Si pour les fêtes on a sonné l’heure de la réhabilitation de Michael Winner chez Prime cut et son dossier bien garni, voici, plus modeste – diète oblige ! – les étrennes à Culturopoing. Cet article condensé vient s’inscrire en miroir à celui sur le film de Clayton publié ici-même il y a quelques années.
Il est rare qu’une œuvre aussi majeure que Les Innocents (1961) se voit inventer une préquelle, surtout au début des années 70. Écrite par Michael Hastings, auteur à succès dans les années 60 pour le Royal Court Theatre, The nightcomers, titre original que l’on préférera parfois au français Le corrupteur (1972), colle autant à l’avènement de la pornographie qu’aux questions sans réponses des fans de Jack Clayton. Qu’y avait-il en effet derrière les portes contre lesquelles se cognait Miss Giddens avant de sombrer dans l’hystérie ?
« Le film est assez grossier pour que le fantôme outragé d’Henry James vienne hanter Wardour street » écrivait encore en 2011 le critique anglais Tom Milne. Car pour les familiers du style élusif d’Henry James, la nature même du projet de Michael Winner ne peut être que vulgaire. Il laboure pourtant ce même Tour d’écrou, en remettant à nu les meilleurs éléments pour un dialogue passionnant avec sa géniale matrice. Certes, Winner affirme haut et fort la différence de sa vision du monde par un matérialisme social féroce, ce qui ne joue pas nécessairement contre le film originel. Et les deux films vus et revus à plusieurs reprises, il s’en montre tout à fait digne et ce, en dépit d’un budget modeste.
« Le pire, c’est qu’on ne saura jamais tout » écrivait James, portant l’imagination au pouvoir. Or ici, la connaissance n’a de limite que la mort. Winner préfère la transmutation aux transferts où circulait la hantise. Dès le premier plan de son film où les gamins courent vers la caméra, il invite le spectateur à faire retour vers l’intérieur, depuis le dernier cri poussé par Miles avant sa syncope à ce joyeux « Peter Quint ! », qui fait soudain passer le jardinier de l’ombre à la lumière, le fantasme à la réalité, le dire au faire. Winner annonce donc la couleur, vive. Pourtant la brumasse sera lourde et d’emblée, le taillis épais.
En dix ans, une vague de liberté a déferlé sur l’Angleterre et dans les salles. Michael Winner semble au premier abord s’en féliciter, réalisant enfin le premier « art film » de sa carrière. Fidèle à son style dérangeant, il provoque encore la censure, concluant sur une note amère : il ne suffit pas d’assumer ses désirs. Il faut aussi se garder des innocents, car ce sont eux et non les spectres, qui hantent les nuits. Une thèse qui prélude au règne des enfants-tueurs qui peupleront la décennie, dès son « jumeau » maléfique, The other (Robert Mulligan, 1972). Ainsi et plutôt que d’inviter à la transgression comme ses collègues et sans se départir d’un naturel et d’une ambiance rurale fleurant bon les années 70, le regard « infaillible » de Winner est déjà en prise avec les problématiques actuelles.
Où le voyeurisme succède à l’invisible…
Rendre visible ce qu’auparavant on ne pouvait qu’évoquer à mots couverts en un érotisme subtil qui ne se montrait guère. Ce qui implique d’ajouter du plein pour boucher ce trou aux fantômes et laisser habiter un cadre plus dépouillé par des vivants revenus des ténèbres de Freddie Francis. Winner veut se focaliser sur ce point aveugle du film de Clayton : la perversion d’enfants de bonne famille par leur ancien valet. Il lui faudra exorciser le texte de James par cette monstration.
