John Flynn à l’honneur chez Wild Side avec « Rolling Thunder » et « Pacte avec un tueur »

John Flynn ne fait probablement pas partie des cinéastes américains des années 70 ayant bénéficié de la plus grande popularité. Ne crions pas trop rapidement au génie méconnu et aux chefs d’oeuvre méprisés. Flynn n’est ni un grand formaliste à la De Palma, ni un flamboyant narrateur à la Coppola,  ni brillant contestataire au propos socio-politique à la Lumet, mais un solide et modeste artisan qui sans être un acteur majeur du nouvel Hollywood, est un peu rapidement tombé dans l’oubli.
En outre son cinéma présente un excellent instantané de son époque, ce qu’est d’ailleurs parfaitement Rolling Thunder portrait d’une Amérique meurtrie au sortir du Vietnam, représentatif d’un cinéma libéré du Code Hayes mais … pas tout à fait de la censure, comme nous allons le voir. Les éditions Wild Side, après son excellent Echec à l’organisation, ont donc l’excellente idée de remettre un peu en lumière son oeuvre avec la sortie en DVD / BR de Rolling Thunder et Pacte avec un tueur.

Rolling Thunder, est peut-être plus passionnant encore pour ce qu’il n’est pas que pour ce qu’il est.
Il entre dans la longue liste de films dont la gestation chaotique ressemble presque à une fiction : elle commence avec l’écriture du scénario par Schrader, qui conçoit un véritable brulot politique nihiliste, un procès de l’Amérique conquérante de la guerre du Vietnam. Avec cette déclinaison totalement négative du Travis de Taxi Driver, le scénario d’origine mettait en scène un faux un faux héros raciste, une forme de prototype de la majorité silencieuse, fasciste qui s’ignore. Prisonnier au Vietnam, ce petit lâche revient du pays comme un grand héros alors qu’il n’a jamais tenu une arme, et se heurte à la communauté mexicaine. Le film finissait dans un carnage où Ranes abattait indistinctement hommes, femmes et enfants avant de tomber à son tour. Schrader devait réaliser le film. Le producteur de la Fox lui demanda de retoucher le scénar avant de l’évincer définitivement de qui aurait du être son premier long métrage en tant que réalisateur. Mais lorsque Flynn repris les rênes avec tout son savoir faire, il n’allait pas non plus être au bout de ses peines, comme en témoigne une projection test catastrophique où les gens hurlaient dans la salle qu’il voulait tuer le coupable de cette horreur, à la vue du héros se faisant broyer le bras par les méchants bandits, en particulier au détour d’un plan rapide de moignon sanglant. La Fox finit par lâcher le film, racheté par AIP, qui le projettera en l’expurgeant de ses plans scandaleux – pour éviter un autre tollé. Plus de moignon, donc, ni de bruit de broyage ce qui rend la séquence difficilement incompréhensible.

Reste qu’en l’état, Rolling Thunder est loin d’être une apologie de l’auto-défense, ni un vulgaire vigilante movie. Il reste complexe dans la variété de ses tonalités et leurs variantes, dans son rythme et son regard peu condescendant sur la vengeance. Même métamorphosé en personnage plus positif, Rane n’a jamais la trempe d’un héros, accompagné d’un compagnon d’infortune encore plus brisé que lui. Face à un William Devane convaincant sans être franchement charismatique, le tout jeune Tommy Lee Jones y livre une composition poignante et presque effrayante du traumatisme et d’une fissure grande ouverte, avançant mécaniquement tel un automate et retrouvant un semblant de vie lorsqu’il reprend les armes – comme un prélude au Démineurs de Kathryn Bigelow. Tel un motif récurent, ces individus quoi ont perdu cœur et âme à Hanoï se protègent des yeux des autres impossibles à affronter derrière leurs lunettes de soleil. Rane, déjà peu enclin au dialogue, ne parviendra jamais à soutenir franchement le regard de sa tendre et énergique groupie. « Je te regarde, mais dans le fond, je suis mort » lui lancera-t-il. On peut d’ailleurs compter parmi les plus beaux moments de Rolling Thunder, ceux mettant en scène Lynda Haynes, magnifique, arborant son affranchissement, son féminisme, tout en tombant amoureuse et s’enfermant dans sa fascination par Charles Raine. C’est aussi probablement parce qu’elle ne le comprend pas qu’elle reste hypnotisée, hésitant sans cesse entre le suivre ou l’abandonner. Elle-même se demande « Pourquoi [elle] ne tombe que sur des cinglés », ce à quoi Raine lui répondra un laconique  « Parce qu’il ne reste plus que ça ». Leurs rapports constituent une histoire d’amour presque autiste où seule la femme s’exprime et se donne, face à l’autre, passif, anesthésié. Les séquences avec elle restent parmi les plus belles du film. Rolling Thunder est beaucoup plus intéressant pour ce qu’il trahit que par son apparence de cinéma de genre un peu basique et sa forme quelque peu anonyme. Il y a quelque chose de Peckinpah dans Rolling Thunder, moins dans la fusillade finale à la Guet-apens que dans sa conception d’anti-héros dignes d’Alfredo Garcia, poussés vers une quête du vide, et frappés d’un regard sur lequel plus rien n’a d’impact, où la vie n’imprime plus son énergie. Rolling Thunder incite à dépasser du fantasme du film rêvé (Schrader) magnifique et jamais né, pour apprécier à sa juste valeur une oeuvre modeste à la démarche peut-être plus neutre et plus discrète mais subtilement désenchantée.

