Dernière grosse journée belfortine, complètement cyclothymique et géographique : de la roumaine en plan fixe, de l’algérien sans corps et du yankee avec cornes, jusqu’à l’éblouissement final. Joao Nicolau, victoire par KO de la joie.

SEANCE 1.

  • LE COURT : Les voisins, de Benjamin Hameury

Les voisins

En face de l’Ile de Ré, rien ne va plus. Le maire du village a reçu le coup de fil d’un ami bien intentionné : un détenu s’est évadé du fort, et s’il traverse le pont, il y a de grandes chances qu’il vienne se planquer au village. Vite, on quitte son pyjama et on prépare une tarte pour une réunion discrète afin de contrer la menace et mesurer sa peur.

Fini les indiens, vive les voisins : c’est le film qu’on aurait rêvé de faire étant gosse, en y intégrant notre oncle et nos cousins. Soit réinjecter les codes de la fiction paranoïaque et du thriller au sein du pavillon phénix de province.

On pardonnera alors l’interprétation plus qu’approximative des protagonistes, team cabotin de vieux briscards et retraités, tous prenant un malin plaisir à figurer dans cette attaque du fort version Isotoner.

Dommage que le film patauge très vite dans un cabotinage de bon aloi, se contentant d’enchaîner les micro-séquences chez chacun comme des perles dans un faux rythme bringuebalant (aucune organisation ou veillée nocturne qui s’organise, aucune alliance secrète et plan d’attaque), s’asseyant sur des effets comiques usés et appuyés tendance coup-de-coude-dans-les-côtes-t’as-vu-René-comme-c’est-drôle, jusqu’à un final en queue de poisson, bâclage manifeste d’un scénario dont le réalisateur ne semble plus savoir quoi faire.

Il y avait pourtant en son sein, et en particulier lors d’un plan précis, une puissance manifeste : inquiet, l’un des personnages regarde vers le bout du cul du sac des pavillons, sorte de bande de goudron qui s’arrête brutalement. Zoom discret et lent sur les fourrés qui s’y trouvent, et la ligne noire du sol, imperturable frontière entre le maitrisé, maitrisable et l’inconnu. Si le plan se conclut par une pichenette, un chat surgissant du muret, il y avait là, sans se départir de l’humour, une belle matière à réflechir sur l’idée de frontière, de soi et de l’autre, à l’échelle d’un pavillon, d’un village, d’un pays.

  • LE LONG : Self-portrait of dutiful daughter, d’Ana Lungu

self portrait of a diutiful daughter

On parle beaucoup dans cette Maman et la Putain des Carpates : de séismes (hello la métaphore sentimentale), de star de la pop, de quartiers rénovés de Bucarest, de races de chiens ou d’action et vérité dans l’interminable scène post générique, supplice final d’un récit sans enjeu, collé aux basques de son héroïne sans histoire sans avenir sans rien, dont le film semble assumer le surplace au point de nous l’infliger près d’1h12 qui semblent une vie.

Si c’était déjà pregnant dans le soporofique Ben Zaken, la dose de Stilnox triple ici en tentant même un improbable « je sors du champ pour me faire un thé ». Pas grand-chose à dire de plus de ce portrait à l’électrocardiogramme aussi plat que sa mise en scène.

Y’a-t-il un cadreur dans la fiction ? Telle est la question qui finit d’ailleurs par se tracer dans ce cru 2015, tant la phraséologie une séquence=un plan fixe semble devenir la règle du geste auteuriste, comme si l’absence de découpage signait à elle seule la qualité, créant une sorte d’accumulation de petits théâtres et scènes, boites cliniques mise bout-à-bout en espérant qu’en surgisse du sens. Drôle de choix alors même que la plupart des œuvres aborde le versant intime et que ce plan moyen perpétuel nous exclut de la chair des Hommes.

SEANCE 2.

  • LE COURT : F430, de Yassine Qnia

F430

Joli court que celui de Yassine Qnia, au moins dans ses deux premiers tiers.

Un argument banal : détournant l’argent d’un vol, Ladhi se paye un bon kif au volant d’une Ferrari F430. Mais bien mal acquis ne profite jamais, et, s’il se pensait suffisamment dans la mouise en grillant le moteur, les commanditaires du vol sont eux aussi bien décidés à lui faire payer son geste.