La première séance de voyeurisme précède les travaux pratiques. Une vue lointaine de Quint est suivie de ce plan d’ensemble nocturne de Bly qui deviendra rituel. Subrepticement, Miles se confond avec Quint, les deux se rendant chacun de leur côté à la chambre de Miss Jessel. Miles avance dans un plan à la frontalité inhabituelle chez Winner mais révélatrice. Puis le montage entretient habilement cette confusion entre les deux pôles mâles. Les observant depuis la fenêtre, la curiosité de Miles est vite piquée par l’ambiguïté du comportement de Miss Jessel, entre souffrance et plaisir, le corps ligoté sur ce point central du plan qui absorbe le regard de l’enfant. Une émotion qui se traduit par la superposition en surimpression de différentes positions, exprimant à la fois la durée inhabituelle du coït et le vertige procuré par de nouveaux sens, à l’image de films hard de cette même année, tout aussi préoccupés de recherche cinématographique comme Derrière la porte verte ou Gorge profonde. Cette jouissance est l’évident contrechamp des gémissements nocturnes de Miss Giddens dont se délectaient les chérubins de Clayton. Et les empreintes sur son sol dont il était alors question, sont aussi profondes que les seins de Miss Jessel malléables. Par un bel hommage aux Innocents, Miles quitte le couple quand point l’aube, se fondant sous le lit des amants.
Cette scène originaire creuse aussi un fossé avec Flora, qui bien que plus mure physiquement, préférera toujours l’idée de l’amour aux jeux sexuels plus techniques que son frère entendra reproduire, Winner prenant alors le spectateur à témoin pour un triolisme mi-déplaisant, mi-amusant, vu qu’il ne s’agit là que d’un mimétisme initiatique. Lorsque la séance se répétera devant leurs quatre yeux, la brutalité de Quint imposera le point de vue de Flora, contrebalançant la jouissance solitaire et œdipienne de Miles. Chez Freud, l’Urzsene ou scène originaire ou primitive, a un impact direct sur la pulsion de savoir, elle même mue par le désir de voir ou pulsion scopique, et constitue une emprise, menant à sublimer l’agressivité. Elle devient pour Miles la référence ultérieure de toute expérience. D’où chez Clayton, ce long regard ironique et scrutateur après le baiser à une Miss Giddens atterrée par son propre trouble. Obsession, ébauche d’un scénario à mettre en œuvre et sublimation de la recherche conduiront désormais Miles et Flora à réaliser leur complexe d’Œdipe, d’où pour Miles la conquête de cette mère de substitution.
La concrétisation de la chose sexuelle fait monter en puissance le principe de réalité et ouvre à une vérité : aimer = haïr. Si les travaux de Jung interrogeaient mieux les mouvements internes de Miss Giddens, The nightcomers ressemble fort à un retour aux fondamentaux freudiens, répondant ainsi aux névroses des personnages de James dévoyés par Capote. Différence fondamentale : malgré leur déviance, les adultes sont assez innocents pour ne pas voir qu’il n’y a rien de platonique dans l’intérêt que les gosses portent à cet amour. Et contrairement aux allégations délirantes de Mrs Grose, puis miss Giddens, les amants ne jouissent pas – en tout cas pas consciemment – de ce plaisir d’être vus et par conséquence , ils n’ont nul besoin de transformer Bly en lupanar. Reste que pour Mrs Grose, Peter Quint est si libidineux qu’il répand sa présence dans la demeure, envahissant leur quotidien comme leur psyché.
L’éducation par le corps
Le corrupteur n’oublie aucun thème en vogue dans ces années de contestation de l’ordre établi. Gardienne du sérail, de la tradition et des bonnes mœurs, la reine vierge Mrs Grose apparaît comme le point d’ancrage des deux fictions, veillant sur les autres et se substituant à Quint puis à Miss Giddens qui en avaient la charge. Ridicule pour ces enfants déjà émancipés et enclins à adopter la geste libertaire, elle représente la frustration et la flétrissure devenues lois dans ce carcan bourgeois et patriarcal. Elle ne peut, ni concevoir, ni comprendre la dépendance et le masochisme de Miss Jessel, préceptrice bien sage le jour, victime consentante la nuit.
Si « la bestialité s’oppose définitivement à l’éducation et au savoir vivre »* et était maintenue à l’extérieur du manoir de Clayton, en collant aux basques de Quint, elle devient pédagogie alternative. Et d’ailleurs, pour ces mômes, « tout est meilleur » avec ce Quint qui a toujours les mains plongées dans la matière organique. Et l’animalité partout, elle fait civilisation. Une aubaine pour ces « petits singes », baptisés ainsi par l’oncle méprisant qui leur a assigné ce rôle d’imitateurs. Les scènes associant des animaux seront permanentes : c’est le crapaud qui meurt d’aimer fumer ; la tortue impuissante, dont les pattes rythment chaque soir les bacchanales quand pour la petite Flora, elle était/deviendra l’accessoire Rupert qu’on peut noyer, oublier ou transformer en pierre. Et si cette grande gigue de Flora – la comédienne a 19 ans ! – fait d’abord mine d’admirer la beauté de papillons morts de trop peu d’amour, c’est pour mieux suivre de près ce Quint qui, par la force de l’expérience, connaît bien des choses, en premier lieu les secrets du corps !
