Sortie en salles mercredi 30 mars 2022.

Le contexte dans lequel se déroule le récit d’Un Grand mouvement est celui du travail dans les mines d’étain de Huanina, en Bolivie, et celui des revendications de mineurs. Une manifestation de certains d’entre eux à La Paz est représentée au début du film.
Les mines de Huanina se situent à 4000 mètres d’altitude dans la Cordillère des Andes. La capitale est située dans une zone à peine moins élevée et à moins de 300 km de distance. Ces mines sont très importantes. Elles offrent 60 % de l’étain produit en Bolivie – l’étain constituant la 3e source de revenu du pays (1) -, et donne régulièrement lieu à des conflits sociaux.
Trois jeunes hommes qui ont perdu leur travail à la mine sont suivis par la caméra du réalisateur. Parmi eux, Elder (Julio César Ticona), atteint d’un mal aigu aux poumons, tousse, crache, s’affaiblit.

© socavon – altamar films

Ce qui nous a frappé en cette œuvre est l’approche directe, rêche du réalisateur.
La Paz est filmée, notamment dans une longue séquence introductive, comme un mur aveugle, un inextricable enchevêtrement de vies et d’objets, un chaudron, un chantier. Parfois, on ne sait si cette ville est en construction ou si elle a été détruite, en quelque endroit, par un tremblement de terre. Kiro Russo filme souvent avec une longue focale lui permettant de faire de longs et lents travellings optiques. La perspective est écrasée. La pellicule utilisée étant du 16mm, le grain épais de l’image participe du caractère globalement brut, âpre du film.
Les personnages sont comme saisis dans la réalité pauvre et sale du pays, et montrés sans apprêts, sans effets visant à leur donner une apparence plaisante. Ainsi en est-il des trois mineurs qui parlent beaucoup, mais n’articulent pas, ont la voix rauque, ne semblent nullement jouer. Et qui boivent pour tenter de conjurer le désespoir. Ainsi en est-il de la femme vieille, grosse, et se déplaçant avec une canne, qui affirme être la marraine d’Elder et trouve du travail pour lui et ses compagnons. Ainsi en est-il des femmes qui sont assises dans un marché et forment un choeur railleur. Ainsi en est-il du sorcier pouilleux vivant dans une forêt avoisinant La Paz, qui interviendra pour tenter de soigner Elder.

Cet anachorète chamanique s’appelle Max et il est associé à un canidé blanc. Le loup est chez les Amérindiens un animal sacré qui a une dimension spirituelle. Elder est manifestement d’origine indienne.
Difficile de dire si Max ramène vraiment Elder à la vie, mais le fait est que, de toute façon, le médecin-radiologue que celui-ci consulte n’est pas d’une grande aide. Il y a quelque chose comme un retour symbolique aux origines pour le protagoniste de ce film empreint de réalisme magique, et comme la réalisation d’un exorcisme – lui – apportant un nouveau souffle…

© socavon – altamar films

Des poumons est expulsé ce qui est la source du mal : la mine. Et la mine est partie de la réalité globale du travail, des échanges économiques, de l’urbanisation qui hache, broient les individus. D’une manière peut-être un peu exagérée, mais intéressante, Kiro Russo a déclaré: « (…) le film n’est pas seulement un documentaire, il est également marxiste, parce qu’il expose l’aliénation et le sacrifice des corps, individuel et collectif, à travers la force de travail. Le système du marché est aussi montré, de manière explicite » (2).

En un clin d’oeil à L’Homme à la caméra de Dziga Vertov, revendiqué (3), mais retourné, Kira Russo accélère fortement le mouvement de défilement des images, englobant en une séquence finale le film lui-même, pour figurer la puissance destructrice du Système, et pour exprimer et faire ressentir aussi la dimension cathartique de son œuvre…

L’action du premier film de Kiro Russo, Viejo Calavera (2017), se déroulait à Huanina, avec des travailleurs de la mine. Le personnage principal était déjà Elder, interprété par Julio César Ticona. Le cinéaste prépare actuellement son troisième long métrage qu’il envisage comme le dernier volet d’une trilogie sur les mineurs.

Notes :

1) Cf. http://www.latinreporters.com/boliviepol08102006.html
2) « Entretien avec Kiro Russo », propos recueillis par Carlos Tello le 24 février 2022 (reproduit dans le Dossier de Presse).
3) Russo a déclaré : « Pour la séquence finale, Llanque a mêlé la partition de L’Homme à la caméra, dans la version de L’Alloy Orchestra, avec sa propre partition et des sons du film ». Cf. « Pour un cinéma mineur », entretien avec Kiro Russo réalisé par Claire Allouche, Cahiers du Cinéma, n°785, mars 2022, p.49.
Miguel Llanque est le compositeur de la musique originale du Grand mouvement.
L’Alloy Orchestra est une formation américaine qui, depuis le début des années 1990, crée des partitions pour l’accompagnement musical de films muets. Concernant L’Homme à la caméra, dont elle a acquis une copie par les Archives du Film de Moscou, elle a créé « sa propre partition basée sur les notes de Vertov pour la première du film en 1928 ». Cf. https://en.wikipedia.org/wiki/Alloy_Orchestra

 

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