The Weather Station – « Humanhood » (Fat Possum)

Ignorance (2021) fut pour Tamara Lindeman un achèvement, salué comme tel par une très large partie de la critique. Le titre de la brève introduction qui ouvre Humanhood, septième album qu’elle publie sous le nom de The Weather Station, indique ce qui s’est passé ensuite : Descent. Une plongée en soi-même qui, chanson après chanson, fait jaillir une myriade de doutes, de remises en question, avant qu’émerge une forme de sagesse nourrie d’acceptation – celle d’une vie en patchwork de joies et de peines (« from pride and shame, beauty and guilr ») dont il faut, tant bien que mal, coudre ensemble les morceaux souvent inégaux, parfois discordants (Sewing, conclusion fragile mais apaisée).

Il lui aura fallu traverser l’épreuve des vérités feintes prêtes à acheter (« Now you got me – this broken prize ») dans l’aveuglement des enseignes qui éblouissent pour mieux tromper (Neon Signs), accepter les dérobades du corps (Body Moves), suffoquer en aspirant à une liberté sur le moment inaccessible (Window) pour que les éléments chamboulés de son parcours se remettent en perspective. « My pain is ordinary, I’m just like anybody » admet-elle dans Ribbon, pivot de cette introspection. La chanson éponyme invite à s’immerger comme on traverse un miroir, comme on s’allège d’un fardeau, quand Lonely offre à fleur de voix un écho à la phrase que l’on prête à Prévert, « j’ai reconnu le bonheur au bruit qu’il a fait en partant », cette nostalgie d’aimer rendant plus urgente la nécessité de s’ancrer dans le présent.

On pourrait craindre que ce cycle de chansons – car il s’agit bien d’un ensemble cohérent – soit plombé par les incertitudes, les crises qui le traversent. Il n’en est rien. Née durant deux séances d’improvisations à la fin de l’année 2023, la musique en garde une fluidité, une spontanéité extrêmes. Nourries de liberté jazz, d’énergie rock, les compositions, libérées de toute structure formelle contraignante (pas d’alternance couplets-refrain, Irreversible Damage se présentant même comme une conversation avec une musique qui semble naître au fur et à mesure), portées par une dynamique aiguisée, refusent de s’appesantir. La crise de panique qui paraît sous-tendre Window bouillonne, souterraine, menaçante, sans déborder ; Ribbon voit son horizon s’élargir au fil des notes pour devenir le paysage de Fleuve – les deux morceaux sont indissociables. Flûte, clarinette, saxophone, fiddle et banjo (ces deux derniers joués par le toujours audacieux Sam Amidon) magnifient l’atmosphère d’un disque fort et délicat à la fois, sans doute le plus personnel signé à ce jour par The Weather Station.

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A propos de Jean-Christophe Pucek

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