Acclamé par la critique internationale et auréolé de deux Léopards (celui d’or et celui de la meilleure actrice pour Vitalina Varela) à Locarno en 2019, le nouveau film de Pedro Costa arrive finalement en France en janvier 2022, soit presque trois ans après le début de son exploitation ralentie par le Covid-19.

Pedro Costa déclarait récemment, outre son admiration – évidente – pour Robert Bresson ou John Ford, que son cinéma et particulièrement ce dernier opus étaient une affaire d’« intimité » et de « solitude ». Deux mots qui suffiraient à traduire précisément l’atmosphère de Vitalina Varela. Le long-métrage suit le parcours intime d’une femme (l‘actrice non-professionnelle qui lui donne son nom) alors que celle-ci se rend au Portugal afin de retrouver un mari qui l’a abandonnée quarante ans plus tôt, pour apprendre à peine arrivée qu’elle ne peut que porter son deuil… Décidée à ne plus quitter le pays où elle attendait de pouvoir se rendre depuis 25 ans, la veuve découvre alors quelle vie celui qu’elle aimait a menée en son absence et comprend qu’il ne l’attendait plus depuis longtemps. Commence alors pour elle un périple individuel et universel mû par la question, non pas tant du deuil que des souvenirs et de la reconstruction. Vitalina Varela traversera en effet son histoire en posant sur l’héritage de son époux (une maison dans un état déplorable) et, par extension, sur ce dernier, un regard désabusé, se voulant froid mais témoignant de la douleur qui la ronge… s’adressant régulièrement à voix haute au défunt afin de lui faire part de son ressentiment, ressassant ses regrets, leurs courts mais inoubliables moments de bonheur passés ensemble, la vie qu’elle rêvait pour eux, celle qu’ils auraient pu avoir ou encore celle qu’elle lui imaginait lorsqu’il était loin d’elle, sans se douter qu’il menait l’existence misérable dont elle découvre trop tard les vestiges…

Au coeur de ce grand labyrinthe mental où l’on croise la mort, le passé, la colère et les regrets qui hantent les vivants, se trouve un autre élément essentiel : le temps. En choisissant de le dilater, Pedro Costa souligne sa fondamentalité et la valeur de l’apaisement qu’il procure, au terme d’un travail pourtant long et éreintant.

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Si le minimalisme radical du cinéaste est aussi susceptible d’égarer que de fasciner, sa maîtrise est indiscutable. Grand livre d’images filmique, Vitalina Varela compose chacun de ses plans comme des tableaux, avec des contrastes d’une extraordinaire profondeur entre des fonds et des extrémités de cadres baignant dans l’obscurité et des visages ou des éléments de décor intensément éclairés afin de ne rien faire ressortir, hormis l’essentiel…

Dans cette atmosphère morbide où chaque silence se révèle bien plus étouffant que les dialogues, la caméra, immobile, observe ses personnages se mouvoir dans la plus extrême lenteur, l’économie de mouvement renforçant l’importance de chaque geste et de chaque image.

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Vitalina Varela se pose donc comme le bouleversant portrait d’une femme en proie aux démons du passé, mais dont la détermination à les faire taire est à nulle autre pareille. Livrée à elle-même, elle affronte ainsi, dans un parcours dans lequel n’importe qui pourra sans doute se reconnaître, l’entourage de son mari, qui la rejette ou se méprend à son sujet, mais surtout des figures rencontrées plus tôt dans sa vie (notamment un prêtre  rongé par la culpabilité, vivant sa propre existence tel un revenant)… ainsi que le souvenir de son époux, la flamme de la passion qu’elle a éprouvée pour lui ne s’étant visiblement jamais éteinte. Pedro Costa signe donc également avec ce film une poignante histoire d’amour, sentiment dont la pire épreuve demeure invariablement d’accepter la mort, tant en soi qu’en l’autre, fut-il lui-même vivant ou décédé.

Avec ses contrastes évoqués plus haut, la photographie très onirique prolonge ce sentiment d’assister à une histoire de fantômes, confirmant au spectateur que ce qui s’offre à lui est un conte philosophique sur la force douloureuse de l’introspection et le courage d’affronter ses souffrances les plus profondes pour enfin les dépasser et avancer dans l’espoir d’une reconstruction.

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Porté par une maîtrise technique et dramaturgique fascinantes, Vitalina Varela ne serait rien sans la prestation exceptionnelle de son actrice : d’une froideur et d’un stoïcisme bressonniens, celle-ci traverse le film avec un regard habité par une force indicible dont ses longs monologues adressés à son mari donnent un aperçu, laissant filtrer à travers les failles de son armure le feu de la passion qui la dévore…

Aussi intime et solitaire que le souhaitait Pedro Costa lui-même, Vitalina Varela est un extraordinaire voyage existentiel, spirituel et mental à travers le passé et les regrets, vers une acceptation qui dessine enfin la promesse d’un avenir.

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