Alors comme ça, on s’agite ?
Nicolas Paugam sort son premier album solo « officiel », un grand et ludique hommage à la musique qu’il goûte. Une musique qui vient de loin, du Brésil (de Milton Nascimento et autres bons génies), mais aussi d’assez près, de quelques vaillants « chansonniers » français, à avoir porté la mélodie et le verbe bien haut (Vassiliu, Annegarn…). De musiciens et d’interprètes donc, qui n’ont jamais perdu leurs attaches avec les musiques dites « populaires ».
Chemin faisant, chemise au vent, un univers et une écriture s’imposent. Pas des moindres. Un bel et joyeux album…

Allez, on le dit sans ciller ni trembler quitte à exagérer un peu : ce « type-là » a pondu le plus bel album de « variété française » (disons de pop si vous préférez) de ces dernières années (à ne surtout pas confondre avec les sous-produits alimentaires : la variétoche, le toc 50, l’euro bidon, etc.). Et honte à tous les programmateurs de radio qui passeraient à côté. Car oui, « Mon Agitation » est bien un disque de variété, qu’on hésite à dire grand (il n’affiche pas son ambition), qu’on dirait plus volontiers joueur (amateur de musiques assez « festives », chantantes et souriantes, où la drôlerie reste toujours à propos). Mais aussi un disque rare, tant son auteur sait concilier verbe et musicalité, avec autant d’efficacité (quelques tubes irrésistibles) que de savante « inefficacité ». Soit cet art des détours, des développements ; ce plaisir de jouer et de contourner pour se rapprocher davantage d’une grande foulée que d’un sprint corseté – 3 minutes montre en main. C’est donc aussi un disque de musicien (ce que devrait être tout disque de variété alors qu’en pratique – toute auditive – il l’est rarement). Et comme dans la musique brésilienne qu’il affectionne plus que de raison (on le comprend : tropicalisme, Bossa, MPB), Paugam n’y divise pas les plaisirs : des mots, de la ritournelle, du trémoussement, des arrangements subtils et fournis.

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Nicolas Paugam (ex Da Capo et Frères Paugam à Meustaches) a de multiples tropiques musicaux, jamais tristes (ou si peu), qui donnent à cet album son éventail très coloré. Le Brésil donc, le Rock (il n’est pas ex-Da Capo pour rien), la Pop orchestrée avec ses parfums soixante et septante, et enfin, deux onces de guitare swing et funk, qui font chalouper les morceaux par-dessus leurs chapeaux mélodiques. L’album « Mon Agitation » est un peu le résultat de plusieurs années de recherche en solo, pour trouver un aiguillage personnel après la mise en suspens de Da Capo. C’est un concentré de pop rieuse, aux teintes éclectiques mais cohérentes, parfois plus ombrageux que ses bouclettes avenantes ne le laisseraient supposer. Ptis contagieux bleu marine, kärcherisateurs zélés de l’identité nationale, porteurs de glaives divers et variés ; tous s’invitent dans la farandole des agitations. Et pour terminer l’album, les laissés pour compte, ceux qui vivent comme des « mendiants sur la terre », inspirent une saudade ultime à l’intéressé (« Le Bon Numéro »).

Ils sont venus, sont venus, ils n’ont rien de sympas
Masqués et mains gantés, ils s’en sont pris à nos papas, qui campaient là

La force de cet album gaiement agité, ou traversé par de petites bourrasques inquiètes, est évidemment d’éviter tout didactisme, au marteau et à l’enclume. On n’y trouvera pas le petit égotisme du chansonnier qui confesserait ses états d’âme à l’auditoire, en lançant une ou deux piques attendues contre les injustices contemporaines. L’approche est plus subtile, la fenêtre grande ouverte. Ce sont davantage des impressions qui traversent les chansons, sans surlignage, images, ou sens trop fermés, pour échafauder de petites fables mélodiques, épiques et mouvementées. L’habillage est fantaisiste et le ton oscille au gré de l’humeur. La parole devient y enfantine, désabusée, tantôt vigoureuse, ou un peu lointaine, déjà en partance vers une nouvelle chanson, vite enchaînée, pour d’autres histoires et évocations.

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Malgré sa densité de musique et de paroles, la richesse du disque – presque trop calorique à première écoute : chaque titre constitue un tour d’horizon en soi, une abondance de mots et d’arrangements – se dissipe au gré des écoutes. Une fois décanté, le disque révèle la continuité de sa ligne : un geste chantourné, mais d’une fluidité très aérienne. Ce qui n’empêche les gros accents rythmiques, les froncements saturés et les moments d’agitation frisant l’ébriété. Un petit ou grand fond de rock comme le dirait le grand Bob Wyatt. « La pêche aux langoustines », morceau revisité, et justement repêché d’un album inédit dans le commerce (« Le Col du Galibier » disponible sur Bandcamp), est le titre le plus frénétique du lot, avec sa rythmique battante et ses contretemps simili disco. C’est un voyage en tempête sentimentale (peut-être ?) et surtout en mer électrique, plein de scat, de daba, de vaya brésiliens. Une petite avalanche, presque encyclopédique, qui résume les différents courants de cet imaginaire musical, toujours suspendu entre la dérision et la gravité, le sens et la fantaisie débridée.

