Le premier album de Loma, groupe né de la rencontre, ou plutôt de la fusion si l’on en juge par l’unité du résultat final, de Emily Cross et Dan Duszynski de Cross Record et de Jonathan Meiburg de Shearwater, ne porte pas de titre, mais on est assez tenté, dès la première écoute, de lui en fabriquer un en reliant celui de deux des dix chansons qui le constituent, « Dark Oscillations » et « White Glass », tant l’univers dans lequel il nous plonge est un composé enivrant, envoûtant, de transparences troublées, d’éclats tantôt brillants, tantôt ténébreux, de pulsations inquiètes voire menaçantes comme une tempête en formation, mais aussi de soudains coups de soleil tranchant l’obscurité avec une vigueur rembranesque.

Qui se contentera d’effectuer d’un pas distrait le voyage proposé par ce trio risque fort de passer à côté de l’essentiel d’un disque que ces alchimistes du son ont doté d’une texture dense et moirée, la constellant d’effets et de surprises toujours judicieusement dosés et parfois empruntés à la nature (chiens, grenouilles, pluie, orage…) pour apporter des touches plus organiques à un univers dans lequel les machines tiennent une place non négligeable aux côtés d’instruments traditionnels mais souvent savamment détournés, comme dans « I Don’t Want Children », un des sommets émotionnels d’une réalisation qui en compte beaucoup, avec son piano préparé renforçant sa fragilité dévastée (quel frisson sur les mots « bitter » et « multiplied » mis en valeur avec autant de science qu’en aurait déployé un madrigaliste renaissant, vous laissant l’amertume à la bouche pour l’un et élargissant l’espace jusqu’à le faire craquer comme une toile usée pour l’autre). La pénombre, souvent, règne en maîtresse, baignant l’hypnotique « Dark Oscillations » ciselé comme un gemme obscur et palpitant, la claustrophobie hallucinée de « White Glass », les assombrissements (avec un superbe mélisme cette fois sur le mot « enemy ») de l’obsédant « Shadow Relief » traçant la voie vers l’acceptation sereine de la fin d’une relation et la libération qui en découle (« I can’t depend on anyone for what I need »), cette note d’espoir traversant également « Black Willow », chemin au travers de la nuit vers la lumière encore incertaine d’une aube nouvelle qui clôt ce parcours. Empreint également d’ambiguïté – mais qu’est-ce qui n’est pas double chez Loma, jusqu’à l’éloquent visuel de sa pochette ? – « Sundogs », curieux mélange d’abandon mélancolique et d’horizons élargis, se prolonge naturellement dans le nonchaloir indécis et finalement intranquille de l’instrumental « Jornada. » Sur un versant plus ensoleillé, on retiendra le songe suspendu de l’inaugural « Who Is Speaking ? », le folk atmosphérique de « Joy » et surtout l’énergique propulsion rythmique qui porte « Relay Runner », sans doute la chanson la plus entraînante, voire la seule véritablement insouciante de l’album.

Contrairement à nombre de premiers essais, celui-ci échappe totalement à l’impression de disparate ou d’inégalité et se signale au contraire par sa cohérence, sa richesse sonore et émotionnelle, et sa capacité à trouver immédiatement un ton personnel qui le place nettement au-dessus de la production moyenne de l’époque. La voix à la fois caressante et mélancolique d’Emily Cross n’est pas pour rien dans le charme souvent proprement subjuguant de ces chansons toutes traversées par une tension palpable, mais la complexité parfois délicieusement torturée des arrangements tissés autour des mélodies constitue également un atout capital. Avec ses écorchures à peine apaisées par le baume de quelques moments de sérénité mais aussi son inextinguible pulsion vitale, le disque inaugural de Loma va bien au-delà de la simple présentation ; entre rêve et lucidité, il s’impose comme une des réalisations les plus constamment prenantes de ce début d’année.

Loma, Loma
1 CD / LP Sub Pop

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A propos de Jean-Christophe PUCEK

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