The moments that will last were never made of tact[1]
I am love[2]

Kadhja Bonet est une jeune femme qui hypnotise la logique pour la transformer en animal suave. Sa voix, ses textes et ses arrangements sont autant de raisons dans un ciel nocturne et glacé de janvier, de ne voir plus qu’une seule étoile briller. Celle de ce visiteur[3] voyageant dans les galeries  aériennes invisibles qui font correspondre la Soul, la Folk et la musique de films français ou italiens des années 60.  Les chansons de Kadhja Bonet racontent en peu de mots très précis et contemporains, nos sentiments, nos amours et nos amitiés. En suivant un fil conducteur invisible qui nous relie, depuis la nuit des temps, à une lumière sur le chemin tortueux de l’amour. Des sentiments qui n’avaient sans doute jamais été aussi bien approchés depuis Burt Bacharach. Orfèvre et maître incomparable en la matière qui fêtera ses 88 ans cette année.

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Est-ce que la musique peut sauver une vie ?

Oui, autant qu’elle est condamnée pour le simple exercice de son pouvoir, partout où l’on détruit ses instruments, étouffe ses chanteurs ou assassine ses interprètes. Kadhja Bonet ne s’en rend sans doute pas compte, mais sa musique est de cette force là. Celle de réparer les cœurs qui pourraient cesser de battre sinon.

Kadhja a vu le jour à Oakland dans la fameuse Bay Arena de San Francisco, il y a 29 ans cette année. La ville sort alors d’une  période de très mauvaise réputation. Drogues, gangs et violences en avaient fait une zone peu fréquentable. De deuxième ville la plus dangereuse des Etats-Unis[4], Oakland fait une image du passé. Le phénomène de « gentrification »[5] transforme la cité. Les travailleurs de la Silicon Valley s’y installent, dopés par leurs salaires exorbitants, drainant toute une petite bourgeoisie dans leur sillon. Ce qui n’est pas sans problèmes pour les bas salaires, qui voient le prix de la vie grimper en flèche. La ville change. Food Trucks, hipsters et concerts folks remplissant l’espace public. C’est là que Kadha a grandi dans une famille bercée par la musique autour d’un père chanteur d’opéra, Allen Bonet. Les salaires de la Silicon Valley ne sont pas ceux de la famille Bonet, c’est certain. Chanteur lyrique noir, ça ne fait pas très millionnaire.

Même si elle ne veut pas répondre à la question et élude le sujet, son père lui donne plusieurs demi-frères et demi-sœurs, dont la plus connue est l’actrice et réalisatrice Lisa Bonet.

Kadhja Bonet avoue être une « freak control ». On peut comprendre alors pourquoi être attachée à une autre histoire que la sienne propre, peut être une malédiction, d’où le brouillard entretenu de ses origines.

Baignant dans la culture musicale familiale, Kadhja, apprend le violon sans s’en apercevoir à partir de 5 ans en jouant avec toute la famille. A la maison c’est un peu comme pour Aaron M Frison[6], on joue de la musique en famille et c’est le père qui donne le ton : musique classique, Chostakovitch et les 400 ans de musique avant lui ! La jeune fille aime autant volontiers courir dehors et faire du sport. Plutôt douée, elle aurait pu orienter ses études dans cette direction si une blessure ne l’en empêcha. Elle s’inscrit en fac de cinéma à Los Angeles mais se rend très vite compte que ce milieu n’est par pour elle.

Redécouvrir la musique hors des murs familiaux, est une fabuleuse expérience qu’elle peut mener en toute conscience à partir du socle sur lequel elle a grandi.

Expérience que l’on retrouvera dans son interprétation, osée et magnifiquement réussi du morceau de Jaco Pastorius, Portrait of Tracy, qui peut rejoindre le maître au génie.

Quelques temps de recherches et d’errances solitaires, et Kadhja se tourne totalement vers la musique. Une rencontre sera cruciale, celle du producteur, compositeur et multi-instrumentiste Itai Shapira[7] qui sera dans le studio pour produire et enregistrer l’album.

A la question de savoir si Kadhja se sent appartenir à une scène musicale bouillonnante entre Los Angeles et la Bay Area, sa réponse est à la hauteur de ses productions. Elle se dit très isolée et sous aucune influence d’une scène particulière. La force de ses convictions va même jusqu’à lui faire dire qu’elle pourrait faire sa musique, n’importe où ailleurs. Elle ne veut pas faire oublier qu’il y a partout des scènes où se produit de la très bonne musique.

Pour elle, la musique, comme le cinéma, sont des façons de raconter une histoire. Différents outils au service d’un art très américain, le Storytelling.

Raconter des histoires sans raconter d’histoire. Voilà bien un ancrage fort chez l’artiste qui avoue ainsi son obsession pour le contrôle de ce qui sera dit sur elle. D’où une très faible exposition médiatique. Kadhja se dit bien plus préoccupée par savoir qui elle est, que par ce que la société pense qu’elle est. Sa quête personnelle étant loin d’être terminée, elle n’a pas bien le temps de se regarder à travers les autres.

I don’t reconcile control and creativity. So far I don’t think I need to. It’s not a compromise for me. Maintaining control of my vision only serves the integrity of the project.” [8]

Kadhja Bonet est une artiste. Une belle et grande artiste telle qu’elle définit elle-même le mot, que nous devrions garder en mémoire tel quel.

« Un artiste est quelqu’un qui n’a pas peur d’un défi.  Un guerrier intérieur. Un guerrier de son propre subconscient, qui accepte tous les recoins sombres de son esprit pour les répandre à l’air libre. Alternativement, un artiste peut défier la société, la politique, la nature humaine, la culture – toutes les forces extérieures qui affectent chacun dans ses mécanismes intérieurs. De même, un artiste doit opérer sans crainte pour afficher des vérités enfoncées ou endommagées. Il travaille le mieux en nombre, car chacun complète le  travail des autres. Ce sont des vases de destruction et de création cérébrales. Ils sont par nature spirituels et curieux. » A la question de savoir ce qu’elle aurait fait si elle n’avait pas fait de musique, Kadhja, sans hésitation, ouvre grandes les portes, comme avec sa musique : « Si je n’étais pas musicienne, je pense que je voudrais essayer de démarrer une ferme. J’aime utiliser mes mains et j’ai toujours voulu être plus connectée à ce que je mange, les vêtements que je porte et où je vis » On devrait tous la suivre !! Et pour cela en attendant on ne ratera pas son concert à la Boule Noire le 1er Mars.

http://www.laboule-noire.fr/spectacle/kadhja-bonet/

L’album the Visitor : http://kbonet.com/album/the-visitor


[1] Les moments qui dureront n’ont jamais été faits de tact, extrait de la chanson Fairweather firend

[2] The Visitor

[3] Du titre de son album The Visitor chez Headcount Records 2016

[4] Classement FBI hydrométrique (mesure de la tâche liquide sous la ceinture du pantalon !)

[5] Embourgeoisement

[6] https://www.culturopoing.com/musique/soul-et-pave-la-page-noire-petite-suite-en-soul-majeur-1/20160311

[7] http://itaishapira.com/biography/

[8] « Je ne concilie pas contrôle et créativité », jusqu’à présent, je ne pense pas que je le doive. Ce n’est pas un compromis pour moi. Maintenir le contrôle de ma vision ne sert que l’intégrité du projet. « , Entretien par mail janv. 2017

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A propos de Vasken Koutoudjian

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