Exclue du quotidien de Miss Giddens, l’éducation redevient préoccupation centrale. Et toujours la pratique avec Quint prend le pas sur l’étude des convenances pour tout programme chez une Miss Jessel à l’allure spectrale sous la lumière du jour, son reflet se brouillant dans l’étang plus encore que Flora lorsqu’elle y apparaîtra pour la nouvelle gouvernante. Ici prédomine le dehors sur le dedans, l’utopie réalisée de Summerhill contre le modèle de ces collèges anglais qui excluront Miles. Par cette pédagogie instinctive qui s’apparente à l’Éducation nouvelle de Dewey ou Freinet, il faut libérer l’enfance. « L’éducation, c’est vivre » résumait le fondateur de Summerhill, A. S. Neill. Desserrer les corsets, déverrouiller les portes. Briser les tabous et abattre les murs comme celui vers lequel Miles et Quint avancent alors que l’homme partage avec lui l’unique secret de Bly, cette mort de leurs parents qu’on leur a cachée, établissant un lien de confiance avec l’enfant, tout en entrant dans un engrenage qui leur sera fatal. S’accordant avec Bettelheim (Pour ou contre Summerhill, 1970), Michael Winner se méfie du rousseauisme de Neill, bien que celui-ci ait écrit que le refus de la sexualité par la société conduit à la corruption de l’individu, via ce sentiment de culpabilité qui vrillait Miss Giddens. Or ici, la scène primitive a d’ores et déjà faussé le dialogue entre les préadolescent et cet éducateur mal-formé. Si la magnifique scène du cerf-volant, référence directe à Summerhill, fait de Miles un merveilleux fou volant et non une victime, elle pointe l’infantilisme de Quint, coupable d’inconséquence et de n’avoir su les protéger de sa vitalité, comme de ses penchants. Des enfants « sachants », devenus licencieux une fois immiscés dans leur vie privée, cette trop grande permissivité les autorisant à établir leur propre loi ou les livrant à l’anomie. Cette scène dégage aussi une forme paradoxale de pureté originelle que la photographie de Robert Paynter traduit parfaitement dans ces matins embrumés où la campagne tient lieu de salle de classe où prendre son envol.
Pour autant, bien des points des enseignements de Quint se révèlent plus excitants que les non dits de Truman Capote, ces « tout à fait étrange »… En premier lieu, le vivant est sacralisé sous toutes ses formes. Ensuite, la mort n’est que fin biologique, une étape pour nourrir la terre. Ce que Miles a besoin de voir pour croître. Mais là où pêche l’enseignement de Quint, c’est dans la théorie : il révèle son ascendance dégénérée par la parabole du cheval pelé, ce qui le désacralise et mine ce rapport quasi paternel si touchant qu’il avait su garder avec Flora et ce, malgré son comportement régressif auprès du crapaud. Toujours rebelle à l’autorité sous son masque de bouffon, Quint ignore les vertus de la psychologie et après avoir nié enfer et paradis, il conviendra avoir eu le désir de tuer par amour, puis cédera à l’imagination enfantine en acceptant le concept que les morts puissent se retrouver. Son emprise s’effrite et il cesse d’être le modèle des nouveaux marionnettistes Miles et Flora et en même temps l’autoportrait du cinéaste, instauré par le cadre pictural de sa première apparition, pour n’être plus qu’une vanité.
