Il y a toujours quelque chose d’excitant et peut-être d’inquiétant dans la découverte d’un nouvel auteur, en tout cas d’un nouvel auteur suffisamment intrigant pour tracer des lignes de perspectives multiples dont on ne sait encore quel horizon les réunira. Et c’est précisément à ce titre que Nina Allan nous intrigue.
Complications est le titre français (chez Tristram) de son recueil de nouvelles The Siver Wind paru en 2011 outre-Manche, et c’est un choix de traduction heureux: recueil de nouvelles, pas tout à fait, c’est plus compliqué que ça. A la manière des rouages des montres qui jouent un rôle dans chacunes de ses histoires et comportent ces fameuses complications (ces fonctions annexes, boussole ou chronomètre, de leurs mécanismes), les nouvelles de Nina Allan obéissent à un agencement qui dépasse la simple addition de ses éléments. Autonomes, et indépendantes dans leurs récits parallèles et disjoints, elles jouent d’échos, de résonnaces et de variations, donnant ainsi à l’ouvrage sa cohésion d’ensemble.
Si l’auteure cite le regretté Roberto Bolaño parmi ses influences, on pense plutôt, au fil de la lecture, à son grand ami argentin Rodrigo Fresàn, pour ces histoires interconnectées façon quantique comme une superposition de possibles, mais aussi pour leur délicieux et récurrent parfum de Twilight Zone et de littérature de genre. Car nous avons ici régulièrement affaire à de subtils paradoxes temporels et à des personnages secondaires aux frontières du fantastique. Nina Allan, grâce à ces éléments manipulés avec un délicat mélange de gourmandise et de parcimonie, réussit à distiller une étrangeté presque jamais forcée, avec un art du décalage qui semble déjà lui appartenir en propre. Et elle se révèle aussi à l’aise dans la prospective (le texte central, Le Vent d’Argent, est un récit de discrète anticipation très convaincant) que dans le réalisme atmosphérique (les ambiances du sud londonien et surtout de la plage de Brighton y sont, à plusieurs reprises et sous plusieurs lumières, remarquablement saisies).
Il en ressort une densité d’univers, où évoluent des personnages forts et plus ou moins récurrents car ni tout à fait les mêmes ni tout à fait autres. On se plait à retrouver son protagoniste rejouer en miroitements infinis son deuil, son amour démesuré pour sa sœur, à retrouver aussi sa famille protéiforme pleine de figures singulières et son réseau de souvenirs. On pourra alors regretter un versant sentimentaliste -littérairement plus faible- prenant parfois inutilement le pas, et l’adjonction pour cette édition d’une nouvelle introductive qui, moins en lien avec le reste, déséquilibre un peu l’élégante structure.
Il s’en faut de peu pour que le livre glisse dans le maelström foutraque et excitant à la Fresàn ou dans l’exercice plaisant mais anecdotique, voire le romantisme terminale L. Pour l’instant, la suite des évènements semble aussi indécidable que la santé du chat de Schrödinger.
Reste, donc, un bel et curieux objet, plein de charmes et de promesses -on espère que la suite les tiendra: si l’équivalent contemporain de la complication d’une montre est (discutablement) l’application des smartphones, on souhaite pourtant à Nina Allan de poursuivre ses constructions avec plus de folie mûrie que d’application.
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