"Muerte y Reencarnacion en un Cowboy", m.e.s. Rodrigo García – Théâtre de Gennevilliers

Mort et Résurrection en Cow-boy : le rodéo complètement jeté de Rodrigo García.

 

Si le sulfureux Golgotha Picnic se terminait sur une version hyper chiadée au piano de l’intégralité des Sept Dernières Paroles du Christ sur la Croix de Joseph Haydn, le spectacle de Rodrigo García Muerte y Reencarnacion en un Cowboy s’initie quant à lui avec une « improvisation » à la guitare électrique pour le moins bordeline : deux énergumènes frapadingues à moitié à poil débarquent en effet sur scène et s’excitent à coups de pieds sur de malheureux instruments qu’ils ultra-saturent en larsens à coups de godasses ou de fesses. Pendant une bonne dizaine de minutes et simplement attifés d’une cagoule à grelots, les deux futurs cowboys de la pièce vont s’en donner à cœur joie dans un grand n’importe quoi qui finira par faire trembler toute la salle.
Ainsi débute la première partie du spectacle qui prendra la forme d’un diptyque aux frontières clairement établies : la première, sans paroles, sera basée sur une série de scènes complètement barrées, la seconde, plus posée, développera la vision du metteur en scène sur des thématiques aussi variées que le rire et le couple. 

(c) Christian Berthelot
Tout au long de la première partie, les deux comédiens, Juan Loriente et Juan Navarro, vont donc s’amuser, parfois complètement nus, à se poursuivre, danser, se lancer des défis, et cela sur un plateau assez grand pour les voir s’époumoner comme des diables et courir dans tous les sens comme des gamins autour d’un taureau mécanique ou bien encore de panneaux de signalisation. Ça transpire, ça rit : il y a quelque chose de l’ordre de l’expurge dans cette façon de se vider, comme s’il était nécessaire de fatiguer le corps avant de pouvoir se transformer en autre chose. En contrepoint de cet espace, un autre, bien plus petit, fermé, sera le lieu du confinement et de l’obscur. Du replié. Les choses n’y apparaissent bien souvent que sous une épaisse fumée ou bien carrément dans un noir que seule une lampe de poche éclaire. En résonnance symbolique de cet espace particulier, une geisha, sage, comme enfermée, seule présence féminine de la pièce. Pourtant, à l’instar de cette image qui nous est tendue et qui représente une femme ligotée, cette geisha semble prisonnière : elle ne sortira d’ailleurs jamais de cette antichambre qu’un long couloir dessert.
(c) Christian Berthelot
Ce qui frappe de plein fouet dans cette première partie, c’est l’absence du langage, son presque anéantissement. On sait le théâtre de Rodrigo Garcia très bavard, croulant sous le mot et le verbe, hors ici et très étonnement, les personnages n’échangent aucun mot, ne dissertent sur rien, pire : leur parole est au premier degré entravée. Ainsi voit-on un des personnages se faire ficeler la langue et essayer ensuite de parler sans y parvenir. Le message qu’il tente de transmettre reste alors autour de lui et n’atteint pas : on lui a coupé la voix. Sans cette dernière, que donne-t-il ? Que provoque-t-il ? Le rire est sans doute une première piste puisque dans un sens, il finit par devenir pathétique à s’escrimer ainsi à nous parler : la voix n’éclaire plus.
 
