de la vie » – avec bruits de marteau-piqueur ou brouhaha de la foule en hors-champ -, revendiquée par la jeune cameraman, qui nous gêne dans le présent opus, c’est l’absence de ces moments et caractéristiques qui faisaient la beauté de certains autres films dont nous avons cité certains au début du présent texte – et qui, parfois les sauvaient – : un manteau neigeux pour accompagner la mort d’un personnage principal, un petit film en forme d’épiphanie colorée à la fin d’un film-cadre en noir et blanc pour symboliser le printemps, un réveil qui donne une possible et étrange dimension onirique à ce qui le précède, un rire qui semble nerveusement tourner aux larmes.
Espérons que Hong Sang-soo retrouve à l’avenir un peu d’épaisseur, de puissance émotionnelle, de grâce, qui, selon nous, lui manquent cruellement dans De nos jours…

Petite précision : deux œuvres ont été réalisées par Hong Sang-soo avant ce film-ci. Elles ne sont pas encore sorties. Walk Up (À chaque étage) et In Water (d’une durée de 61 mn et avec une grande de part de plans volontairement flous).



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