Il faut que justice soit enfin rendue ! Cela fait 50 ans que l’adaptation de L’Écume des jours de Boris Vian par Charles Belmont erre dans le purgatoire de la distribution. Le film sort dans les salles françaises peu avant les événements de 1968 et, par conséquent, la rencontre avec les spectateurs reste confidentielle. Méconnu du grand public, le film demeure longtemps quasi-invisible, bénéficiant de projections ponctuelles à l’occasion d’hommages ou de rétrospectives. La sortie de la version du clippeur Michel Gondry en 2013 achève de renvoyer celle de Charles Belmont dans les limbes de l’oubli. Sept ans plus tard, cet affront au roman original ainsi qu’au long-métrage de Charles Belmont trouve enfin une réponse grâce à l’édition DVD.

photos StudioCanal

Déjà auteur d’un court-métrage adapté de Franz Kafka, Un fratricide, le jeune cinéaste, avec ses deux complices Philippe Dumarçay et Pierre Pelegri, livre une vision très personnelle du roman de Boris Vian. Le scénario suit la trame principale, l’histoire de jeunes gens oisifs qui découvrent d’abord l’amour puis les difficultés de la vie à travers la maladie et le travail. Comme dans le roman, Charles Belmont crée un monde décalé, entre anticipation et fantastique, entre lumière et obscurité. Il arrive à jouer de son modeste budget pour installer une atmosphère particulière où l’aspect contemporain de l’époque est envahi par petites touches d’éléments discordants. Par ici, un détail du décor proche de l’expressionnisme, par là, des accessoires anachroniques ou encore des dialogues qui évoquent des choses merveilleuses font basculer le film dans un intervalle hors du temps. Cet espace ne rompt pourtant pas les liens avec la réalité : de l’univers fantastique, l’intrigue glisse vers une forme de dystopie, en tout cas dans une région où les frontières s’effacent, les certitudes se brouillent et où s’insinue la poésie.

Encore une fois, Charles Belmont distille des indices, comme cette séquence qui met en scène un sport au cours duquel deux joueurs s’échangent une grenade comme au tennis. Ce passage et quelques autres disséminés au cours du métrage sous-entendent un régime autoritaire où les inégalités sociales sont fortes et nombreuses. Le rythme contemplatif accentue cet aspect fantastique et donne également l’impression que les personnages restent prisonniers de leur rôle respectif. Au-delà de la simple œuvre romanesque, le cinéaste signe également un film sur une jeunesse et sa difficulté à trouver sa place qui résonne encore aujourd’hui. Charles Belmont anticipe les insurrections de mai 68 le temps d’un plan, comme il évoque le travail en tant qu’aliénation, thématique qu’il approfondira neuf ans plus tard dans Pour Clémence. En creux, se dessine alors une ode à la liberté et à l’amour.

Pris dans le rouleau de la Nouvelle vague, Charles Belmont signe une œuvre libre sur les élans amoureux et les passions en des temps de mutations. Cette émancipation se retrouve dans une forme à l’apparente simplicité, mais qui propose de nombreuses idées de mise en scène : l’évolution d’une idylle se fait en quelques plans qui marquent une belle ellipse, la scénographie en vient à symboliser l’étouffement ou encore un échange en voix off dans un café. Le film ne se révèle pourtant pas des plus optimistes. Les différentes intendances y sont décrites de façon anxiogène et une certaine froideur baigne le film ; le monde qui y est dépeint est hostile, bruyant. Même si quelques envolées lyriques apparaissent ici et là, l’atmosphère devient vite délétère, les personnages de plus en plus isolés et la mélancolie l’emporte. Finalement, L’Écume des jours selon Charles Belmont prend des aspects de diamant noir dans lequel se reflètent la mort et la solitude.

 

L’Écume des jours
(France – 1968 – 106min)
Réalisation : Charles Belmont
Scénario : Charles Belmont, Philippe Dumarçay & Pierre Pelegri, d’après le roman de Boris Vian
Direction de la photographie : Jean-Jacques Rochut
Montage : Jean Hammond
Musique : André Hodeir
Interprètes : Jacques perrin, Sami Frey, Bernard Fresson, Alexandra Stewart, Marie-France Pisier, Annie Buron, Claude Piéplu, Sacha Pitoëff…
Disponible en DVD chez L’Éclaireur, le 10 juin.

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