Déséquilibré, le couple qu’il forme avec Miss Jessel ne peut se substituer à l’autorité parentale, d’où l’autonomisation progressive des enfants qui chez Clayton ne le ne seront plus. La trivialité précède ici le « doute de réalité »* des enfants possédés. D’où le choix paradoxal et incompris de jeunes comédiens plus âgés d’au moins quatre années par rapport au livre et au film de Clayton, parce que se mesure le travail naturel de la croissance sur leur anatomie et que dans cet entre-deux, elle laisse pressentir leur métamorphose : la jeune fille devient plus mûre que le garçon et le rapport de pouvoir s’inverse. Sans ce prisme puritain de Giddens, ils passent de menaçants à indiscrets, se font gentiment jusqu’au-boutistes.
Avant même que Miss Giddens soit privée de tout rôle éducatif, s’opérait sous l’influence de Quint un renversement des valeurs comme l’instauration à la cuisine de ce théorème « Sugar is dirty, salt is clean ». À l’éducation de Miss Jessel succède celle de Quint, puis de Mrs Grose, puis par défaut, celle de Miss Giddens qui en retour reçoit l’initiation de la bouche de Miles. L’une ne valant jamais l’autre, éducation devient synonyme de prédation. Miss Jessel est discréditée par ses inconvenances à la nuit tombée. Quint, par ses excès. Mrs Grose, si élégante et pondérée chez Jack Clayton, maternante, n’est plus ici que la figure ridée et fantoche d’un vieux monde autoritaire qui bouge encore. Par deux fois, la vieille se voit associée à la vermine, qui grouille dans la salade ou dans sa chevelure grisonnante et lui vaut cette vision de Quint sur le pourrissement et la décadence d’une certaine société, celle-là même qui nie la sexualité et déteste le Carpe diem ou présent absolu de l’enfance. Oubliant les corps, il s’agit de formater les esprits, quitte à les déformer, les posséder, l’innocence prise dans ce mouvement de balancier entre Quint et Giddens qui frappait la vitre de la serre pour annoncer l’hallali : les comptes des corps.
D’un Bly à l’autre : lecture de paysage et inventaire des biens mobiliers
Il y a dans la photographie de Paynter une manière naturelle, inspirée, loin de ces vignettes de Francis ouvragées pour déréaliser le jardin à l’anglaise traditionnel et tromper l’arrivante, et le spectateur avec elle. Dès cette vue de Bly s’inscrivant sur le titre, le manoir néo-gothique se voit projeté sur le contemporain de la révolution industrielle anglaise. Ce cadre exhale un sentiment tout à la fois bourgeois et rural, mais bien peu ordonné par rapport au parc de 1961, qui lui-même fonctionnait en contrepoint du labyrinthe intérieur. Winner conserve ce rapport entre milieu victorien et monde extérieur originaire. Dans ces brumes dissipées par le soleil du matin est convoqué Turner et à l’intérieur Millais (The eve of St Agnes, 1863). L’ensemble dégage cet amour du terroir propre au retour à la terre des années 70, mais plus généreux que dans la folk horror britannique. Si l’esthétique atmosphérique des jardins à l’anglaise a toujours fait rimer opulence avec une certaine sauvagerie, il est clair que pour Quint, jardiner, c’est ensauvager. Les bords de l’étang de pêche deviennent la représentation de leur liaison tourmentée et les zooms rapides liant les enfants à Quint sont entravés par les branchages qui mettent en pièce toute projection d’un sentiment filial. Clayton recadrait, insistant sur ce lac aux nénuphars où Miss Jessel attendait la relève. Ici, l’étang apparaît au détour du plan et n’est plus que cette marre boueuse qui engloutira Jessel, avant que Quint n’y fouisse à son tour. Il est représentatif des conceptions esthétiques grumeleuses de Winner et de sa croyance dans l’influence de l’environnement sur les êtres. Par exemple, l’imposante l’allée centrale ne sera vue que pour la fuite de l’oncle, lorsque Quint court comme un bourrin à côté de l’attelage. Si la scène renvoie au sentiment éprouvé d’une présence sur le passage de Miss Giddens derrière les arbres centenaires, elle cristallise sur cette ligne de force l’affrontement des classes sociales.