(c) Christian Berthelot
Dans la seconde partie, les deux comédiens vont, après s’être dépensés comme jamais et s’être en un sens libérés (des cordes, des vêtements, de la timidité des corps, de l’intimité de l’autre…) revêtir leurs costumes de cowboys et ce n’est qu’à partir de ce moment très précis qu’ils vont pouvoir communiquer l’un avec l’autre. Et c’est d’une véritable transformation dont il s’agit ici : après la crudité des corps nus, des sexes flasques, des bedaines et des poils, ce sont deux cowboys très virils qui font leur apparition. Lunettes de soleil classieuses, vestes de costume, chemises rentrées, pantalons serrés, santiags rutilantes, leurs éperons sonnent sur tout et témoignent de leur importance ainsi que de leur position. Ils en imposent tout autant qu’enfin ils se posent. Ainsi, pour accéder au langage, il semble falloir perdre quelque chose (cette perte se faisant dans l’effort, le physique et l’épuisement) puis s’affubler et enfin se poser. La communication n’est pas à prendre à la légère, il s’agit de quelque chose de sérieux.
De cette manière, la quasi-totalité de la seconde partie de Muerte y Reencarnacion en un Cowboy se déroulera assise, les deux comédiens demeurant avachis sur des transats, une bière à la main. De nouveau Rodrigo Garcia insiste sur cette scission qu’il fait entre le corps et la parole puisqu’une fois la parole prise, les corps resteront calmes : aucune exaltation superflue ne sera ici permise (hormis les rots, toujours très présents chez le metteur en scène).
S’ensuit alors une réflexion sur les thèmes entre autres du rire, de la solitude, du couple…
« Le rire a perdu, semble-t-il, son caractère tellurique. Tout lien avec les entrailles. À présent le rire est un mur de fil de fer barbelé et de tessons de bouteilles, c’est une arme que les peureux portent sur eux pour sortir ; on peut même s’entrainer au rire chez soi, avant de sortir, et même en voiture. […]
Si nous rions de la façon dont nous rions, c’est à l’évidence parce que nous ne sommes pas heureux », Rodrigo Garcia, Muerte y Reencarnacion en un Cowboy.
Comme à son habitude, Rodrigo Garcia égratigne le capitalisme avec toute la verve et l’humour qu’on lui connait.
« En Afrique et au Brésil, les enfants sont le fruit de la rencontre fortuite entre une chatte de treize ans qui vient de connaitre sa première ovulation et un jet de sperme qui passait par là. Ils sont les enfants du désir et de la liberté, ils sont les enfants non planifiés – comme si on pouvait programmer un enfant comme on programme un sèche-linge.
Ces enfants font partie d’un plan à la fois beau et sinistre, ourdi par le hasard et la nature, alors que les enfants des couples des pays riches sont le fruit du devenir de l’économie, qui a lui aussi son côté sinistre, mais qui manque néanmoins de beauté», Rodrigo Garcia, Muerte y Reencarnacion en un Cowboy.
(c) Christian Berthelot
Il serait une erreur de réduire Muerte y Reencarnacion en un Cowboy à une simple réflexion un peu foutraque sur le rire. Là où Rodrigo Garcia interrogeait la mort dans Versus, la littérature dans C’est Comme Ça et Faites pas Chier ou bien encore la religion dans Golgotha Picnic, l’auteur et metteur en scène argentin traite ici de manière cohérente de la communication, le rire à l’instar du couple n’en étant que des émanations.
Au-delà de la simple communication, Rodrigo Garcia tente de cerner une partie des mécanismes que nous mettons en place inconsciemment pour altérer notre rapport à l’autre ainsi qu’au monde qui nous entoure, à l’image des cordes qui enserraient la langue du cowboy dans la première partie. Ce sont les serviettes qui nous protègent de la tâche, les gants qui nous protègent des mains, les odeurs dont on se lave, toutes ces choses qui nous séparent les uns des autres et nous isolent de la réalité1.
« Les portes automatiques des ascenseurs, des autobus, des trains, des banques, qui se referment sur nous et nous écrabouillent en plein passage, sont la métaphore la plus évidente du monde que nous avons bâti pour nous-mêmes. Quand nous étions gosses, nous attrapions des têtards et nous leur serrions fort le ventre jusqu’à ce que les  boyaux leur sortent par la gueule », Rodrigo Garcia, Muerte y Reencarnacion en un Cowboy.
Ce sont tous ces « kystes de la communication » que l’auteur rend notamment responsables de la gangrène sentimentale qui finit toujours, selon lui, par infecter les couples qui ne durent jamais très longtemps.
« Rien n’est plus dévastateur que l’image d’un couple en train de marcher main dans la main.
On prend l’autre par la main de peur qu’il ne parte en courant loin de nous, pour le guider sur un chemin qu’il n’aurait jamais choisi »
, Rodrigo Garcia, Muerte y Reencarnacion en un Cowboy.
L’Argentin fait ainsi l’apologie de la jouissance, du primal qu’il oppose à l’artificialité de la communcation et de certains de ses codes.
(c) Christian Berthelot
De manière formelle et comme toujours chez Rodrigo Garcia, on retrouve dans Muerte y Reencarnacion en un Cowboy la quasi-totalité des fondamentaux qui rendent son théâtre si particulier : le nu, la complicité des comédiens, la provocation, le saturation sonore, le rock, les animaux malmenés, l’omniprésence de la vidéo, et bien évidemment un texte d’une densité certaine… à ce détail près qu’ici forme (première partie) et fond (seconde partie) sont décorrélés pour très justement appuyer le propos. C’est malheureusement à cause de ce procédé discutable que la pièce s’effondre un peu, cette dernière finissant par s’écraser sur la partie la plus dense qu’un peu d’impétuosité aurait allégée. En effet, ce qui fait la force de Rodrigo Garcia, c’est justement ce mélange complètement unique et paradoxal entre performances scéniques cinglées et consistance / intelligence du propos. En clivant les deux, le metteur en scène affadit quelque peu sa proposition.
Reste une réflexion qui perdure après le spectacle et une envie, comme toujours, de saisir toutes les subtilités d’une proposition qui trop généralement finit réduite à une simple performance provocante.
Pour conclure, si Muerte y Reencarnacion en un Cowboy n’est sans doute pas la meilleure façon de découvrir le travail du metteur en scène argentin, il reste un spectacle d’une densité certaine qui ne laissera personne indifférent.A découvrir jusqu’au 19 janvier au Théâtre de Gennevilliers.

Le texte est disponible aux éditions des Solitaires Intempestifs.

Une proposition de Rodrigo García
Avec Juan LorienteJuan Navarro,Marina Hoisnard
Lumières Carlos Marquerie
Direction technique Roberto Cafaggini
Son Vincent Le Meur
Régisseur général Jean-Pierre Timouis
Production de tournée Diego Lamas
Production La Carnicería Teatro-Madrid, Théâtre National de Bretagne

Nous n’avons par contre pas compris ni même vraiment apprécié que les comédiens ne viennent pas saluer le public à la fin de la représentation… S’il y a une raison à cela, elle aurait dû être explicite.

Entendu dans la salle : à la fin de la représentation de la part d’un spectateur apparemment mécontent : « Peuple de tous pays, je vous absous !!!! »

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(1)  C’est cette même barrière qui séparera le chat des poussins un peu plus loin dans la pièce. Une barrière invisible, intolérable bien qu’indispensable et nécessaire. Pour sûr, si on l’abat, il se passera quelque chose qui rompra l’immobilité.

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A propos de Alban Orsini

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