FID 2025 (Compétition internationale) Leonor Noivo – « Bulakna »

Bulakna de Leonor Noivo : deux femmes, deux trajectoires, un même exil

Avec Bulakna, la réalisatrice portugaise Leonor Noivo signe un film d’une finesse rare, à la croisée du documentaire et de la fiction, qui explore en creux les logiques postcoloniales contemporaines et les migrations féminines silencieuses. Sur une île philippine baignée d’humidité, deux femmes vivent une même rupture à contretemps : l’une s’apprête à partir pour l’Europe comme domestique, l’autre revient définitivement dans sa terre natale après des années d’exil. Entre elles, un dialogue invisible s’installe, fait de gestes, de silences, de regards obliques.

© Leonor Noivo

Noivo aborde le sujet de l’émigration des travailleuses philippines – plus de deux millions dans le monde – non pas sur le mode du manifeste, mais par une approche sensorielle et patiente, fondée sur l’observation. Elle donne à voir les préparatifs, les attentes, les non-dits, les gestes domestiques : plier une robe, faire ses adieux, revoir une mer aimée. Ce minimalisme sert à mieux révéler la tension sous-jacente, la violence diffuse des choix imposés par la géopolitique économique mondiale.

Le titre Bulakna – qui évoque à la fois la fragilité d’une fleur et la répétition d’un motif – fonctionne comme une métaphore du cycle migratoire féminin : partir, servir, revenir… parfois brisée, toujours changée. À travers le montage parallèle de ces deux trajectoires, Noivo interroge ce que signifie réellement « rentrer chez soi » quand l’exil vous a transformée, et que le chez-soi ne vous reconnaît plus.

Dans la lignée de films comme Lorna de Sigrid Andrea Bernardo ou Remington and the Curse of the Zombadings (dans un autre registre), Bulakna participe à la mise en lumière d’un imaginaire philippin éclaté entre identités diasporiques et attachement à la terre. Il trouve aussi une résonance avec Lingua Franca d’Isabel Sandoval, où la migration devient terrain de négociation identitaire, intime et politique.

La caméra de Noivo reste proche des visages et des matières. Elle capte les moiteurs, les lueurs, les plis du linge, les textures de peau, comme autant de signes d’un déracinement vécu dans le corps. Le film se refuse à tout pathos : il préfère la justesse des détails à la démonstration, l’ellipse à la confrontation. Il montre ce que signifie être femme dans l’économie domestique globale, ce que l’on perd et ce que l’on tait dans le silence des transferts d’argent et des appels vidéo.

Sans jamais juger, Bulakna pose une question simple et nécessaire : quel est le prix intime de cette mobilité dont nos sociétés tirent profit ? À l’heure où l’Europe ferme ses frontières mais importe des bras, ce film doux et lucide sonne comme un rappel : les flux migratoires ont des visages, et ils ont des noms.

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A propos de Frédérique LAMBERT

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