Si on oublie cette dernière phrase et cette dernière phase, sorte de La Haine moralisatrice et complètement inutile, le film a la force de son trait, racé, disant énormément de choses sans y toucher.

Il faut voir cette longue séquence de pavane, où Ladhi, fier comme un paon, exhulte en riant comme un gosse du bruit du moteur. Le voir prendre les jeunes de la cité un à un pour un tour du parking ou dévorer fier comme Artaban un KFC devant deux caillera la langue pendues pour comprendre toute la frustration, toute la colère, et toute la médiocre assise de pouvoir que peut donner le désir de possession. Pour les déclassés, les mis à la marge, le pouvoir s’achète, se monnaye, se montre. On vit parmi les autres, rampant dans l’unique but d’une élévation crâneuse et réifiante.

Réussir à dire ca avec un simple rire est une gageure qui mérite le respect. Si le film s’était arrêté ainsi, il aurait été nihiliste et puissant.

  • LE LONG : Western, de Bill et Turner Ross

Western_Chad Foster__by Bill Ross IV and Turner Ross

Documentaire yankeeeeeee, Western nous conte la fin d’un idéal : le délitement d’une frontière modèle, près de Eagle Pass, où mexicains et américains fraternisaient années après années.

Rongés par la montée progressive des cartels, il met en scène, à travers le destin de trois représentants (le maire, un fermier, et un silencieux garde-frontière qui revient comme gimmick) le passage progressif pour le Rio Grande de trait d’union à frontière : élévation de murs, blocages des importations commerciales, etc. Ou comment une utopie d’homme devient batailles d’états.

Si le film n’était que cela, il serait tout juste informatif. Mais sa grande intelligence est, dès le premier plan, de chercher à raccorder son propos à une esthétique mythique et mythologique de la frontière, par un travail sonore (bande son de western spaghetti et chants mexicains au programme) et visuel.

Plan de l’eau boueuse, ambiance orageuse le soir sur le ranch, coucher de soleil, torero et mairie american style : tout concourt à réinjecter de l’archétype fictionnel de la fiction, pour lancer une dialectique stimulante quoique trop longue (le film aurait dû s’arrêter trente minutes plus tôt, lors de l’assassinat malheureux du maire mexicain et un plan sur le Rio qui déborde) sur cette terre des confins, aussi bien topographique que métaphorique. Belle découverte.

SEANCE 3.

  • LE COURT : Nueva Vida, de Kiro Russo

Nueva Vida

Difficile de parler de ce film minimaliste, contant en une dizaine de zooms avants le délitement d’un couple accueillant son nouveau-né. Fenêtre sur cour à Buenos Aires, il capte depuis l’extérieur de l’appartement des bribes de surcadre et de vie, de moments intimes en engueulades, jusqu’à ce dernier plan, mystérieux, laissant présager le drame.

Interrogeant le couple autant que notre regard, ce dispositif formel fort finit toutefois par lasser, lorsqu’on en constate les coutures pour ne raconter finalement pas grand-chose.

  • LE LONG : Bienvenue à Madagascar, de Franssou Prenant

Bienvenue à Madagascar

Pas de pingouins qui chantent en 3D dans ce gros morceau formel ardu, tout d’images d’archives et de polyphonies de voix-off.

Démarrant comme une confession intime de la réalisatrice sur sa relation au passé et à la ville, il met en place une multitude de voix sans corps, oscillant du témoignage au texte écrit (drôle de sensation, d’ailleurs assez limite, de ne pas forcément percevoir quand on passe de l’un à l’autre), autour de la ville d’Alger, de la chute de la colonisation au terrorisme et la misère actuelle.

Touffu et dense, assez malpoli dans son dispositif sec, il oscille du banal au politique, du trop bateau au trop pointu, dans un portrait cosmopolite très années 60 (la voix off, les images d’archives, le 4/3, on est en plein documentaire de création) dont on peine parfois à saisir l’intérêt des images hors de l’illustration et qui se tient sur une vrai fausse bonne idée sonore : une polyphonie parfois simultanée de voix, l’une passant devant l’autre au mixage…tout en laissant la seconde défiler. On se prend alors à tendre l’oreille tant bien que mal dans ce brouhaha sans doute désiré, repoussés en dehors du dispositif par irritation.