Comme chez Losey (Le messager), cet éden à l’anglaise est propice à l’aventure sous toutes ses formes. Si c’est un paradis pour les enfants, Quint est aussi en première ligne, sur un arbre perché ou couché contre l’humus où il s’en viendra bientôt pourrir pour composter le récit de James et Clayton. La poupée de Flora devenue hors sujet, gît elle aussi dans les feuilles mortes pour divertir les fourmis, fétiche annonçant à la poupée de chair Jessel que ses élèves ont grandi et que le transfert final est proche, seule figuration humaine, puisqu’ici la population statuaire – et l’enchantement – ne sont pas encore apparus. Détail signifiant, le kiosque sous lequel pleure Flora, avant d’y guetter le fantôme de miss Jessel, est aussi la tour où trônera le spectre de Quint, comme s’il fallait dans cette architecture unir le masculin dans le féminin. Toujours le choix du plein pour traiter des débordements pulsionnels. Quint en jaillit au début du film… sur la musique d’une chasse à courre, annonçant la fin du jeu par la flèche de Cupidon.
La demeure paraît plus confortable et d’aspect réaliste. L’escalier monumental sert maintenant à soutenir la corpulence de Brando. Les couloirs ? Des autoroutes du plaisir. Les jouets sont redescendus au salon, à l’exception de ces poupées d’envoûtement venues des communs et qui ne s’animeront qu’en offrande aux dieux de l’amour. Il y a peu de passages laissés au fantastique, donc peu de miroirs dans ce film. Il révéleront néanmoins l’élégance monstrueuse de Quint ou l’éclatement de la personnalité du jeune Miles, se multipliant dans les trois miroirs de la coiffeuse de Miss Jessel et sur ce miroir de poche qui capture son âme enjouée.
Les bougies et chandeliers sont à la fête et brûlent en permanence quand la chandelle de cette pauvre folle de Giddens restait le plus souvent morte. Par exemple, lorsque que Mrs Grose se réjouit du départ des amants, la caméra tombe de trois bougies sur la candeur de la vieille qui, à elle seule, doucherait le bûcher de fin de saison de The system. Une trinité pour trois présences vives à Bly. Chez Clayton, le feu ne brûlait dans l’âtre que pour évoquer le souvenir de l’énergie sexuelle du jardinier. Ici, le brasier ardent suit la curiosité exponentielle de Flora et leur développement hormonal.
Enfin, si les années passent, le langage des fleurs est toujours en activité. Giddens en parait Bly comme on revêt les vieux meubles de suaires. Dans un plan séquence, Clayton insistait tour à tour sur leur ombre ou leur blancheur au gré des variations humorales d’une gouvernante perdue dans son raisonnement. Avec Michael Winner, la couleur se manifeste partout. Lors du premier entretien entre Mrs Grose et l’oncle et qui terminé, donne le feu vert au transfert des caractéristiques de Miss Giddens à Mrs Grose, le bouquet multicolore éclate dans la première partie du plan. Il n’aura de cesse de varier, du blanc mortuaire au jaune maladif dès lors que la vieille cuisinière raconte son amour perdu pour le fils du pasteur – tiens donc ! -, au rouge sang comme le désir du couple principal ou des envies adolescentes.
Bien des signes coupables originent ici leur traduction. La simple reprise d‘un cadre en renouvelle son sens, ce qui témoigne, en faveur de Winner, de son grand respect pour l’œuvre de Clayton et une intime compréhension de ses enjeux, là où les vilains, choqués par sa franchise, n’ont vu que grossièreté. En phase avec sa star masculine, Michael Winner aura vécu ce tournage comme une expérience unique dans sa carrière. Avec pudeur, il fait débarquer SA Miss Giddens pour réenchanter la scène originelle, envisageant le temps comme répétition cyclique du même, mais aussi démontrer à jamais, qu’elle est en ce lieu le seul personnage hanté. Volontairement anodine, son arrivée à Bly ne contient d’ailleurs aucun passage de seuil, car c’est elle qui s’en vient ensemencer ce lieu de son imaginaire fertile, même si, par jeu, assurément, les enfants en invoquent déjà les fantômes. Sous les fards de la farce grivoise, Miles transmet le crapaud Quint qui la fait hurler, attendant le baiser rédempteur qui le fera charmant et dégèlerait cette belle au lac dormant.
*La zone#16, Les innocents (Viméo)
*Diane Arnaud, « Fantôme », Dictionnaire de la pensée du cinéma.
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