On continue notre report météorologique avec un ciel changeant, fait d’averses violentes et d’accalmies, à l’image de cette deuxième journée cyclothymique, villageoise et paysagère, communiste et pop, mais qui recèle tout de même un diamant brillant et brûlant au bord du Styx.

Monument to Michael Jackson, de Darko Lungulov

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 Cap à l’est à nouveau, avec une comédie serbe qui nous plonge au cœur d’un petit village dont Marko, le barbier à la quarantaine bedonnante et molle, traine son ennui en regardant son mariage et son pays tomber en décrépitude. Lorsqu’il apprend que Michael Jackson relance une tournée mondiale, il décide de bâtir un monument en son honneur, afin de transformer le village en une attraction touristique à la renommée mondiale.

Sorte de grosse comédie de bourg comme l’apprécient les yougoslaves, percé de la bienveillance du peuple villageois et la truculence de la langue, le film, jamais désagréable, rejoint très vite la catégorie « film à pitch », ne sachant lui-même plus trop quoi faire une fois l’horizon initial du titre épuisé.

De son ambition baroque, il n’y aura rien : l’amusante statue dévoilée, avec un King of pop les pectoraux saillants et carrés tendance lumpenproletariat en moonwalk, dernier appui d’une métaphore pourtant déjà bien lourde, le scénario perd pied et étire d’inutiles scènes rebattues sur le héros reconquérant sa belle, étalant le parcours finalement classique de séries B américaines du looser attachant et d’un village découvrant le pouvoir de l’espoir et du rêve. Yuck.

Déception d’autant plus grande qu’il recelait en son sein pourtant de belles pistes, comme cette disparition de la statue au fin fond de la Macédoine qui aurait pu donner lieu à un road-movie loufoque et burlesque, le barbier, le militaire et le gitan à la recherche du Graal, Michael Jackson saluant l’ensemble des peuples de l’ex-Yougoslavie à la manière de Tito en son dernier voyage. Pas de bras, pas de Kusturica.

Bota, de Iris Elezi et Thomas Logoreci

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Village toujours, nouvelle thématique de ce début de journée : village ou île, d’ailleurs, tant celui de Bota, 3 barres d’immeubles perdus au milieu du désert albanais entre mer et terre, semble flotter hors des temps. En l’occurrence ceux de la dictature, dont on comprendra que ce village-champignon fut en fait un mouroir pour les opposants au régime.

Dans son étrange café à sa lisière, sorte de cahute de plage dénommée « Bota » (« le monde », en albanais), se croise un étrange trio : Beni, un petit escroc vieux beau, propriétaire du bar où travaille Juli, sa discrète cousine, et Nora, rousse flamboyante et amante de Beni, trop vivante pour un tel endroit.

Il y a dans Bota un plan, très long, sur un bord de mer ou de marais, sa plage souillée de déchets, amenés par le courant ou dévoilés du sable. Il est la synthèse de ce film, petit théâtre absurde de la non-vie, où des êtres à l’abandon tentent de tenir debout sur le silence de la terre et ses secrets.

La beauté triste qui se dégage du film, premier choc esthétique de la compétition, rappelle le cinéma iranien, ou un certain cinéma asiatique, dans cette capacité à croire suffisamment en son plan et en son paysage pour que du silence sourde le malaise et la vérité.

Cinéma exigeant, déroutant car assez peu perclus d’explications (il faut près de la moitié du film pour que son propos se synthétise), percé d’éclats incroyables, comme une séquence de danse festive nocturne rappelant le meilleur d’un Fellini des débuts, attentif à la moindre variation de lumière ou de paysage (car dans ces secrets, c’est la Terre qui contient les mots), Bota nous emporte dans son silence : celui de ce clown clochard qui ne veut plus parler, celui de cette figure étrange d’inspecteur toujours loin dans le cadre, fantôme qui recherche des cadavres, celui global de cette antichambre de la Mort, qu’une route en construction va bientôt finir par rejoindre.

