Lidia Jorge – « La nuit des femmes qui chantent »

Nous ne saurons pas tout de Solange de Matos. C’est en effet une confession elliptique que Lidia Jorge propose avec ce roman qui remonte le temps de l’histoire, celle de cinq femmes réunies autour d’un piano. Par une double thématique de la création artistique et du souvenir, « La nuit des femmes qui chantent » nous emporte dans les rues de Lisbonne jusqu’au garage de la Casa Paralelo qui abrite leurs aspirations, entre vocation, détermination, doute et sacrifice : « Nous voulons enchanter. Nous voulons vaincre en enchantant, en séduisant.« Leader du groupe, la charismatique Gisela Batista compose les musiques et tient d’une main de fer cette formation bancale et mal assurée que forment les cinq femmes. Les sœurs Alcide ont quant à elles délaissé les ondes lyriques pour venir offrir leurs voix et leurs balancements de hanches. Ce sont les deux soeurs qui recrutent Solange, le personnage principal, invitée à leur écrire des paroles. Cinquième roue du carrosse, Madalena Micaia, surnommée « The African Lady », arrive toujours en retard aux répétitions, mais possède une voix incomparable. Grâce à l’argent du père de Gisela, mécène de l’ombre, viendront les rejoindre un arrangeur, une costumière et surtout un chorégraphe, le fameux Joao de Lucena auquel Solange ne restera pas insensible : « j’avais compris alors que le charisme pouvait être un flux qui aveugle et séduit en même temps ».

On saura par contre dès le début du récit que les « AposCalipso » (apos : après en portugais) seront consacrées sur un plateau de télévision, ni plus ni moins. Débarrassé de cette question d’aboutissement néanmoins libre d’interprétation, le lecteur peut alors suivre le cheminement morcelé des souvenirs de Solange. Avec finesse et subtilité, Lidia Jorge déroule les pans de cette aventure qui questionne les rapports entre l’ambition et l’accomplissement, entre le souvenir et la nostalgie. Elle y ajoute un supplément d’âme en évoquant l’enfance africaine de Solange, déracinée par l’exode, là encore au moyen des mêmes légères touches narratives qui lui permettent de construire des personnages marquants aux contours pourtant flous et ambigus. Cette ambivalence est d’ailleurs alimentée tout au long du roman dans le traitement de la recherche du succès et du prix à payer pour atteindre cet objectif, abordés différemment selon chaque personnage et prisme perpétuel du récit : « même après une vie intense, et avec une belle voix, quelqu’un peut disparaître du jour au lendemain sans laisser de traces« . L’auteur de « La nuit des femmes qui chantent » refuse ainsi tout compromis sur le fond ou la forme, parvenant à concilier un bel élan romanesque et un travail d’écriture hautement appréciable, pour un roman d’une force envoûtante.

Paru aux Editions Métailié.

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A propos de Sarah DESPOISSE

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