Robert Mulligan – Une certaine rencontre (Love with the Proper Stranger – 1963)

Pour la première fois disponible depuis 1963, grâce à Splendor films, Une certaine rencontre raconte une histoire d’amour à rebours. Une histoire d’amour comme un gant que l’on retourne et dont le point de départ signe généralement la fin du couple : un avortement. Nathalie Wood, alias Angela, en pleine foire aux offres d’emploi, se plante devant un Steve Mc Queen, alias Rocky, médusé. Elle vient chercher une « adresse » et lui apprendre sa grossesse, fruit d’une nuit d’ivresse des sens sitôt consommée, sitôt oubliée. Il peine à se rappeler qui elle est. Et devant sa réaction inadéquate, Angela, furieuse, l’abandonne à la foule puis sur le trottoir où il la poursuit, visiblement embêté (ce n’est pas un mauvais bougre mais il a déjà son lot de soucis). Elle se contente d’indiquer qu’elle est vendeuse à tel étage chez Macy’s. Les douces années soixante se révèlent violentes pour toutes les jeunes filles accidentées de l’amour qui doivent masquer ce mauvais coup du sort, « erreur de jeunesse » dirait-on, dans un mariage vite arrangé, soi-disant salvateur, à moins d’opter pour les méandres et embûches de l’avortement clandestin. Aussi dangereux qu’illégal. A Hollywood, la romance n’est jamais loin de la réflexion d’ordre sociétal.


© Splendor Films

Le réalisateur Robert Mulligan, qui renoue trois ans plus tard avec Nathalie Wood pour Daisy Glover (1966), choisit un sujet plutôt audacieux. Et sa mise en scène travaille la lutte contre les lois invisibles et oppressantes de la famille, de la morale, d’une société encore en mutation. Mais aussi contre l’enfermement dans un déterminisme terrifiant. Surveiller, protéger, étouffer, semble le credo de toute famille récemment émigrée aux Etats-Unis. Ce pays qui fait peur à force de proposer la liberté en guise de bannière et de choix de vie. Les jeunes filles rêvent de « movie star on a horse » et d’appartement à elles quand la famille (italienne de surcroît) les cantonne derrière un rideau du salon, présente les prétendants potentiels et surveille leurs allées et venues. Une certaine rencontre cherche à défaire cette situation inextricable. Les pièges et les impasses se dessinent jusque dans les décors : les longs corridors obscurs succèdent aux ruelles désaffectées. Chaque lieu sourd de solitude. La caméra se heurte à un univers barré, des pièces exiguës ornées de grilles dénoncent la pauvreté aussi bien que l’enfermement. Une fabuleuse scène de course poursuite participe de cet effet. Ainsi le couple désuni (Rocky et Angela1), provisoirement réunis pour trouver une issue au « problème » qui les a remis l’un en face de l’autre, se lance à corps perdus dans les ruelles de New-York. Rocky et Angela tentent une course contre la montre et la famille avant de se jeter tête baissée dans la chambrée où doit avoir lieu la mise à mort de leur lien affectif. La destruction du fruit défendu qui doit signer la fin de l’histoire. Cette course poursuite dans New-York semble redéployer les lieux même de West Side Story (1962) avec sa romance des amants éternels : il n’y a que dans les films que l’on s’aime jusqu’à ce que la mort vous sépare, semble dénoncer Mulligan (en empruntant les traits de la Maria de Robert Wise). Mais il le dit avec un film, joli paradoxe !


© Splendor Films

Le parti pris, pour le moins original, de chercher à déjouer les codes et clichés de l’histoire d’amour conventionnelle, en exhibant ses réflexes comme une manière d’en défaire la malédiction, est la plus grande réussite du film. Il permet de conférer une note et un rythme singuliers à la comédie romantique hollywoodienne traditionnelle. Une soif de démanteler les amours ronronnantes. Les personnages veulent fuir les rouages d’une illusion vite avalée, vite régurgitée, avec force amertumes et douleurs. Ainsi, le film choisit de perturber le cours temporel, le rythme pulsionnel de la romance pour la propulser en fuite en avant. Lui s’essouffle quand elle ne cesse de glisser entre ses doigts. Le motif de la fuite témoigne du fait que Rocky et Angela tentent d’échapper à tous les clichés, tout comme à cette vieille rengaine de l’amour des chansons et des films qui ne tient pas la route face au réel. « Loveisa Proper Stranger » serine la radio. Ils en ont soupé du refrain terriblement illusoire et dissonant de l’amour toujours. « Les banjos et les cloches nous ont empoisonnés ». Pourtant, l’un comme l’autre l’espèrent ce grand amour, mais ils ne l’attendent pas. Ils ne tiennent pas en place. Ils luttent. Peut-être que la conscience des pièges peut aider à éviter de tomber dedans ?

Dès lors, le film pose la question habituelle à l’envers : comment ramener ces deux là à s’enlacer de nouveau ? Ils se sont aimés et embrassés en amont, dans un hors-champ qui précède la scène d’affrontement inaugurale. Comment les réenlacer façon comédie romantique ? L’une des protagonistes suit des cours sur l’amour comme si l’amour s’enseignait. Mulligan repose à plat un sujet éternel : est-ce que se marier c’est devenir prisonnier de l’autre (Rocky en est presque convaincu : « Le mariage, c’est comme devenir Prisonnier de Zenda ») ? Est-ce que la mort ne rôde pas dans les yeux des célibataires ? Est-ce qu’on est condamné à faire les mêmes erreurs que nos parents ? Les questions sont intemporelles.


© Splendor Films

Alors Nathalie Wood et Steve McQueen pris dans les rets d’ un poème de Rimbaud, tentent de décliner le vers : « Oui, l’amour est à réinventer ! »

1Le duo Nathalie Wood/ Steve Mc Queen est convaincant, même si le choix de Mc Queen en rital relève d’un choix un brin comique.

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A propos de Séverine Danflous

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