Entretien avec Marielle Issartel  | 4 |  le cinéma de Charles Belmont

Dernier temps de notre entretien avec Marielle Issartel sur l’œuvre du cinéaste Charles Belmont. Nous nous interrogeons aujourd’hui sur les thèmes qui traversent la filmographie, des préoccupations récurrentes qui courent secrètement d’un film à l’autre, par delà leurs apparentes diversités de formes et de sujets. Les projets de Marielle Issartel avec l’association « Les Amis de Charles Belmont » clôturent notre échange : des éditions DVD des films jusqu’à la publication des scénarios inédits pour les projets non tournés, évoqués précédemment…

Comme je l’ai dit, chaque film de Charles partait d’abord d’un sentiment très intime ; intime, mais pas forcément autobiographique. Les films les plus proches en termes autobiographiques, ce serait évidemment « Rak », et « Pour Clémence » aussi, d’une certaine façon (« Rak » transpose la relation de Charles Belmont avec sa propre mère atteinte d’un cancer très avancé ; « Pour Clémence » part de la réflexion du cinéaste sur son propre temps « libre », n’étant pas lié aux horaires d’un emploi salarié « ordinaire »). Ça partait beaucoup d’expériences personnelles comme ça, et ce n’est qu’ensuite qu’il découvrait quel était le sujet, la thématique. Ça, c’est l’autre chose à laquelle je voulais inviter les spectateurs à réfléchir durant la rétrospective : les thèmes qui sont dans les films alors qu’on n’a pas songé à les y mettre vraiment, et qui se révèlent une fois l’œuvre vue, parce que c’est la thématique intime et parfois inconsciente du réalisateur.

Ce qui m’importe aussi, c’est de voir si ce que je suggère moi comme thématiques, ça fait sens aussi pour toi, si tu le sens en regardant les films. L’autre fois, j’ai vu Pascal Kané, qui m’a d’ailleurs fait le plaisir de venir à la rétrospective. Lors de la signature de son dernier livre (« Savoir dire pour pouvoir faire »), il parlait de Jean Douchet, qui invite toujours les spectateurs à découvrir une thématique derrière le sujet. Moi, je suis trop dans le faire pour vraiment approfondir cet aspect, mais je me suis dit qu’en effet, il y a toujours quelque chose derrière, sans pouvoir aller jusqu’à dire : « c’est ça ! » Du coup, cette idée a fait son chemin en revoyant les films…

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Salomé Blechmans dans « Qui de nous deux »

Je pense que si l’on regarde tous ses films, quels qu’ils soient, on reste dans une thématique proprement humaine de la vie contre la mort, de la responsabilité de sa vie contre la mort. C’est un peu toujours ce thème : que ce soit culturel comme dans « Océanie » ; « Histoires d’A » évidemment ; dans « Rak » et « Pour Clémence », c’est patent. Dans « Les Médiateurs du Pacifique », il y aussi de ça car l’on est dans une histoire de vie et de mort, avec la responsabilité de certains, qui ont pu faire que cela avance vers la vie, en évitant la guerre civile (après les soulèvements de Nouvelle-Calédonie et la prise d’otages à Ouvéa en 88). « L’Écume des Jours », c’est complètement ça, c’est le sujet. Et si tu regardes « Qui de nous deux », c’est encore une personne qui va devenir responsable. C’est moins tragique, mais il y a quand même une confrontation à la mort, celle de l’oncle, qui fait basculer le film dans une autre tonalité moins enjouée. Il y a cette responsabilité naissante d’une ado, encore un peu teigneuse, qui veut devenir une belle personne, et aller vers « l’humanité ». Et même dans ce film, qui peut paraître plus léger, mais qui ne l’est pas tant que ça, ce n’est pas de la tarte de devenir un humain.

Un des thèmes qui m’a également frappé dans les films, c’est la question de la filiation, qu’elle apparaisse directement ou de façon plus tacite. Dans « Rak » et « Qui de nous deux », bien évidemment ; dans « Pour Clémence », où c’est dit d’une certaine manière dans la dédicace du titre ; et même dans « L’Écume des Jours », où les personnages sont un peu comme des orphelins ; des enfants sur le seuil de l’âge adulte, qui évoluent dans leur solitude et leur fantaisie.