Drôle de farandole qui réussit à ne jamais être sursignifiante, jamais « à message », mais qui confie le soin à l’Image de synthétiser le politique : « damaged but alive ». Cette jeune fille dansant dans le désert, les pieds brûlants sur une terre pleine de cadavres qu’elle finira bien par rejoindre.

Quod Erat Demonstrandum, d’Andrei Gruzsniczki

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Aucune transition possible entre Bota et ce drôle d’objet filmique, estampillé plus ou moins malgré lui « nouvelle vague roumaine », éteignant brutalement les couleurs des paysages pour un noir-et-blanc en huis clos.

Quod Erat Demonstrandum (QED), ou CQFD en Français : la conclusion de toute démonstration mathématiques, dont celle, révolutionnaire, de Sorin Parvu, brillant mathématicien de 35 ans qui ne parvient pas à publier son travail par manque d’allégeance au Parti et ses travers. Déjà sous surveillance pour avoir publié dans une revue américaine, l’étau va peu à peu se refermer lorsqu’il demande à Elena, une amie proche prête à émigrer, de faire passer son dernier travail dans la doublure d’une valise.

Fait de plans longs, silencieux hors du verbe, QED est un film dont la simplicité du trait et du découpage dévoile la lente et inexorable mécanique politique de la trahison, du soupçon, et du repli progressif vers un individualisme triste, de compromis en compromission dans un système où, même pour les intellectuels (et le film a cette force de ne pas plonger dans un univers de misère social), la survie passe par l’oubli de ses valeurs.

Drôle d’objet, nous disions, dont la froideur fait parallèlement son étrange beauté : jamais poli avec son spectateur, à qui il ne prend même pas la peine de faire les présentations et qu’il plonge sans ménagement dans des discussions mathématiques, le film avance dans une lenteur assez mécanique (mathématique oserons-nous), laissant son univers exister par et pour lui-même, s’opposant par exemple au trop séducteur Fair Play de la veille.

C’est cette rugueur qui devient son horizon : sans cesse repoussé par sa mécanique, le spectateur prend le temps d’y entrer et d’y sortir sans cesse, observant comme un aquarium cet étrange univers communiste de bureau vide, de couloirs et d’universités désertes où ne se débattent même plus des figures qui ont à peine la force de chercher une solution. Et il faut attendre la dernière scène, poignante car irrésolu, pour qu’éclate le sentiment : la trahison, la violence du geste, la tristesse. Ce qu’il fallait démontrer : Que la mécanique, le « système » mathématique ou politique porté comme mode de vie finit, comme un poison par pervertir les hommes et les sentiments.

Pause, de Mathieu Urfer.

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Après la lourdeur des deux derniers films, on se préparait à savourer sans retenue la conclusion de cette journée, au titre prémonitoire de « Pause » bien méritée.

L’histoire de Sami, la trentaine un peu branleur, musicien de country-blues avec André, son ami grabataire qu’il visite chaque jour à l’hospice, et de sa copine, Julia, brillante juriste avec qui il vit depuis près de quatre ans sans vraiment se poser de question. Elle en veut plus, savoir où aller, lui est tranquille dans son bain à bulles : la rupture est inévitable.

Sympathique mais assez classique film de rupture/reconquête (la « pause » du titre), Pause séduit par son univers assez tendre avec son personnage, adulescent attachant, et rappelle parfois par son univers les rom-com en musique, tendance Once ou New York Melody, obtenant une adhésion immédiate du public présent.

Rien de nouveau sous le soleil, toutefois, si ce n’est la présence d’André Wilms et la lumière assez désagréable du chef-opérateur de Kaurismaki (qui pousse quand même le bâclage technique à un niveau proche de l’art ou du foutage de gueule) surajoutant à un découpage assez étrange en cadres assez statiques. La caution sans doute arty de l’histoire malheureusement trop convenue d’un Doinel helvétique bien trop sage.

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A propos de Jean-Nicolas Schoeser

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