Bien que très marqué années 80 Pacte avec tueur, fait partie des très bon polars de cette période, assez typique dans sa forme un peu passe-partout tant par son montage que sa photo très réaliste, ses éclairages nocturnes aux néons des bars et sa musique au synthé. On est d’ailleurs frappé que les thrillers musclés de l’époque respire maintenant une agréable lenteur. Si on est évidemment loin du formalisme lyrique d’un Michael Mann de la même période (Manhunter), Pacte avec un tueur séduit par la nonchalance et l’errance nocturne dont il s’imprègne. Cette histoire de tueur engageant un flic-écrivain à écrire ses mémoires, soulevant dangereusement des scandales financiers et politiques qui va mettre leur vie en péril, tient en haleine et intrigue jusqu’au bout, grâce à l’écriture acérée et ironique de Larry Cohen qui en profite pour insérer des allusions socio-politiques pertinentes : magouilles gouvernementales, spéculations financières, réflexion sur la couverture sociale aux Etats-Unis.  Tout l’intérêt de Best Seller tient surtout à cette relation paradoxale – Dennis le flic / Cleve le tueur – tourmentée, entre la nécessité de faire équipe et un rejet que le policier ne parvient pas à surmonter, Cleve étant à l’origine d’un hold up qui vit mourir les coéquipiers de Dennis. Tentative de rédemption ? Pur opportunisme d’un tueur mégalo ? L’astucieux scénario de Cohen sème à perfection le doute quant à ses motivations. Brian Dennehy, brillant par sa sobriété et son imposante stature, donne la réplique à un James Woods ambigu à souhait, hypnotisant. Il rappelle combien il était l’un des meilleurs acteurs des années 80, offrant à l’écran sa virilité et ses fissures, capable de provoquer  malaise et magnétisme en quelques minutes. Parfaitement inconfortable, jamais monolithique, Cleve est à la fois cet ange exterminateur de la corruption prêt à faire éclater la vérité, ce monstre psychopathe et vengeur et cet être perdu dans cette soif d’amour et de reconnaissance, entre la quête d’amitié et le désir donner naissance au héros par l’entremise de l’écriture. Sa folie provoque des sentiments contraires entre la terreur et l’empathie. Très belle est également concept d’un livre qui se compose au fur et à mesure que l’intrigue avance : l’écrivain n’entreverra la dernière page que lorsque les fils se seront dénoués quelle qu’en soit l’issue. « Il manque une fin » affirme Cleve, qui tente d’imposer les règles, d’écrire sa propre vie jusqu’au bout pour en rester le maître et le héros.

Comme d’habitude avec la collection édition prestige (Blu-Ray + DVD + Livre) de Wild Side, l’édition de Rolling Thunder ne manque pas d’intérêt. Si l’entretien avec Linda Haynes, un peu anecdotique n’est pas des plus palpitants, celui avec Lawrence Gordon, le producteur de la Fox, l’est nettement plus pour saisir tous les tergiversations et autres déboires qui menèrent au rachat du film par l’AIP. Il est plein d’entrain pour évoquer la fameuse projection test, mais nettement moins à l’aise lorsqu’il s’agit d’évoquer l’éviction de Schrader. Heureusement l’excellent livre de Philippe Garnier «un film prématuré » revient pas à pas sur les origines du film et son cheminement. Ayant pu consulter  le scénario de Schrader et il a notamment l’occasion d’effectuer des comparaisons, de regretter qu’il fut à l’arrivée si édulcoré politiquement, tout en reconnaissant toutes les qualités de la version de John Flynn, en particulier troublant silence qui enveloppe la relation entre Linda Haynes et William Devane. Moins subversif peut-être, mais plus étrange.

L’unique bonus proposé avec Pacte avec un tueur est loin d’être négligeable puisqu’il s’agit d’un entretien avec le formidable Larry Cohen qui nous fait profiter de son inimitable franc-parler. Il évoque sa boulimie d’écriture, la manière dont certains cinéastes ont massacré ses scénarios. Il ne mâche pas ses mots, et s’il reconnaît que Pacte avec un tueur est un bon polar, il regrette une fin ratée, et la l’absence de certaines scènes qu’ils jugeaient essentielles au scénario. En outre, s’il affirme que Flynn a fait un bon boulot et qu’il le qualifie de « decent director », il n’en avoue pas moins que le film aurait été encore meilleur s’il l’avait dirigé. Sacré Larry… qui n’a finalement peut-être pas tout à fait tort.

Ajoutons que parallèlement à cette double sortie, du 15 juillet au 2 août la cinémathèque française consacre à John Flynn une rétrospective en passant l’intégralité de ses films.

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A propos de Olivier ROSSIGNOT

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