Bo Arne Vibenius – « Thriller -Crime à froid »

Avec le temps, l’aura mythique de Thriller n’a cessé de croître. Réalisé par un cinéaste quasiment inconnu (Vibenius a été l’assistant de Bergman et n’avait alors tourné qu’un seul long-métrage…pour la jeunesse!), le film a été remis au goût du jour grâce à Quentin Tarantino qui lui a rendu de nombreux hommages dans Kill Bill.

Si le film a gagné en popularité, c’est également grâce au personnage que compose la divine Christina Lindberg. Madeleine est une belle jeune fille devenue muette suite au traumatisme d’une agression sexuelle dans son enfance. Elle rencontre un jour un beau jeune homme qui, après l’avoir séduite, la séquestre, la drogue, lui crève un œil et la prostitue. Dès lors, elle n’aura plus qu’une idée en tête : se venger…

Thriller s’inscrit donc dans le genre du « rape and revenge » et fonctionne d’abord grâce au charisme de son interprète principale. Difficile d’oublier le minois angélique de Christina Lindberg contrastant avec la sauvagerie avec laquelle elle va se venger de ses bourreaux. Mutique et affublée d’un bandeau sur l’œil, elle impose immédiatement une présence inoubliable et parvient à engendrer plus qu’un personnage : un véritable mythe. A l’instar de « l’homme à l’harmonica » dans Il était une fois dans l’Ouest, cette justicière impitoyable aux allures de pirate est indissociable de Thriller et de son atmosphère suffocante.

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Ce qui frappe également dans le film de Vibenius, c’est le rythme très particulier qu’il met en place, privilégiant la dilatation du temps et une certaine lenteur. De la même manière, alors que la doxa du film « d’action » voudrait que le récit s’accélère quand arrive la vengeance et le « climax » particulièrement violent de l’œuvre ; le cinéaste prend le contre-pied total et ralentit le mouvement, le décompose en de nombreux ralentis qui ne sont pas pour rien dans le pouvoir hypnotique du film. Le cinéaste lorgne davantage du côté de Bergman (après tout, La source peut être considéré comme la matrice de ce sous-genre qu’est le rape and revenge!) que du côté du cinéma d’exploitation. Et c’est moins l’effet-choc qu’il vise que d’ausculter les tréfonds les plus sombres de la nature humaine.

Au rythme très lancinant de l’œuvre (qui n’accélère que lors des passages de « l’entraînement » de Madeleine où le montage alterné permet d’enchaîner les visions du quotidien sordide de la jeune prostituée et sa découverte des armes, de la conduite et du kung-fu) ; Vibenius ajoute un travail assez étonnant sur le son, jouant sur des effets de diffraction et de réverbération qui accentuent la dimension oppressante de l’œuvre. Du coup, la dernière demi-heure, composée de meurtres sanglants au ralenti et de cris décomposés électroniquement, donne au film une couleur funèbre étonnante et assez inédite. Situé dans les paysages somptueux de >l’île d’Öland, le duel final renvoie à toute une mythologie du western avec son héroïne impitoyable et solitaire qui semble disparaître dans le néant.

Avant cela, Thriller aura secoué le spectateur en ne s’interdisant jamais de flirter avec les limites les plus extrêmes de la représentation. Il existe de nombreuses versions de ce film et Jean-Pierre Bouyxou, dans Une encyclopédie du nu au cinéma, en dénombre huit «avec des dosages variables de sexe et de violence. La plus explosive fut présentée à Cannes (au Marché du Film) en 1973. De longs plans hard, volontairement dérangeants, contribuaient à instaurer une impression de malaise et rendaient la dernière partie, très sanglante, encore plus terrifiante ». J’ignore si c’est cette édition qu’ont exhumée les éditions Bach Films mais toujours est-il qu’il s’agit ici d’une version hard, dotée d’inserts pornographiques. Ce qui pourrait apparaître comme un simple et douteux procédé commercial (racoler le chaland en caviardant les œuvres de plans pornographiques fut une pratique très en vogue à une certaine époque) prend tout son sens dans le cadre précis de ce film.

En effet, Vibenius filme un personnage constamment dépossédée d’elle-même : violée dès son plus jeune âge puis soumis à un proxénète qui la brutalise et la drogue pour s’assurer de sa totale dépendance. Du coup, les plans hard du film -auxquels n’a bien évidemment pas participé Christina Lindberg-, renforce l’atmosphère sordide du récit tout en soulignant la réification de ce corps constamment malmené. Rien « d’excitant » dans ces inserts pornographiques mais, au contraire, une volonté délibérée de renforcer le malaise, de vriller les nerfs d’un spectateur qui, d’une certaine manière, voudrait jouir de la soumission de cette jeune femme (un de ses « clients » est un photographe qui jouit de son corps nu).

Une fois de plus, tout est question de rythme et de rime : le retour régulier de ces plans crus et mornes accentue l’obscénité des situations et annonce le caractère mécanique et « pornographique » des meurtres finaux (avec le même écoulement de fluides : le sang succédant au sperme).

Que ce soit pour le sexe ou la violence, Vibenius cherche à explorer les limites de la représentation, n’hésitant pas à filmer une injection de drogue en gros plan (Lindberg confie en bonus du DVD qu’une infirmière a réellement réalisé la piqûre) ou un œil qu’on crève comme au début du Chien andalou (là encore, la comédienne affirme que la scène a été réalisée sur l’œil d’un véritable cadavre!)

Ce cocktail explosif d’horreur et de sexe fait de Thriller un film d’une noirceur inouïe dont on sort secoué et mal à l’aise. Aucun espoir ne transparaît dans le récit de cette vengeance d’un corps humilié et réifié.

Avant qu’on perde sa trace, Vibenius réalisera ensuite un Breaking point où il semble aller encore plus loin dans l’expérimentation que dans Thriller.

On espère pouvoir un jour découvrir ce film en DVD…

 

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Thriller – En grym film (1973) de Bo Arne Vibenius (alias Alex Fridolinski) avec Christina Lindberg, Heinz Hopf.

Éditions Bach Films

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