Il y a eu un véritable avant et après Legend pour Ridley Scott. Ce film mal aimé lui fit perdre à sa sortie une bonne part de ses admirateurs de la première heure, et commercialement le cinéaste ne s’en remit complètement qu’avec l’énorme succès de Gladiator. Ce film maudit des années 80 a toujours souffert en DVD en europe, le director’s cut existant depuis près de dix ans en DVD zone 1 et n’arrivant qu’aujourd’hui avec cette nouvelle édition Blu-Ray.
Quand il entame Legend, Ridley Scott sort tout juste de Blade Runner qui ne fut pas non plus pour lui une partie de plaisir… On l’oublie un peu aujourd’hui, mais cette adaptation de Philip K. Dick était déjà une amère expérience de mutilation de la part d’un studio pour le cinéaste. L’accueil public et critique fut également mineur : ce n’est qu’au fil des années que l’œuvre gagna en reconnaissance, l’aboutissement de ce culte se traduisant par le nouveau montage proposé par Scott en 1992. Legend n’a pas vraiment gagné cette même reconnaissance au fil des années, malgré une petite niche d’admirateurs.
Les choses s’annonçaient déjà très mal pour Ridley Scott dés le début d’une production qui s’éternisa pendant prés de trois ans. Le tournage subit notamment les conséquences d’un important incendie du plateau « 007 » mythique des studios Pinewood. Par la suite, le premier montage de 150 minutes présenté par Scott souffrit de projections presses désastreuses… Le cinéaste ramèna donc l’ensemble à une durée de 113 minutes, ce qui ne sera pas suffisant encore pour les exploitants européens qui sortiront finalement un montage de 94 minutes. La nature du film fut sensiblement altérée et une partie de la musique de Jerry Goldmsith passa à la trappe ; mais l’ensemble de ces pertes, le public ne le mesurera que des années plus tard.
En 1985, Universal s’attaque par ailleurs à deux grosses productions Arnon Milchan pour leurs distribution américaines : Brazil de Terry Gilliam et Legend donc. Exit ce qui restait de Jerry Goldmsith, le groupe Tangerine Dream est convié pour moderniser l’ensemble, ramené cette fois à 89 minutes. Ironiquement, cette version possède des scènes différentes de la version de 94 minutes, et parfois plus proche du director’s cut : la vision de Lili d’une l’horloge envahie par la neige dans la première partie, et une réplique essentiel de « Darkness » dans sa dernière scène… Il y a une dizaine d’année, ce puzzle agrémenté en prime de montages télévisés supplémentaires, prend fin. Une copie du director’s cut miraculeusement localisée offre en effet au cinéphile la version la plus essentielle du long métrage. Si Legend reste toujours imparfait, le film sort désormais pleinement de son statut batard pour gagner en cohérence et en personnalité.
Legend n’est pas qu’un exercice de style autour du conte de fée, filmé couteusement comme un caprice en studio par un esthète en roue libre… Ce genre qui a suscité très peu de longs métrages en dehors de l’animation (malgré Dark Crystal et Labyrinth également à cette même période), prend ici un tour inquiétant autour de la notion de transgression. Nettement plus ambiguë, la version Director’s cut ne cesse en effet d’interroger ce qui tient du comportement humain dans ce monde ethéré et fantastique. Lili est une princesse rebelle et adolescente qui a besoin de se confronter à l’incarnation, au souffre, et de mettre en danger tous les dons cristaliens qu’elle a reçu. Oona, l’avatar de fée clochette amoureuse du personnage de Jack expérimente quand à elle le dépit et la déception, remettant en cause sa condition immortelle à priorie assez envieuse et ses pouvoirs…
Darkness est l’autre figure fascinante du film, ce qui est du autant à son design, son introduction progressive dans le métrage, qu’à la prestation de Tim Curry qui reste aujourd’hui encore très impressionnante. Cette director’s cut l’humanise encore au niveau de sa relation avec Lili… Les archétypes sont plus nettement remis en question, pour se poser clairement la question de la nature du rêve en soit, entre poison et merveilleux. Darkness se définit comme maître des rêves et des espoirs dans le cœur des hommes, quand la licorne (femelle) survivante représente ce qu’il reste de créativité à l’état pur. Au milieu de cette ambiguïté, il y a un désir qui brûle de mille feux dans toutes les créatures du film, comme si cet univers fantastique ne s’assumait jamais dans sa perfection et son manichéisme donné. C’est au fond l’un des grands thèmes du cinéma de Ridley Scott que d’évoquer une humanité mélancolique, devenu souvent résiduelle et fragile, sous un esthétisme tout à tour chargé et de porcelaine.
Avec cette version du réalisateur, on peut se demander si Legend n’aurait pas été initialement conçu comme une continuité du rêve de licorne de Deckard et des répliquants de Blade Runner, un film bâti autour d’une image forte dont l’expression fut déjà frustrée pour le réalisateur. De fait, la nouvelle fin proposée s’articule autour de l’ambiguïté de la notion de rêve, comme si les créatures de conte de fée rêvaient quand à elles en miroir d’expériences et d’émotions humaines (là ou les androïdes rêvent de licornes électriques ?…)
Ce director’s cut possède un autre atout plus cinématographique et narratif que thématique : il permet de redécouvrir plusieurs scènes dans une longueur qui leur avaient été ôtée : certaines purement contemplatives comme la première promenade de Lili dans la forêt, la confrontation aux licornes, les séquences sous-marine ;ou d’autres incorporant quelques plans et montages alternatifs nettement plus poétiques et expressionnistes, comme lors de la danse ténébreuse de Lili, ou de la disparition de Darkness.
Ceci dit, on pourrait aussi légitimement continuer à trouver que Legend souffre de sa nature première : une tentative de relecture des contes de fée s’exprimant essentiellement par des tableaux de limbes parfois oppressant graphiquement, imposant un rythme singulier et peu soucieux du public qui souhaiterait qu’on lui raconte une histoire : un film assez lâche aussi dans son utilisation du personnage de Jack (Tom Cruise), avatar raté de Peter Pan et manquant par la même une vision sur l’enfance et de l’innocence dont le réalisateur semble n’avoir au fond que faire. D’un autre côté, le film est sans doute l’un des plus radical de son auteur, et à le revoir aujourd’hui, il est très clair qu’il ne s’adresse pas vraiment aux enfants, ou alors sous une forme ambiguë que le corps de l’acteur-elfe David Bennent véhicule très bien.
Le Blu-ray de Legend est à la fois un évènement en France, par la présence du Director’s cut pour la première fois, mais il frustre également, de par la disparition intégrale de tous les suppléments du DVD collector Zone 1 et de la version de 89 minutes qui était également proposée. Les problèmes de droit complexes du film sont sans doute encore à la source de ce problème. Le director’s cut étant une archive retravaillée au maximum mais peu destiné à être compatible un jour avec la HD (encore que ça soit franchement très correct dans le transfert ici réalisé), l’édition DVD Zone 1 va encore rester celle de référence. On peut certes profiter de la version de 94 minutes dans une qualité à tomber, mais elle en devient tellement frustrante à la vision de la version du réalisateur…
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