Robert Altman – « 3 femmes »

Pinky, une jeune Texane de 18 ans, est engagée dans un sanatorium du désert californien. Elle y rencontre Millie, modèle de féminité en perpétuelle quête de perfection et de reconnaissance sociale, qui lui enseigne les ficelles du métier d’aide-soignante, l’invite à emménager dans son appartement et lui présente Willie, une mystérieuse artiste peintre. Fascination, répulsion, emprise, usurpation…
De leur singularité va se tisser un lien vénéneux… Ces trois femmes en surface si différentes pourraient bien se rapprocher jusqu’à la folie…

Pinky, Millie et Willie. Trois héroïnes en quête d’identité, trois douleurs et trois figures de la féminité pour trois fragments de la vision d’un cinéaste. Altman livre avec Trois femmes un requiem bleuté, une œuvre somnambule et sombre, tour à tour traversée par l’esprit critique et l’irréalité. Altman isole ses personnages, les fait évoluer dans deux décors symboliques, confinés ou infinis, le désert et la maison thermale pour vieillards, entre la poussière et l’eau. Jamais Altman n’aura semblé si proche de Bergman, au point que Trois femmes ressemble à s’y méprendre à une variation de Persona, reprenant lui aussi le thème du masque et transformant progressivement ses héroïnes en concepts, sans jamais pour autant leur faire perdre chair. Pinky Rose (Sissy Spacek) la naïve arrive dans cet établissement comme une incarnation de la vie à l’endroit où la mort n’est pas loin, et rencontre Millie qui doit la former, et lui propose de devenir sa colocataire : Millie (extraordinaire Shelley Duvall) l’aguicheuse, qui claironne ses conquêtes, et ne cesse de se poser en donneuse de leçons. Enfin il y a Willie, la troisième, enceinte et plus silencieuse, qui passe ses journées à peindre des fresques mythologiques, mutantes et érotiques au bord de la piscine vide.

Ne nous fions pas aux apparences : ici, la candeur enfantine, l’assurance ou l’arrogance ne sont que trompe-l’œil déguisant les névroses, les frustrations, les douleurs, le labyrinthe de la psyché. Altman installe un sentiment schizophrène où chacune est aussi bien capable d’un sentiment d’altruisme et de protection que de recherche de destruction de l’autre, comme en témoignera ce dérangeant retournement de situation où s’inversent le bourreau et la victime, lorsque brusquement Millie se révèlera vulnérable à la merci d’une nouvelle Pinky Rose cruelle, séductrice, manipulatrice. La tension sexuelle est palpable, accentuée par l’omniprésence de l’élément liquide. En guise d’interlocuteurs masculins, Altman offre de tristes pantins, machos guidés par leur virilité et leur soif de conquête. Trois femmes nous conduit lentement vers un monde sans hommes, vers la reconstruction d’une cellule familiale nouvelle où chacune aura sa place de mère, de père ou d’enfant. Trois femmes, comme trois métamorphoses et trois renaissances. Au-delà du portrait acerbe des Etats-Unis et de l’irrépressible misanthropie d’Altman, la meilleure façon appréhension de Trois femmes c’est de se laisser aller, d’accepter l’invitation à ce voyage somptueusement onirique et anxiogène, plongé dans un symbolisme alchimique qui étreint poétiquement plus qu’il ne cherche à donner des clés. Une œuvre magistrale qui puise sa beauté dans l’énigme.

 

Sissy Spacek et Shelley Duvall dans "Trois femmes"

Blu-Ray + DVD + Livret chez Wild Side .
Compléments :
– Un film de rêve(s) (40’) : entretien avec Diane ARNAUD, essayiste et universitaire
– Je est une autre, un livret de 60 pages, écrit par Fréderic Albert Lévy

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A propos de Olivier ROSSIGNOT

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