Étrange festival

28e Etrange Festival – Compétition courts métrages #3

L’exploration des courts-métrages continue sur des thèmes ayant nourri tant de fictions et de documentaires depuis que le récit existe : la famille, berceau de toutes les névroses, ou bien cette césure générationnelle entre les jeunes et les adultes que ces derniers ont dévoyés, traumatisés ou rendus tout aussi coupables et tortionnaires à leur tour.

 

28è Étrange festival – compétition courts métrages #2

28è Étrange festival – compétition courts métrages #2

 

L’une des plus passionnantes mises en images est les diffractions, par ce miroir qu’est le cinéma, de nos jeunes qui renvoient des reflets peu plaisants de nous-mêmes, dans un bris de glace ce qu’on a voulu leur transmettre avec plus ou moins d’amour et d’attentions (valeurs, patrimoine, rêves… : Doom Cruise), dans un autre morceau ce qu’on leur a légués de plus abject de nous (peurs, traumatismes, violences… : Amissa Anima ; Zephyr in the Sky ; Sylvain’s Hunt; Borderline), dans une myriade d’autres brisures le fantasme d’en faire des minis nous, clones de la perfection imaginée que nous croyons représenter dans une société que l’on se figure ne pas nous mériter. Mais souvent, cela nous révèle ce que nous n’avons pas réussi à accomplir, notre incommunicabilité, ou notre impuissance dans la passation tronquée de responsabilités. La filiation, biologique ou pas, n’assure pas pour autant l’amour parental ou la piété filiale que beaucoup pensent naturels ou obligatoires. Il en ressort alors étrangement que ces enfants nous apparaissent en aliens que nous avons du mal à reconnaître et que nous regardons avec stupéfaction (Growing), une mise à distance s’opère alors et ce sont surtout des électrons libres qui prennent leur propre chemin en répliquant nos principes ou en s’en écartant.

 

Zephyr in the Sky de Paul Tartaglia

Zephyr in the Sky de Paul Tartaglia

Le programme du jour ne propose donc pas de relation idyllique parent-enfants, nous sommes à l’Étrange festival, et ce sont plutôt les dérives qui nous intéressent ici jusqu’aux déviances, individuelles ou collectives dans les reproductions de nos schémas comportementaux ou la projection de nos pires cauchemars. En commençant par une sourde inquiétude poindre dans Zephyr in the Sky, voyage sensoriel plus que narratif dans un autre univers, où l’on y sent toute l’appréhension d’une jeune fille harcelée par des créatures venues la visiter. Le sound design et les images retouchées traduisent de manière spectaculaire le trouble suscité par ces invasions inopportunes.

 

Sylvain's Hunt de Theo Cohn

Sylvain’s Hunt de Theo Cohn

 

On plonge plus avant dans le glauque avec le mimétisme forcené qu’un père inflige à son fils dans Sylvain’s Hunt, dans lequel le paternel campé tel un redneck bas de de plafond veut absolument initier à la chasse au fusil, tous les artifices de mise en scène sont ainsi convoqués afin de générer le malaise : environnement sordide près d’un chemin de fer isolé, les yeux oblitérés masquant leur regard, des guenilles semblant crasseuses, une attitude violente, le montage de plans de coupe sanglants… On y sent toute la répulsion du fils à imiter les gestes de prédation et l’aversion que lui occasionne cette chasse, tandis qu’en face son père exulte de fierté à l’entraîner dans cette complicité artificielle et démonstration virile.

 

 

Le déchaînement de violences débordent à l’écran avec Borderline et Amissa Anima. Boisselier se retrouve devant et derrière la caméra de Borderline, on l’y sent jubiler à jouer le politicard imbu de lui-même aux côtés de Sara Giraudeau en mère quasi parfaite totalement bouleversée par les événements. Dans leur pavillon cossu de Rueil-Malmaison couve un drame domestique ne demandant qu’à tout faire exploser : la conjugalité bourgeoise étriquée, les chérubins qui se révèlent de monstrueux garnements, les nounous exploitées… Au fur et à mesure des révélations des péripéties et de celles à soi-même, le récit prend le parti d’une farce jubilatoire, alors que dans Amissa Anima tiré d’un faits divers réel, le registre y est bien plus grave et traumatique avec un noir léché renforçant le drame qui se diffuse insidieusement. L’utilisation de plans alternés en noir et blanc et couleurs sert à la divulgation d’exactions et de violence pédophile envers des gamins des rues. La vengeance de ces derniers sera ainsi inexorable et impitoyable contre leur bourreau, servie par un plan au ralenti soulignant le déferlement de coups. Cela n’est pas très heureux formellement car un peu trop appuyé pour cette adaptation tirée d’un faits divers, mais bien que les revues consultées par le criminel semblent un peu datées, cela nous rappelle malheureusement ce dont sont encore victimes de trop nombreux enfants de par le monde.

 

Growing de Agata Wieczorek

Growing de Agata Wieczorek

 

En résidence au Fresnoy – Studio national des arts contemporains, Wieczorek conçut Growing, extension cinématographique de ses travaux plastiques éponymes. Elle y convoque la body horror, le fantastique, la science-fiction et tout ce que la culture pop a véhiculé autour de la maternité et de la grossesse en leur appliquant nos peurs et nos fantasmes des corps féminins en pleine transformation, générant dans ces hallucinations visuelles des objets horrifiques. En prenant dans cette dystopie l’exemple d’un centre de simulation médicale, où l’y apprend à modeler notre humanité par l’intermédiaire de gestes répétés et mécaniques sur des corps artificiels, elle fait ainsi écho au scandale de la loi anti-avortement qui ravagea la Pologne dernièrement. Le poids que l’on fait porter aux femmes de l’assignation à être mère et la main basse faite sur leur corps et leur sexualité dans notre réalité nourrissent cette fiction hautement paranoïaque et traumatique. Les femmes sont plus que des ventres, et en les enfermant dans cette fonction on ne peut alors que reproduire des traumas à l’infini.

 

Doom Cruise de Hannah Stragholz & Simon Steinhorst

Doom Cruise de Hannah Stragholz & Simon Steinhorst

 

Pour conclure sur une note plus douce ce programme, je choisis de finir sur Doom Cruise (qui n’est pas le dernier court projeté en séance). Faussement tragique, car il s’agit tout de même d’un naufrage annoncé d’un paquebot en croisière, on s’y amusait certainement : on y chantait, dansait, rencontrait, flirtait… et la technique d’animation sert totalement ce propos par des formes enfantines et des couleurs vives. Mais c’est surtout l’occasion de ressentir ce qui nous rapproche lors d’une catastrophe imminente, avec beaucoup de chaleur et de bienveillance. La liesse étiolée, fin de partie, la gravité prend place. Face à la mort, les enfants nous questionnent, adultes désemparés nous essayons de répondre du mieux possible, ce court m’a fait ressentir comme une sorte de consolation recherchée devant l’inéluctable, c’est ainsi qu’une chanson avec voix de crooner nous réconforte, nous nous serrons alors les uns contre les autres, avec ces enfants pour qui nous avons nourri tant d’espoirs, vains. Et en fin de comptes, c’est peut-être un peu de cela que nous recherchons en eux, une façon de vaincre la disparition et la mort, en nous continuant en eux, envers et contre tout.

 

 

Programme n°2 « Hymne des chérubins » :

 

Prochaine projection du programme n°2 le le 15/09 à 14h45 & tout le calendrier des programmes courts de l’Étrange festival

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