J’ai toujours rêvé de marteau – de frapper le fer avec de l’eau
de frapper le fer… avec de l’eau…

Nicolas Paugam jardine ses pochettes (de joyeux collages mêlant une naïveté de trait enfantine et le réalisme brut des images découpées) et ses influences musicales (Manset, Tom Zé, Pierre Vassiliu, Barouh, Gainsbourg, Vannier, Les Zombies, et bien d’autres…). Mais il est difficile d’y arrêter quoi que ce soit, tant ces « sources » se fondent en un tout d’une idiosyncrasie peu commune. Les ingrédients, connus ou familiers, sont remodelés pour composer une drôle de Zarzuela, au goût tout à fait autochtone. On est pour tout dire un peu soulagé de voir que quelques chanteurs et compositeurs démentent toujours avec brio le fatalisme supposé du verbe français, jugé trop riche en syllabes et plus rigide que l’anglais, pour vraiment se fondre dans la mélodie.

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Paugam parvient (comme quelques autres avant lui) à réinventer sa langue en musique, quelquefois chantonnée, d’autre fois bien chantée. Il l’impose comme une évidence, malgré la surprise à l’entendre de prime abord. La voix reste singulière, un peu fluette, claironnante, tout en étant énergique et assurée. Chanter en français continue encore d’attiser les préjugés (à tort) et les critiques (quelques fois à raison). Le procès du texte trop signifiant, de son affectation poétique, de son manque de rythme phonétique, et de ses clichés : la grandiloquence ou le chanté-parlé paresseux… Alors peut-être qu’il fallait en passer par là, pour faire un nouveau démenti : des tours et des détours par le Brésil, l’Angleterre, l’élasticité du swing, la science des musiciens-arrangeurs, l’hétérodoxie de quelques autodidactes de génie. Pour que Paugam parvienne, à son tour, à nous faire voyager dans l’imaginaire exotique de la langue, de sa langue à lui, connue, inconnue, très enlevée.

Sous la houlette des anciens – J’ai retrouvé la mémoire (…)

Sous la houlette du hasard – Je lui tends mon chapeau d’estime
Pour tous ces airs empruntés à la variété de la rime – L’aviron de mes chansons

Il y a donc une écriture des textes, nonchalante ou véloce, qui arrive à recréer dans ses effets de diction le relâcher d’un flux naturel. Mais il y a surtout une très belle signature musicale, richement arrangée et rythmique, avec, comme on en trouvait autrefois chez Da Capo, une trompette, un trombone, un piano, et cette intrication de guitares électriques et acoustiques finement tissée. « Mon Agitation » est un album de guitariste, ou plutôt un anti-album de guitariste, tant il déploie les ressources de l’instrument pour les mettre au service des compositions.

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« Mon Agitation » est aussi un disque de voyage, facétieux et évocateur. Un journal du jour, et un peu de soi, mais davantage du TU de la conversation, que du JE ou bien du NOUS, auscultés en miroir… Il contient quelques tubes à commencer par un brelan pop immédiat : « Sous la houlette », « La Vie, c’est bien trop compliqué » (un titre qui évoque les « fugues » aériennes de Michel Legrand) et un rebondissant pied-de-nez, « Je m’en fous », qui hausse les épaules en rythme. Deux autres titres, « Les P’tits contagieux », dénonciation carnavalesque pleine d’humour, et « Saugrenus, saugrenus », une belle complainte évoquant les expulsions de campements, rehaussent le tout à la quinte. Quant au dansant « Ce doux logement », et au funky « Les Sablons », avec sa ligne de chant virevoltante, ils sont loins de dépareiller dans la galerie. En furetant plus en avant, on découvrira d’autres très belles ballades, au climat doux et plus alangui : « Si tu vas à San Francisco », « La Citadelle » (un instrumental élégant) et « Le Bon Numéro » (final mélancolique de l’album chanté en duo). Donc, un petit sans faute, qui donne envie de s’agiter durablement en compagnie de Nicolas Paugam.

Vaya-vaya-vaya-vaya !

Nicolas Paugam, « Mon Agitation » (Microcultures / distribué par Differ-Ant) – sortie, le 6 novembre 2015

Par ailleurs, on ne saurait trop vous conseiller de vous replonger dans la discographie de Nicolas Paugam disponible en téléchargement sur Bandcamp moyennant versement modique ou reconnaissant à son vaillant auteur. A voir aussi dans la vidéo de la semaine, le clip du titre « Je m’en fous ».

Collage et dessin : Nicolas Paugam. Photographies : Alexandre Morin, Bruno Sussi, Vonverhille.

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A propos de Robert Loiseux

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