D’ailleurs, le titre de « Pour Clémence » a été trouvé in extremis. Ça s’appelait à l’origine « Les Années de bois », en référence bien sûr au contexte trouble de l’époque, mais principalement, pour nous, aux années passées sous la présidence de Giscard. Des années terribles, de rigidité, de discours creux… Personne ne peut se rendre compte de ce qu’on a vécu, et du soulagement qui a été le nôtre quand la Gauche est arrivée au pouvoir, même si on ne serait pas partis en camping avec Mitterand pour autant. Mais oui, effectivement, il y aussi la filiation dans « Pour Clémence »

Lila Kedrova et Sami Frey dans « Rak »

Ce que j’apprécie énormément dans le cinéma de Charles, c’est que cela passe principalement par la forme du film. Ce n’est pas quelque chose qui est délivré par un scénario écrit, des dialogues explicatifs, du discours, même s’il y a parfois du discours…

Oui, parce que c’est forme qui vient du désir et des évènements qui parfois viennent de l’inconscient. Charles ne sait pas forcément qu’il parle de ça. Quand il fait mourir le personnage à la fin de « Pour Clémence », c’est un choc, personne ne s’y attend, et sûrement pas moi, pourtant co-scénariste. . Encore une fois, il était en train de parler de la vie, de la mort, de la possibilité de se responsabiliser dans la vie, de vivre une vie meilleure. Ça tourne autour de ça : grandir, se responsabiliser, devenir soi-même un adulte par rapport à l’enfant… Mais la mort n’est jamais loin. C’est intéressant de voir les films ensemble pour cela.

Je me suis d’ailleurs rappelé de la phrase d’un livre du peintre Fernand Léger, où il disait que le sujet empêche la peinture, et que le scénario empêche le cinéma. On apprend à faire de bons scénarios, mais rarement à ne pas filmer strictement son scénario. »Les Combattants », c’est typiquement ça : un scénario impeccablement bouclé et filmé. Et il n’y a pas une ligne de fuite, pas un mystère, ou alors c’est un mystère décidé dans le scénario, finalement davantage un diktat qu’autre chose. Je ne prétends pas être critique et ça n’a rien de catégorique. Ça peut marcher, mais pas pour moi ; pas pour mes goûts de spectatrice…

…dans « Rak », par exemple, il y a des choses qui se disent par le seul montage des plans. La relation de complicité très forte, entre le fils violoniste joué par Sami Frey, et sa mère, est posée dès le générique, par un échange de regards muets, qui sont comme des clins d’œil, des signes affectifs, un jeu de connivence.

Oui, exactement, et je dois dire que j’en suis assez responsable, car c’est moi qui ait fait prendre conscience à Charles que sa mère s’intéressait beaucoup à sa vie, elle n’était encore jamais venue chez lui, mais c’était davantage par respect, pour ne pas s’imposer à défaut d’être invitée. Lui pensait qu’elle s’en fichait. Auparavant, ils avaient vécus tous les trois dans le petit deux pièces de sa mère à Courbevoie, là où il a vécu enfant après qu’ils aient été enfin relogés, avec la première compagne de Charles, qui était une danseuse, une très belle femme, mais que Charles avait imposé à sa mère malgré la promiscuité. Je ne sais pas si ça lui avait pesé. Comme Charles le fait dire dans « Rak » au personnage de la mère : « Du moment que tout le monde est content, moi je suis contente aussi ! » D’une certaine manière, avant sa maladie, j’ai participé à éclaircir ce malentendu. Tout ça est traité dans cette scène de repas où les regards s’échangent entre la mère, le fils et la compagne ; cette attention qu’elle ne cessait de lui porter et dont lui n’était pas toujours très conscient (…). Mais dès qu’elle a été malade, Charles s’en est occupé comme on le voit dans le film, avec un immense amour et une très grande attention. Dans le film, beaucoup d’échanges ont lieu par des plans sans paroles, que ce soit la gêne à l’hôpital, les jeux et les grimaces, les attentes, les regards que tu évoquais.

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Annie Buron, Marielle Issartel, Christelle Gonzalo, André Michelin et Alexandra Stewart au Cinéma La Clef

Les projets de l’association :

Comment fonctionne l’association « Les amis de Charles Belmont » ?