Si on ne peut qu’applaudir l’ampleur de la tâche et du propos, difficile de totalement adhérer à une énonciation volontairement élitiste, et qui, à notre goût, ne tient pas la charge d’un « Dans ma tête en rond point », qui réussit lui à parler tout autant du pays en offrant en plus un amour de l’homme, précieux.

SEANCE 4.

  • LE COURT : La fin d’Homère, de Zahra Vargas

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Court le plus WTF de la sélection, ce documentaire (du moins le pense-t-on) interroge quelques témoins improbables (dont une Yolande Moreau du Valais, impayable) autour d’un acte de chasse ayant viré au drame : Homère, chasseur du village, a tué sans le vouloir une espèce protégée. Acculé par la vindicte populaire, il a fini par mourir.

Le problème, c’est que ces quelques mots sont les mêmes que ceux indiqués en début de récit à travers quelques cartons préliminaires, et dont la suite ne sera que redite éclatée, dont on ne saura jamais très bien si c’est de l’art ou du faisan, et dans quelle mesure la réalisation laissant un sourire crispé prend le parti du sérieux mythologique ou du Strip tease.

  • LE LONG : John From, de Joao Nicolau

John From

Voici enfin, pour conclure cette journée, le premier et sans doute plus grand choc de cette sélection : « John From », du portugais Joao Nicolau (un lointain cousin homonyme lusitanien).

Soit la chronique tendre et fantasque d’une adolescence, celle de Rita, perdue au milieu d’une banlieue grisouille que vient percer quelques couleurs pétantes.

Ennuyée comme toutes les adolescentes, préparant son été sur son balcon qu’elle transforme en pédiluve à grand coup de seaux d’eau, et échangeant des mots doux d’ascenseur avec sa bestoune rousse, elle croise sans le vouloir la route de son nouveau voisin en voyant quelques photographies ethnographiques au Centre culturel du coin. A partir de là, tout s’enchaîne : Rita DOIT le séduire. Quitte à se renseigner sur la Papouasie, se grimer en autochtone ou célébrer le culte de John From, variation Mélanésienne des Dieux sont-ils tombés sur la tête. Et petit à petit soumettre le monde à son désir et à son fantasme.

Dieu qu’il est bon de trouver un cinéaste si fantastiquement heureux de filmer.

Si le film impressionne dès ses tous premiers plans par sa qualité plastique, son ton décalé et la musicalité de son univers, cette légèreté apparente et stimulante ne doit pas faire croire que le réalisateur ne prend son sujet que comme argument léger, au contraire, et c’est d’ailleurs son génie : il le traite avec le plus grand des sérieux, à hauteur de puberté voir comme processus mental et esthétique.

Car il y saisit avec grâce ce sentiment obtus et total de l’adolescence, où le monde n’existe que par obsession et investissement global, dans un double mouvement (centrifuge « je veux me convaincre que je dois avoir cet homme » et centripète « pour cela, je vais soumettre les choses ») que traduit bien la bascule progressive de son propos esthétique d’une bizarrerie étrange à un grand barnum mental où Papa et maman se griment en indien, où la végétation envahit le quartier sans que personne ne s’en inquiète et où la brume emporte les êtres et les voitures sans chauffeurs.

Comme si le film passait progressivement du « elle » au « je », ce dérapage si minutieux au point d’en sembler naturel, passe par un double mouvement, esthétique (quelques cadres frontaux, un découpage très « une femme est une femme » et un travail du décor impressionnant) et tonal, du portrait au comique au fantastique, rendant un film adolescent lui-même, subissant de plein fouet les mutations physiques et érotiques de son héroïne.

Drôle et décalé, sorte de Wes Anderson sans le tralala, il le dépasse dans l’idée que chez Nicolau, cet univers baroque n’existe pas comme bonbonnière a-priori, dans lequel les personnages viendraient s’inscrire comme élément supplémentaire (ce que nous appelons du cinema de chef-déco).

Au contraire ici, c’est le processus mental et physique des personnages qui est générateur d’une fiction à laquelle il va s’agir de s’offrir corps et âme pour organiser un progressif délitement/déraillement du réel. Chapeau bas.

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A propos de Jean-Nicolas Schoeser

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