Louise Courvoisier,  » Vingt Dieux »( Sélection Un certain regard) : notre coup de coeur.

Sur la scène du théâtre Debussy ce vendredi 18 mai se tenait un groupe de très jeunes gens tels que l’on non croise pas beaucoup sur la Croisette. Leur point commun: ce sont tous des agriculteurs jurassiens qui, le temps d’un film, ont fait les acteurs. Louise Courvoisier, issue de la Cinefabrik, a choisi, pour son premier film, de donner à voir ces vies, ces corps, que le cinema montre peu. Elle les connaît bien: juraissienne, fille de deux musiciens reconvertis dans l’agriculture, elle porte sur ses personnages un regard d’une infinie douceur. 

Suite au décès brutal de son père, Totone, 18 ans, se retrouve soudainement responsable de sa petite soeur de sept ans. Une responsabilité qui n’est plus seulement de tendresse mais aussi financière : il doit désormais trouver un moyen de gagner sa vie. Il décide alors de fabriquer, aidé de ses meilleurs amis, le meilleur comté de la région, celui avec lequel il remporterait une médaille mais surtout la rondelette somme de 30 000 euros. De bagarres en beuveries, de menus larcins en grands rêves, de grands drames en infimes victoires, la réalisatrice filme ses personnages tambour battant tout en prenant le temps de nous laisser contempler les paysages. Une musique chorale simple et bondissante, composée par ses parents, accompagne leurs aventures picaresques .« Vingt-Dieux », c’est le juron dix fois proféré par ces pieds nickelés qui se heurtent à l’échec ou à la frustration. Autour de ce récit se dégage alors une fraîcheur incomparable mêlée de drôlerie et de mélancolie. Totonne, avec maladresse mais aussi avec toute l’impertinence de sa jeunesse, montre qu’il est nécessaire d’espérer pour entreprendre mais pas de réussir pour persévérer. Le temps alors, comme la douleur, se décantent. Cette histoire qui le pousse plus tôt que prévu dans l’âge adulte le conduit à une aventure amoureuse. Se vit alors une romance qui n’ose pas vraiment dire son nom, et qui s’épanouit parfois dans les étables, alors qu’un veau est en train de naître. Les scènes d’amour semblent toutes neuves et le personnage féminin est un régal dans sa totale absence de mignardise.

On ne peut que penser aux premiers films de Ken Loach, lorsqu’il était à son meilleur. Et quand on est ému aux larmes parce qu’un caillé est enfin réussi ou qu’une voiture gagne un improbable concours de tonneaux, on se dit que le fromage n’est pas le seul à avoir pris dans ce film.  La scène finale est aussi belle que celle qui clôt De beaux lendemains de Russel Banks. 

La très longue ovation réservée à l’équipe du film fut un des moments les plus touchants de cette première semaine. 

Lumières nordiques: Magnus von Horn, « La jeune femme à l’aiguille » ( compétition officielle) et  Rúnar Rúnarsson, « Ljósbrot » ( Un certain regard). 

La jeune femme à l’aiguille, réalisé par le Suédo-Poonais Magnus Von Horn, est une longue saga historique en noir et blanc dans laquelle un trait de lumière ne perce que rarement. Situé au début du vingtième siècle, il ne nous épargne rien des rudesses de l’époque: exploitation des ouvriers, gueules cassées, infanticides, etc. Le parcours de son personnage féminin vers la maternité est parsemé de violences. Au moment où survient  l’épiphanie finale, le spectateur, lassé de tant de noirceur aux apprêts  auteuristes, ne parvient pas à voir l’illumination.

Cette lumière, Ljsósbrot, du réalisateur islandais Rúnar Rúnarsson, en est au contraire nimbée d’un bout à l’autre. Le film débute comme un vaudeville: Diddi quitte Una pour aller rompre avec Klara mais est victime d’une catastrophe (magnifique scène pré-générique de l’embrasement d’un tunnel). Se retrouve pour le pleurer une bande d’amis, parmi lesquelles les deux jeunes femmes rivales. Mais le vaudeville fait long feu. C’est dans l’énergie et la chaleur de ces jeunes corps et âmes que se raconte une très belle histoire de deuil, portée par de magnifiques jeunes acteurs. S’en dégage une grande tendresse aux teintes mordorées.

Andrea Arnold, « Bird » (compétition officielle) : entre ciel et terre

Il y a dans « Bird » une perpétuelle bascule entre le rêve et la poésie (la métaphore de l’oiseau, la nature pénétrant l’aridité urbaine) et la dureté du réel, cette terre aride et métallique, taguée, abandonnée, no man’s land bétonné et son contre-point, le ciel et la liberté de son absence d’horizon. « Bird » c’est aussi un trio magistral d’équilibre, d’un côté un père qui refuse de grandir (Bug), de l’autre le personnage mystique de « Bird » (joué par Franz Rogowski), ange déchu et gardien protecteur de Bailley, à peine 13 ans et se battant pour sa famille déchirée entre deux squats, tenant le rang de l’ainée à s’occuper de ses petits frères et sœurs abandonnés à leur sort d’une vie sans figure parentale. Mais point de moralisation douteuse ou de fausse empathie chez Andrea Arnold, mais un amour inconditionnel pour cette population qu’elle connaît si bien, et qu’elle aime d’un amour total. A l’image de Bug, ce père que l’on pourrait sciemment détester par son absence, mais que l’on finit par chérir par son humanité débordante. Il y a également une foudroyante idée de mise en scène dans « Bird », c’est sur l’image, la vidéo qui, chez la grande majorité des lecteurs sociaux est vue comme une maladie générationnelle débilisante (la génération écran, Instagram,…) alors qu’ici, la vidéo du téléphone est à la fois source d’émancipation artistique pour Bailley (qui projette la nature filmée sur le mur de sa chambre) et de protection (elle sort son téléphone systématiquement pour preuve d’agression qu’elle subit). De plus en plus attaché au personnage, l’on fond évidemment en larmes répétés face aux destins de ce fameux trio, non pas tragique, mais heurté, bousculé, sans jamais de sentiment d’exagération lacrymale. Car de cette dernière scène finale poignante ne cessera de jaillir, comme l’ensemble du cinéma de Arnold, de la joie, des rires, un cinéma de la vie, profondément humain. (par Pierig Leray)

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