L’association pour l’instant, c’est une quarantaine de personnes. L’adhésion est de 50 euros, c’est la cotisation de base, ou plus si l’on veut, en devenant bienfaiteur. L’association est dirigée par moi et Salomé (fille de Charles Belmont et de Marielle Issartel). Le bureau n’est pas réélu, nous en restons les deux membres permanents. Le principe est de rassembler des gens qui veulent aider à ce que l’œuvre de Charles soit connue, et nous font confiance, car ils pensent que nous sommes les plus aptes, et les mieux placées, pour mener cette tâche à bien.

Quels sont vos projets immédiats avec l’association, ou à plus long terme ?

Déjà, il faut faire les comptes après la rétrospective, car je n’ai pu l’envisager qu’en prévoyant le pire, l’absence de spectateurs, et comme il y a des minimums garantis, pour la location des films et de la salle, il était hors de question que je m’endette pour le faire… Il était clairement établi avec l’association que notre première action, serait de faire en sorte que la rétrospective puisse avoir lieu. Mais je ne suis pas trop inquiète car il y a eu du monde au-delà de mes espérances, même si en termes d’entrées ça reste celles d’un cinéma d’Art et Essai.

Ensuite, je mets à faire autre chose car j’y ai travaillé six mois en bénévole à temps complet (…). Il faut que j’arrive à mobiliser davantage les personnes de l’association qui ont un petit peu de temps et de volonté, pour qu’ils me donnent un coup de main à l’avenir. Je dois donc faire le bilan de tout ça, et dans l’immédiat, continuer de débrouiller quelques contrats avec mon avocat – notamment pour accéder au premier film de Charles, le court-métrage qui est aux Archives (« Un Fatricide »). Mais je vais passer aussi à autre chose, l’écriture du livre sur « Donoma » (le film, et la structure d’auto production à très faible coût, « Donoma Guerilla », créée par le réalisateur Djinn Carrénard). J’espère résoudre en parallèle les problèmes de droit des films de Charles, pour pouvoir me livrer, après la sortie du livre, aux éditions DVD.

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Marielle Issartel et Patrick Viveret au Cinéma La Clef (avril 2015)

Quels sont les films qui devraient paraître ?

Ce sont principalement l’édition des trois films dont je possède les droits. J’ai ceux « d’Histoires d’A » et la moitié de ceux d’ « Océanie ». Pour les « Médiateurs… », je vais signer une licence pour les droits de l’édition DVD, qui va courir pour une durée de sept ans. Pour « Rak », je n’en possède aucun. C’est Studio Canal qui doit éditer « L’Écume des Jours » en DVD avec Tamasa, mais la sortie n’a cessé d’être reportée. J’ai déjà réalisé un bonus pour le DVD ; un documentaire autour du film et de Charles. Comme l’accord est verbal mais pas officialisé, je vais tenter de relancer pour appuyer jusqu’à ce que ça se fasse… « Qui de nous deux » est quant à lui déjà paru en DVD. Pour les trois films en question, je veux faire l’édition moi-même en tant qu’auto-entrepreneur salariée pour le compte de l’association, sans recourir à une boîte extérieure. Cela garantira une meilleure réalisation et à moindre coût, qui permettra de garder le contrôle éditorial. Il y a aussi la restauration des films qui sera un grand chantier, administratif, financier et technique.

Y aura-t-il d’autres évènements ou publications ?

Entre temps, il y aura une tournée des films dans la région Centre avec Bruno Bouchard et l’association « Les Films qui manquent ».
Ensuite, il y aura l’édition des scénarios des films non réalisés, principalement ceux dont j’ai parlés (voir précédemment : « Big Bang », et je l’espère le projet autour de Charlotte Delbo). Je veux toujours les éditer moi-même pour les mêmes raisons, puisque je n’ai pas de fonds personnels pour le déléguer à un tiers qui le ferait à un prix élevé, et probablement mal.
Il y a enfin un colloque de chercheurs qu’une historienne du cinéma veut monter. C’est la partie visible pour l’instant, à laquelle se greffera, je l’espère, de surcroît, plein d’autres choses…

(pour reprendre au début de l’entretien, suivre ce lien)

Propos recueillis par William Lurson le 20 avril 2015 – un grand merci à Marielle Issartel.

Les images proviennent du blog « L’œuvre du cinéaste Charles Belmont » et des documentaires « Charles Belmont, soleil noir » (Universciné – réalisé en 2012 par Pierre Crézé) et « #Ecume68 » consacré à « L’Écume des Jours » (réalisation de Marielle Issartel).

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A propos de William LURSON

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