Portrait d’une mère agitée

Maguy Marin, l’Urgence d’Agir, est le premier film documentaire consacré au parcours de la chorégraphe. Avec un regard qui ambitionne à la fois la douceur, l’honnêteté et l’exhaustivité, le réalisateur David Mambouch, qui est le fils de Maguy Marin, revient sur les points décisifs de la carrière de sa mère. Il embrasse à la fois son actualité, son rapport à l’intime, l’histoire migratoire de sa famille fuyant le franquisme et, plus généralement, son rapport au politique. Quitte à s’emmêler dans les fils rouges qui jalonnent le documentaire d’une heure quarante-huit.

2019 © Didier Grappe

L’une des premières séquences où apparaît la chorégraphe est celle d’une séance de maquillage où les danseuses et les danseurs de sa troupe se fardent de glaise avant de monter sur scène pour une représentation de May B, pièce librement inspirée de l’oeuvre de Samuel Beckett et aujourd’hui reprise au Théâtre de la Ville à Paris. Ce dernier, que Maguy Marin a rencontré brièvement à la fin de sa vie et à qui elle voue “une sorte d’amour”, lui avait donné son aval pour malaxer ses textes à sa guise et en faire un terreau de création. “Il avait un regard d’oiseau qui regardait au loin”, se souvient-elle.

En effet, Maguy Marin, dont la jeunesse en tant que danseuse fut aux côtés du sacro-saint Maurice Béjart, fut bien vite “révoltée avec l’idée de cette beauté” ; vis à vis de ces corps sveltes et aériens qui sautent de part et d’autre de la scène. Son travail fut alors celle d’une curatrice de réalité, chasseuse-cueilleuse d’idées en poste d’observation dans le métro parisien. Les corps, elle les voulait tordus, grotesques, vieux, gros ; puisés dans la vie. Pas question pour autant de singer les handicapés, les personnes âgées ou les clowns… Chacun doit trouver en soi sa propre part d’anormalité et la réinjecter dans la danse.

2019 © Tim Douet

À travers ce documentaire, David Mambouch rapièce l’oeuvre de Maguy Marin dans sa grande diversité. Car comme il sera dit dans l’un des témoignage, la chorégraphe a toujours eu la force de se réinventer ; elle crée un mouvement qui correspond à la pièce qu’elle veut faire mais n’a jamais adopté une technique immuable qui figerait son style.

Le chemin de la chorégraphe n’est pas un long fleuve tranquille, et le documentaire s’y attarde à différents moments. Qu’il s’agisse de sa déconvenue à la Cour d’Honneur du Festival d’Avignon avec Eh qu’est-ce-que ça m’fait à moi !? en 1989, ou du rapport exigent qu’entretient la chorégraphe avec ses danseurs et qui se traduit par une grande fermeté, le visage de l’artiste est montré dans toute sa complexité.

Jonglant sans cesse entre ce qui est censé tresser du sens à travers le documentaire — la majestueuse captation de la décrépitude dans May B, les entretiens face caméra, des lectures de Beckett, les discours conservateurs en off des différents présidents qui ont marqué le paysage politique français, la frise chronologique des spectacles incrustés sur une surface de projection écaillée, ainsi que les incursions dans sa vie familiale — David Mambouch éteint l’attention du spectateur donnant à son projet une structure un peu systématique, à l’angle complètement diffracté. Loin de la voie d’un objet hybride qu’on aurait espéré, comme on a pu, par exemple, admirer la preuve d’amour de Wim Wenders pour Pina. On regrette également la présence trop discrète du point de vue des danseurs, comme le documentaire de Chantal Akerman Un Jour Pina a demandé… s’y attelait à merveille ; ou l’évocation un peu poussive de ses engagements politiques sans que ceux-ci y soient vraiment développés, comme le promettait le titre du film.

2019 © Didier Grappe

Mais l’aspect le plus touchant du film est sans doute la réparation et la reconnaissance que constitue cette démarche initiée par un fils pour porter à l’écran le travail de sa mère qui, depuis son enfance passée aux côtés d’un père violent qui humiliait sa femme, de frères et d’amants dominateurs, n’a cessé d’en découdre avec les hommes et le patriarcat. Aujourd’hui, même si elle admet faire passer la lutte des classes avant la lutte des femmes, Maguy Marin, en ayant réussi à contourner le fantasme de la danseuse en ballerine, se hisse au rang des chorégraphes les plus talentueux de son époque aux côtés de Pina Bausch, Anne Teresa de Keersmaeker, Carolyn Carlson, Ohad Naharin ou Angelin Prejlocaj.

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